Pas un jour ne passe sans que nous soyons rappelés, par LFI ou par leurs soutiens, à nos origines “arabes” ou “musulmanes” dès lors que nous ne sommes pas d’accord avec eux. Avant, on nous accusait de “jouer les agents de l’extrême droite” quand nous critiquions l’islam politique en France. Mais depuis le 7 octobre 2023, nous voilà devenus des “agents d’Israël” ou des “Arabes de service”. Après son passage dans l’émission Quelle époque sur France 2, Karim Bouamrane, maire de Saint-Ouen et membre du Parti socialiste, s’est ainsi vu qualifier de “muslim d’apparence” par le géopolitologue Pascal Boniface, directeur de l’Iris.
Aujourd’hui, quand on est d’origine arabe, il suffit de prouver avec des citations et des chiffres que le projet du Hamas n’est pas la défense des Palestiniens contre une colonisation, mais la création d’une nouvelle colonisation islamique inspirée des Frères musulmans, pour être traité de “traître” de la part de l’extrême gauche française. Je reçois régulièrement des messages ou des commentaires me qualifiant d'”agent d’Israël jouant l’Arabe de service”, d'”idiot utile des sionistes”, sans parler des “j’espère qu’ils te paient bien” ou “ils ont trouvé un nouveau Chalghoumi”, en référence à l’imam de Drancy. Cette dernière “accusation” a d’ailleurs été reprise par Rima Hassan contre Karim Bouamrane, qui s’en est pris au discours communautaire de LFI par rapport à Israël. “Un Chalghoumi qui parle bien reste un Chalghoumi”, a commenté l’égérie pro-palestinienne, reprochant à l’élu socialiste d’avoir condamné l’attaque de l’Iran contre l’Etat hébreu en avril.
Israël, l’épouvantail du régime syrien
Faut-il rappeler à cette gauche que nous avons fui les dictatures du Proche-Orient ? En Syrie, mon pays natal, s’opposer au régime de Bachar el-Assad vous vaut d’être accusé de travailler pour Israël, ce qui équivaut à une condamnation à mort selon l’article 264 de la Constitution : “La sanction pour collaboration avec un État ennemi est l’exécution.” Au début de la révolution, les manifestants étaient accusés par le régime d’être des espions de l’État hébreu, recevant des chèques du Mossad. C’est au prétexte de ce complot imaginaire que les médias proches du pouvoir ont justifié les tortures contre les opposants, l’application de l’état d’urgence et la répression de la liberté d’expression. Israël est l’épouvantail avec lequel le régime syrien a toujours fait peur à sa population.
Nous avons fui ce fascisme pour nous réfugier en France, pays des Lumières, du débat et de la liberté. Une France qui nous appartenait même avant que nous ne soyons sur son sol : celle du libéralisme. Et nous l’avons payé très cher, au prix de nos familles, de notre environnement et de nos amis. En Syrie, ce n’est pas seulement le régime d’Assad qui applique cet esprit totalitaire, mais aussi la société entière. La famille de mon père m’a ainsi renié, me considérant comme un “traître” à leurs valeurs islamistes. Depuis, je ne suis qu’un apostat qui mérite d’être tué, et qui n’a même plus le droit, selon la charia, d’être enterré dans un cimetière musulman. Et voilà que l’extrême gauche française reprend cette rhétorique, répétant ces mêmes accusations ! Alors que pendant ce temps, l’extrême droite se montre très claire à notre égard : “On s’en fiche de tes idées, rentre chez toi.” Ma réponse est tout aussi claire : “Je rentre à Bastille, là où j’habite.”
Quand les députés de LFI nous expliquent le Proche-Orient…
L’odieux essentialisme pratiqué par LFI et ses alliés a un corollaire : des élus d’extrême gauche, aux connaissances historiques ou géographiques parfois très douteuses, se présentent comme des spécialistes du monde dans lequel nous avons grandi. Ils se sont positionnés comme les défenseurs des droits des “victimes” d’Israël, allant jusqu’à y inclure les terroristes du Hamas. Que ce soit directement, en justifiant le massacre du 7 Octobre comme “intervenant dans un contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne”, selon le communiqué de LFI publié le lendemain du pogrom, ou en évitant de qualifier le mouvement islamiste d’organisation terroriste. Ils sont devenus les experts de la cause palestinienne. C’est ainsi que je devrais suivre la parole d’Aymeric Caron pour mieux comprendre le Hamas, celle d’Ersilia Soudais pour évaluer ma connaissance sur la Syrie, ou celle de Mathilde Panot pour mieux connaître la Palestine, sous peine de me voir accusé de n’être qu’un “Arabe de service”, ou pire, “un agent d’Israël”. Tout cela est présenté au nom de la lutte contre le colonialisme. Mais c’est cette attitude paternaliste qui relève justement du plus pur colonialisme !
La “faute” de Karim Bouamrane, c’est qu’il s’est exprimé librement en tant que socialiste. Il a condamné LFI pour “l’instrumentalisation d’une partie de la société où on monte les juifs contre les musulmans, les croyants contre les non-croyants, les Blancs contre les Noirs.” J’ai pu constater cette réalité dans la banlieue parisienne, à Saint-Denis, Aubervilliers ou dans les Yvelines, lors de dizaines d’ateliers d’écriture sur le thème de la déradicalisation. Je posais régulièrement cette question aux élèves, majoritairement d’origine maghrébine : “Si vous aviez le droit de voter, pour qui voteriez-vous ?” Ils me confirmaient qu’ils voteraient pour Mélenchon parce que “c’est le seul qui protège les musulmans des Français blancs”. Depuis le 7 Octobre, de nombreux élèves me disent qu’ils voteront LFI, non seulement pour défendre les musulmans de France, mais aussi ceux de Palestine face à l’occupation israélienne et à la colonisation juive.
Du fait de la multiplication de propos antisémites, violents et identitaires, LFI ne doit pas seulement quitter la famille de la gauche, comme Karim Bouamrane l’a réclamé lors de l’émission de France 2, mais la formation doit aussi être publiquement condamnée. Ses députés et leurs soutiens sont sortis des limites du débat démocratique. Pendant que nous avançons des idées, eux se concentrent sur l’origine de leurs adversaires et nous rangent dans la case “muslims d’apparence”, alors que nous sommes de simples citoyens comme les autres, libres de nos opinions, fiers d’aimer et d’appartenir à ce pays : la France.
* Ecrivain et poète né à Damas, Omar Youssef Souleimane a participé aux manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, mais, traqué par les services secrets, a dû fuir la Syrie en 2012. Réfugié en France, il a publié chez Flammarion Le Petit Terroriste, Le Dernier Syrien,Une chambre en exil, et récemment Etre Français.
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