Vous vous êtes réveillé ce 24 octobre en cherchant la définition du mot “fascisme” dans le dictionnaire ? Aucun doute, vous avez suivi la dernière polémique qui secoue la présidentielle américaine. Pour les autres, séance de rattrapage : dans une interview au New York Times ce 22 octobre, l’ex-chef de cabinet de Donald Trump de 2017 à 2019, John Kelly, a révélé que l’ancien président aurait encensé Hitler en privé lors de son premier mandat, ajoutant que le candidat républicain “avait le profil d’un fasciste qui pourrait gouverner comme un dictateur s’il était élu”. “J’ai besoin du genre de généraux qu’avait Hitler […] “Des gens qui lui étaient totalement loyaux, qui suivaient les ordres”, aurait également lâché Donald Trump lors d’une conversation privée à la Maison-Blanche lorsqu’il était président, a rapporté le magazine The Atlantic.
Des propos démentis par l’actuel porte-parole du candidat républicain. Mais que n’a pas manqué de commenter Kamala Harris, à la peine dans les sondages à dix jours du scrutin. “Pensez-vous que Donald Trump soit fasciste ?”. “Oui, je le crois”, a lâché sans détour la candidate démocrate qui répondait mercredi aux questions du journaliste star de CNN Anderson Cooper. Laquelle citait une semaine plus tôt en campagne en Pennsylvanie Mark Milley, “le meilleur général de Donald Trump” qui, affirmait-elle, a qualifié l’ancien président de “fasciste jusqu’au bout des ongles”.
De fait, le candidat de 78 ans a enchaîné les déclarations pour le moins ambiguës ces derniers mois. Mentionnons, entre autres, sa sortie devant des militants d’une organisation évangélique le 26 juillet dernier : “Dans quatre ans, vous n’aurez plus à voter [si je gagne]”. Ou plus récemment, sa diatribe aux airs de chasse aux sorcières sur Fox News le 13 octobre contre “l’ennemi de l’intérieur”, soit l’alliance des “gens malades [et] des fous de la gauche radicale”. N’excluant pas, si besoin, de faire appel à la Garde nationale et l’armée pour rétablir l’ordre. Faut-il encore rappeler l’assaut du Capitole en 2021, largement provoqué par son refus de reconnaître sa défaite face à Joe Biden.
Un climat qui ne sent pas bon le respect des institutions et des oppositions. Et une rhétorique qui, selon la journaliste américaine Anne Applebaum, auteure d’un récent article intitulé Trump parle comme Hitler, Staline et Mussolini, sent bon la naphtaline. Comme lorsque l’ancien président emploie le terme “vermine” pour qualifier ses adversaires. “Le mot vermine, en tant que terme politique, date des années 1930 et 1940, lorsque les fascistes et les communistes aimaient décrire leurs ennemis politiques comme des vermines, des parasites et des infections sanguines, ainsi que des insectes, des mauvaises herbes, de la saleté et des animaux […]. Ce langage n’est pas seulement laid ou répugnant : ces mots appartiennent à une tradition particulière. Adolf Hitler a souvent utilisé ce genre de termes”, analyse Anne Applebaum.
De même qu’après avoir longtemps hésité à assimiler le trumpisme au fascisme – estimant que cette étiquette avait été utilisée avec trop de légèreté pour signifier encore quelque chose -, l’historien Robert Paxton, spécialiste du régime de Vichy, a changé d’avis après l’assaut du 6 janvier : “L’encouragement ouvert de M. Trump à la violence civique pour renverser une élection franchit une ligne rouge”.
L’argument de la rationalité ne marche pas
Depuis quarante-huit heures et les “révélations” de John Kelly, les anti-Trump de tous bords se succèdent ainsi sur les plateaux de télévision pour prévenir du danger que le “fasciste” milliardaire fait encourir à la démocratie américaine. De quoi stopper la dynamique du Donald à l’approche du jour J ? Rien n’est moins sûr.
D’abord, parce que le vote Trump n’est pas un vote rationnel. Crier au loup ne fera que renforcer sa popularité auprès de sa base, très solide. “Chaque fois qu’il a été mis en accusation, sa popularité a augmenté et les dons ont afflué”, soulignait récemment le très réputé journaliste britannique Matthew d’Ancona dans les colonnes de The New European. La campagne de Trump “joue sur les peurs et les instincts les plus profonds de l’électorat américain, avancer des arguments rationnels contre lui ne fonctionnera pas”, prévient encore cet ancien rédacteur en chef au journal The Spectator. “L’argument le plus faible avancé par les démocrates est qu’un nombre important d’électeurs prendront soudainement conscience du caractère et du comportement épouvantables de Trump. Aucune personnalité publique sur la planète n’a été autant scrutée, discutée et analysée. […] Il est ridicule d’imaginer que l’électorat américain ne sache pas exactement qui il est et ce qu’il est”, conclut Matthew d’Ancona, appelant le camp des libéraux à changer de registre : “Qu’il gagne ou qu’il perde, Trump a toujours été soutenu par 47 à 51 % des électeurs au cours de cette campagne. Quoi qu’il arrive le 5 novembre, cela devrait suffire à convaincre les libéraux d’Amérique et d’ailleurs que ce qu’ils offrent n’est plus suffisant”.
