Beaucoup de témoignages. Ici, un avocat à la barre du conseil des prud’hommes brandit le profil LinkedIn de son contradicteur : “Il a monté une société pendant qu’il était encore salarié”. Un autre : “Moins de dix jours après son départ, il était en poste chez le concurrent, et il parle de préjudice ?”. La plateforme est le reflet d’une carrière. Certains minimisent ou suppriment même certaines expériences. Arnaud*, en procédure avec son ex-employeur déplore que ce dernier continue à investiguer sur son profil. “Qu’est-ce qu’il cherche exactement ?” s’interroge-t-il. Il se sent surveillé et même oppressé.
De son côté Benoît* a reçu pendant des années des “visites” sur son profil, stigmates d’un passé qu’il estimait révolu… jusqu’à sa période d’essai rompue chez un employeur après l’appel de son ancien patron. “Quid de la légitimité de l’utilisation des informations par l’employeur trouvées sur les réseaux sociaux contre un salarié ?”, interroge Jacques Perotto, avocat associé en droit social au sein du cabinet Alerion.
“Nous récupérons beaucoup d’informations utiles”
“On a, du côté des salariés, le sentiment d’être parfois traqués lorsque l’employeur fouille les réseaux sociaux pour obtenir les informations qu’il cherche, notamment pour vérifier des assertions ou nourrir un contentieux. Sauf que ces informations sont publiques lorsqu’elles sont diffusées à l’extérieur de la sphère privée donc, par définition, exploitables par tous”, poursuit maître Perotto. Et les détectives, aussi, officient aussi sur le numérique. “En tant qu’avocat agissant dans le cadre d’un contentieux, en particulier en matière de concurrence déloyale, je pouvais recourir à la sommation de communiquer tel ou tel document auprès du conseil de la partie adverse, document dont je n’ignorais pas l’existence après avoir recouru, par exemple, à un détective privé mais que je n’avais cependant pas en ma possession”, admet-il.
“Aujourd’hui, nous récupérons beaucoup d’informations utiles pour nos dossiers via les réseaux sociaux dont la fiabilité est difficile à remettre en cause puisque publiées par le détenteur du compte lui-même”, poursuit l’expert. Il reste donc au salarié à choisir les informations qu’il donne si son profil est public. Il peut le fermer en restreignant ses relations pour s’assurer de la confidentialité de ses propos afin d’éviter qu’un tiers, non autorisé, ne s’empare de confidences et ne les divulgue. Se pose alors la question de la liberté d’expression : que peut-on dire sur les réseaux sociaux ?
Une liberté d’expression sans limite ?
“Je suis régulièrement saisi par des entreprises pour des propos tenus anonymement par des salariés ou anciens salariés sur des sites comme Glassdoor et dont l’objet est toujours de révéler un fait plus ou moins grave à l’encontre de leur employeur : cela va de la critique de la politique sociale jusqu’aux accusations de harcèlement moral ou sexuel en passant par la dénonciation d’une procédure disciplinaire à l’encontre d’un collaborateur ou encore d’un licenciement économique”, indique Jacques Perotto. Or, des faits de harcèlement doivent se régler devant le juge et non au travers de tribunes publiées anonymement. “Le crédit est donné à la dénonciation anonyme, synonyme d’une parole libérée, alors même que les accusations sont portées sans preuves, déplore le juriste. Lorsqu’un dirigeant fait l’objet, à tort, d’une accusation de harcèlement sexuel, il s’agit bien de diffamation”.
Le “Name and Shame” (dénoncer publiquement) ou “l’effet Streisand” (un phénomène limité qui prend une ampleur incontrôlable) amplifient la viralité propre aux réseaux sociaux : le risque réputationnel peut faire dévisser un cours de Bourse. La difficulté réside donc dans l’arbitrage entre le droit de s’exprimer librement dans l’entreprise qui est fondamental et qui ne souffre aucune exception et le respect de la dignité humaine ou l’atteinte aux intérêts de l’entreprise.
De plus, un cadre de direction dispose du même droit de s’exprimer qu’un autre salarié. “Pour autant, que penser des critiques émises par ce même cadre de direction à l’encontre de la stratégie commerciale de l’entreprise envers laquelle l’intéressé, compte tenu de son statut, niveau de responsabilités et de fonctions, doit théoriquement se montrer solidaire ?”, pointe l’avocat. Ce dernier préconise de mettre en place une charte, “si possible négociée avec les partenaires sociaux et annexée au règlement intérieur de l’entreprise où figurent les conditions d’utilisation des réseaux sociaux”.
*Les prénoms ont été anonymisés.
Source