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Les CRS et gendarmes mobiles, “rustines” de l’Etat en sous-effectif


Tout un symbole : mardi 19 mars, Emmanuel Macron lançait l’opération Place nette, au sein de la cité de la Castellane, à Marseille. Une campagne XXL pour lutter contre les trafics de drogue très installés dans les quartiers nord de la ville. Ce 16 octobre, une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux a montré deux policiers de la brigade spécialisée de terrain (BST) nord agressés lors d’une interpellation dans un immeuble de la cité. Sept mois après son lancement par le chef de l’Etat, policiers et experts constatent l’impossibilité de définitivement régler le trafic de drogue par le seul biais de Place nette.

Et ce, même dans le très médiatique quartier de la Castellane, cible des efforts des forces de l’ordre. C’est ce que montre un rapport de la Cour des comptes rendu public le 20 octobre, qui, tout en louant les efforts des policiers, s’inquiète de la capacité de l’Etat à lutter contre la criminalité organisée dans la ville. La question des effectifs est soulignée par les magistrats. Alors qu’il était encore ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin avait annoncé des renforts en août 2023, avec l’arrivée à Marseille de la CRS 8, une unité spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines. Déjà déployée à Mayotte, à Dijon, ou encore à Colmar, la jeune brigade est une “expérience qui a vocation à être généralisée” sur le territoire. “Finalement, les CRS viennent remplacer des missions de sécurisation habituellement dévolues aux polices secours, observe un policier syndicaliste marseillais. Dans la police, aujourd’hui, tout le monde peut faire office de bouche-trou. Les CRS, notamment, sont devenus une forme de rustine pour faire face au manque de moyens.” Nouvelle-Calédonie, Martinique ou opérations Place nette ponctuelles dans les grandes villes : même après les Jeux olympiques, les unités de CRS et les escadrons de gendarmes mobiles restent très sollicités.

Une unité devenue polyvalente

Le réflexe est peu surprenant : créées pour gérer les troubles à l’ordre public liés aux mouvements de foule, ces unités sont devenues au fil du temps de plus en plus polyvalentes. Il ne date pas non plus d’aujourd’hui. En 2017, un rapport de la Cour des comptes soulignait déjà un “emploi croissant de ces forces” qui font aujourd’hui figure de “réserve” que l’Etat emploie pour des missions de sécurisation et de maintien de l’ordre. Après une baisse notable de leurs effectifs au début des années 2010, elles ont connu un rebond, qui n’a toutefois pas encore permis de “recompléter toutes les unités”. Aujourd’hui, on compte 64 compagnies républicaines de sécurité (CRS) et 116 escadrons de gendarmerie mobile (EGM). Difficile d’y voir clair sur leur répartition précise : contacté, Beauvau a refusé de communiquer sur des informations jugées “trop sensibles”. Pour retracer l’emploi des forces mobiles, L’Express s’est donc notamment appuyé sur les données fournies par les documents publics et les syndicats de police.

A l’occasion des troubles en Nouvelle-Calédonie ayant explosé début mai, plus de 2000 membres des forces de l’ordre ont été déployées sur le territoire. Cinq mois plus tard, les agents présents dans l’archipel sont toujours nombreux. “Nous sommes montés à presque 6000 agents fin septembre. Actuellement, il y a toujours près de 20 escadrons de gendarmerie mobile en Nouvelle-Calédonie, trois compagnies de CRS, ainsi qu’une dizaine de membres de la police judiciaire et des services de renseignement”, détaille Thierry Clair, secrétaire général de l’Unsa Police.

Deux ans pour revenir à la normale

S’ajoutent à ces forces celles déployées pour maintenir l’ordre en Martinique, secouée depuis septembre par des émeutes contre la vie chère. Une décision historique, alors qu’aucune compagnie n’avait mis le pied sur l’île depuis 1959 et les émeutes de “décembre noir”. A la fin de septembre, entre 60 et 80 membres de la CRS 8 sont arrivés à Fort-de-France. Des membres de deux nouvelles compagnies les ont remplacés ces derniers jours : la 83, issue de Chassieu, près de Lyon, et la 81, issue de Marseille. “Il s’agit de demi-compagnies – d’un peu plus d’une soixantaine d’hommes”, poursuit Thierry Clair. Autant d’agents non disponibles ailleurs. “Les forces mobiles sont la réserve générale de la police et de la gendarmerie. Quand, d’un coup, une trentaine d’entre elles sont engagées à des milliers de kilomètres et ne sont pas disponibles, ça obère quand même une sacrée possibilité opérationnelle”, remarque Grégory Joron, secrétaire général d’Unité SGP-Police-FO.