L’accusation de fascisme à l’encontre de Donald Trump ne date pas d’hier. Déjà lors de la primaire républicaine en 2015, la presse américaine pointait le danger que représentait selon elle le milliardaire new-yorkais : “Alors que les premières primaires approchent, et que Trump gagne des points dans les sondages, sa descente vers le fascisme progresse plus vite que je ne le craignais”, commentait par exemple le journaliste Ryan Cooper. Ce qui ne l’a pas empêché de déjouer les pronostics et de battre Hillary Clinton en 2016. Ni de déjouer à nouveau les pronostics et de remporter la primaire républicaine en mars dernier. De la même façon, de ce côté-ci de l’Atlantique, l’étiquette “fasciste” brandie par certains de ses pourfendeurs n’a pas privé le Rassemblement national de succès électoraux ces dernières années. Tout comme, aussi, le post-it “néofasciste” accolé à Giorgia Meloni ne lui a pas barré la route de la présidence du Conseil italien, ni même de gagner en influence à Bruxelles ou de recevoir les compliments du Premier ministre britannique travailliste Keir Starmer sur sa politique migratoire.
L’erreur de calcul des démocrates
Il y a une autre raison pour laquelle la carte “fasciste” brandie par les anti-Trump risque de faire pschitt : elle méconnaît les motivations du vote masculin, que drague inlassablement Donald Trump. “La prise de contrôle du Parti républicain par des fascistes s’est avérée ne pas être une rupture pour une majorité d’hommes”, commentait ce mercredi Anand Giridharadas, éditorialiste politique pour la chaîne MSNBC. Pour cet ex-chroniqueur au New York Times, ce n’est pas tant la nature fasciste du projet porté par Trump qui devrait inquiéter les démocrates, mais le fait que tant d’Américains, parmi lesquels une large majorité d’hommes, soient prêts à voter pour ce projet : “S’agissant des hommes et de leur enthousiasme pour le fascisme aujourd’hui, la dimension affective est peut-être la plus dominante. […] beaucoup ont été persuadés – le mot lavage de cerveau serait peut-être plus approprié – que l’avenir est quelque chose qui devrait les terrifier. Que l’avenir se moque d’eux, qu’il leur fait un pied de nez. Qu’il va les faire taire, les contraindre, les dévaloriser, les censurer, les affamer, etc. Or, dans une démocratie, les sentiments deviennent très vite des faits”.
Anand Giridharadas invite lui aussi le camp démocrate à revoir sa stratégie : “Une fraction de la masse des hommes américains qui ont succombé à l’attrait du fascisme de Trump ont besoin de se sentir vus, entendus et reconnus dans leur stress, leur anxiété et leur sentiment de dislocation face à l’avenir qui s’annonce […]. Sauver le pays de la tyrannie doit devenir une aspiration pour les hommes. Cela ne doit pas être un cours magistral”.
Dans le Guardian, la chroniqueuse Emma Brockes, auteure d’un article intitulé Le mot fasciste a perdu tout son sens. Et Trump l’utilise à son avantage, pointe quant à elle “la désinvolture et l’infantilisation avec lesquelles nous utilisons le terme fasciste”, lesquelles rendent difficile, voire impossible, la réalimentation de son sens.” “La plupart d’entre nous sommes sortis de cette phase où tout ce qui s’opposait à nous était fasciste. Pourtant, certains aspects du plaisir que procure ce mot ont survécu à son usure”, ajoute Emma Brockes.
Enfin, dans ce qui s’annonce comme le scrutin le plus serré de l’histoire des Etats-Unis, la carte du fascisme jouée par Kamala Harris pour tenter de convaincre les derniers indécis côté démocrate pourrait s’avérer un coup d’épée dans l’eau. Car selon un sondage récent de YouGov, relayé par le New York Times, ce sont les partisans de Trump, et non ceux de Harris, qui sont les plus susceptibles de penser que les Etats-Unis pourraient basculer dans une dictature fasciste : “Si d’autres sondages suggèrent régulièrement que les démocrates s’inquiètent de la stabilité de la démocratie américaine, peu d’entre eux pensent qu’un basculement dans le fascisme est réellement dans l’avenir du pays”, écrit le quotidien américain. Trump fasciste ? John Bolton, l’ex-conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, a trouvé quant à lui le moyen de se rassurer : “Je ne pense pas qu’il soit assez intelligent pour avoir une idéologie”.
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