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“Une alliance contre nature” : Eric Coquerel et Charles de Courson, un duo qui agace


L’habitus les distingue jusqu’à la caricature. Si l’Insoumis Eric Coquerel, passé par le trotskisme, salue au micro d’un très contemporain “bonjour à toutes et à tous”, le centriste Charles de Courson (Liot) décline, lui, la litanie protocolaire de “Mesdames, Messieurs, mesdames les députés, messieurs les députés…”. Si Eric Coquerel est décoiffé d’un tourbillon de mèches grises, Charles de Courson présente la raie impeccable seyant au hobereau marnais. Les apparences toutefois égarent ; il faut les observer, assis côte à côte, le 21 octobre, au deuxième sous-sol de l’Assemblée nationale, le président de la commission des Finances Coquerel, col de chemise ouvert, se frottant les yeux, se touchant le nez, regardant son portable quand le rapporteur général du budget encravaté, veste marine, mouchoir en tissu, mains posées, se tient hiératique, et soudain, Coquerel posant une main sur l’épaule de Courson, Coquerel glissant un mot à l’oreille de Courson, Courson écartant la chaise pour Coquerel, Courson servant d’eau Coquerel. Tango fluide.

Ce matin-là, à quelques heures de l’examen en séance publique de la partie “recettes” du projet de loi de finances, qui fait trembler le gouvernement et hérisse la Macronie, les inséparables ont pris l’initiative de poser sur la table le dossier des retraites, au cœur du programme du Nouveau Front populaire. Tout à trac, ils ont invité une palanquée d’économistes et de syndicalistes, exposant chacun des alternatives au financement du système. Il s’agit de démontrer – avec force courbes et chiffres – qu’il est possible de revenir sur l’âge légal fixé à 62 ans sans grever l’abyssal gouffre des finances publiques. La date est choisie : deux propositions de loi, demandant l’abrogation de la réforme de 2023, arrivent au Parlement. Celle du Rassemblement national le 31 octobre, celle de LFI, le 28 novembre. Eric Coquerel précise d’ailleurs que l’initiative lui fut suggérée par Sophie Binet de la CGT, à laquelle il rend hommage, tandis que son compère Charles de Courson, qui participa à la rédaction du programme de Valérie Pécresse, appela à élire Nicolas Sarkozy et qui, depuis 2013, vota en faveur de toutes réformes reportant l’âge légal, l’écoute, souriant et bonhomme.

Paire inédite, attelage baroque. Grandie aux antipodes de l’échiquier politique, elle s’est découverte puis unie, jusqu’à la fusion mise en scène, dans la détestation de la présidence Macron. L’été 2022, Charles de Courson brigue la présidence de la puissante Commission des Finances à l’Assemblée, puis renonce pour laisser élire le parlementaire très à gauche Eric Coquerel, soutenu par les voix Liot. Première passe de courte échelle. Juin 2023, la réforme des retraites embrase l’Assemblée, et Charles de Courson, magistrat à la Cour des comptes, redoutable expert des finances publiques, défend, verbe vibrant, une “motion transpartisane” demandant l’abrogation du texte. Le septuagénaire, parlementaire isolé, connaît alors un climax de popularité. Ovationné, applaudi debout par la Nupes et le RN, qui s’émerveillent de ses flèches aiguisées, de ses calculs précis, de sa maîtrise du règlement de l’Assemblée. Un député fort en thème, capable de lire et de mémoriser des centaines d’amendements en quelques heures, l’aubaine. Sa motion manque – à neuf voix près – de renverser le gouvernement. L’austère élu de la Marne s’est-il jamais remis des frissons narcissiques de cet engouement, lui qui, depuis trente ans, laboure les comptes publics et leur ingrate complexité si peu féconde en éclats médiatiques jusque lors ?