Outre deux grandes crises outre-mer, les unités mobiles ont aussi subi le contrecoup des Jeux olympiques. L’événement a mobilisé 25 000 policiers et gendarmes, toutes brigades et compagnies confondues. De quoi bouleverser le planning des congés, que les forces de l’ordre ont péniblement écoulé jusqu’ici. “Il y a effectivement eu un ‘effet ciseau’ qui a pu occasionner un retour de la délinquance visible, notamment à Paris, note Grégory Joron. D’abord, car beaucoup ont pris des congés qu’ils n’avaient pas pu prendre pendant les JO. Ensuite, en raison de mutations intervenues aux alentours du 15 septembre, il y a eu beaucoup de départs de Paris, une réorganisation des services. Enfin, les forces mobiles étaient moins disponibles en raison de leur présence en Nouvelle-Calédonie, mais aussi de moments de pause.” Si, aujourd’hui, le syndicaliste estime la situation revenue “à un taux de présence à peu près classique” à cette période de l’année, d’autres sont moins optimistes. “Dernièrement, les renforts se sont portés principalement vers Paris, à cause des JO et des manifestations sportives comme la Coupe du monde de rugby, indique un responsable syndicaliste marseillais. Dans les forces mobiles et en général, quand on parle entre nous, nous estimons qu’il va falloir deux ans pour rétablir efficacement les effectifs dans l’ensemble des circonscriptions de province.”

Des unités déployées dans les grandes villes

Les grandes villes ont pourtant bénéficié, ces dernières années, de l’arrivée de CRS “à demeure”. C’est notamment le cas de Marseille, où trois compagnies assurent le maintien de l’ordre aux côtés des effectifs de police classique. “Elles ont une mission complémentaire de celles des brigades de la BAC ou de la BST, indique une source proche de la préfecture de police des Bouches-du-Rhône. Dans le cadre d’une opération contre le trafic de stupéfiants, quand les seconds interpellent, les premiers sécurisent le quartier. C’est le cas à la Castellane, notamment.” Présentes depuis 2021 dans la cité phocéenne, elles ont été renforcées par l’arrivée de la CRS 81, qui peut aussi venir prêter main-forte – quand ses membres ne sont pas déployés ailleurs.

Ces compagnies n’existent pas qu’à Marseille. “Il y en a à Lyon ou à Paris – dans tous les grands centres urbains. Ces agents restent désormais sur place en quasi-permanence, explique Thierry Clair. Les violences régulières liées notamment au trafic de stup ont entraîné le besoin d’unités de CRS présentes en quasi-permanence, par anticipation.” Une énième illustration d’une unité devenue, selon les magistrats de la Cour des comptes “un instrument de réponse à une grande diversité de problématiques”, et dont le “caractère durable du besoin transforme souvent la mission permanente”. D’après ce dernier rapport, “70 à 80 unités de gendarmes mobiles et de CRS sont affectées à des missions permanentes”. Parmi elles, on trouve les unités dédiées sur le plan national de sécurisation renforcée (PNRS), vouées à sécuriser les territoires touchés par la criminalité, comme à Marseille. Mais également des “missions de lutte contre l’immigration clandestine” pour lesquelles au moins huit compagnies de CRS et cinq unités de gendarmes mobiles sont constamment mobilisées près des frontières. Ou encore de sites nécessitant d’être surveillés en permanence – huit compagnies de CRS et sept unités de gendarmes mobiles veillent sur les ambassades ou les lieux de culte.

L’administration et les élus sont friands de ce modèle. Au point de les réclamer : depuis 2021, le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, demande également à avoir sa propre compagnie “à demeure”. Il a renouvelé son appel la semaine dernière auprès du ministre de l’Intérieur. L’édile estime qu’une compagnie de CRS sur le modèle de celles implantées “depuis un an à Marseille, Saint-Herblain, Chassieux et Montauban” serait “essentielle pour des missions de présence dissuasive dans les quartiers les plus exposés aux agressions et vols violents ainsi qu’au trafic de stupéfiants”. De quoi devenir plus qu’une rustine ?




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