En juillet dernier, il candidate au perchoir de l’Assemblée, il échoue. Les frissons s’éteignent, seulement voilà, ils manquent désormais. Le voici revenu aux livres de comptes de la commission des Finances. S’enclenche la deuxième passe de la courte échelle. Qui à la présidence de ladite commission ? Les trois voix Liot, dont celles de Courson, se portent sur l’Insoumis Coquerel, ainsi réélu, le poste revenant depuis 2008, et une modification de l’article 39 du règlement de l’Assemblée, à l’opposition. Sauf que, selon la doctrine parlementaire, il est prévu dans le même souci d’équilibre que le siège de rapporteur général du budget revienne à la majorité. Passant outre l’usage, Charles de Courson se présente contre le candidat macroniste Jean-René Cazeneuve. Il est élu, porté par le soutien et la gratitude des Insoumis.

Pas copains mais alliés

La paire, tenue par l’échange de bons procédés, s’en donne depuis à cœur joie, savourant ses coups d’éclat, concoctés en passant d’un bureau à l’autre, tous deux voisins du deuxième étage au palais Bourbon (jamais on ne les a vus ensemble à la buvette, ni même d’ailleurs à la table d’un déjeuner). Ils ne sont pas copains, ils sont alliés. “Leurs intérêts convergent, en se servant mutuellement, chacun bénéficie de la force de l’autre”, griffe le député Renaissance Mathieu Lefèvre. “L’alliance contre nature constitue un tandem qui vit pour préserver les fruits de cette union”, tacle la députée de l’Orne, Véronique Louwagie.

En septembre, le duo réclame à Matignon et à Bercy les lettres plafond, ces documents de cadrage budgétaires adressés aux ministères. Faute de réponse – Michel Barnier vient d’être nommé, et la préparation du budget s’esquisse dans l’urgence, voire la panique eu égard à la découverte d’un déficit cataclysmique -, les voici marchant vers Bercy, puis avançant vers Matignon, une déambulation orchestrée sous l’œil des caméras invitées – Coquerel en parka ouverte et Courson sanglé dans un manteau de laine marron. La ficelle – une idée de Coquerel d’ailleurs – fait le tour de toutes les informations télévisées, bien que ni l’un ni l’autre n’ignore que la transmission de ces lettres plafond n’est pas une obligation, et que le rapporteur général du budget outrepasse là son champ d’action, celles-ci relevant des compétences du président de la commission. Qu’à cela ne tienne, le message passe. Deux bretteurs, soucieux de la défense du Parlement, deux incorruptibles, dévoués à la transparence du jeu politique.

lls en font des tonnes, bichant de concert, allant jusqu’à confier dans les colonnes de Paris Match chanter à tue-tête du Françoise Hardy – Eric Coquerel s’ébaubissant que son complice connaisse par cœur toutes les paroles. Dans la commission des Finances, leur alliance est appréciée diversement. Si tous louent leurs compétences techniques, dans les rangs LR et Renaissance, le numéro agace. Leurs temps de parole n’étant par statut pas limités, chacun disserte longuement, monopolisant les horloges. Les élus du “socle commun” ont fait les comptes : 83 % du temps de parole dévoré par l’opposition dont 13 % par Coquerel, à égalité avec Courson, et, toujours selon leurs chiffrages, le “socle commun” n’aurait, lui, pu s’exprimer que 8 % du temps. Onze députés ont envoyé ce comptage, via une lettre datée du 9 octobre, à la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, lui demandant de faire respecter “la pluralité des débats”. Ils remarquent en outre que les quinze administrateurs, planchant sous les ordres du président et du rapporteur général, travaillent de fait pour l’opposition. Le 16 octobre, à l’unanimité cette fois, les 76 députés de la commission des Finances ont demandé et obtenu que leur commission soit dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête, afin de rechercher et d’examiner les causes du dérapage budgétaire. “L’Assemblée est dans son rôle, à condition que la commission ne vire pas au procès politique, anesthésiant toute forme de réflexion”, met en garde l’élu du Val-de-Marne, Mathieu Lefèvre. Pas sûr que le duo à sa tête l’entende ainsi, résolu à faire de l’exercice une tonitruante tribune, électrisant le paysage politique. Inflammable.




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