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Trump trop vieux pour être président ? “Si Poutine commence à le voir comme un homme faible…”


C’est l’une des questions qui a secoué la course à la Maison-Blanche : avec ses trous de mémoire, sa démarche incertaine et ses incohérences verbales, Joe Biden était-il sénile ? Pendant de longues semaines, professionnels de santé et commentateurs en tous genres ont tenté de diagnostiquer le président sortant de 81 ans à l’aune de ses interventions télévisées. En face, Donald Trump, 78 ans, n’a pas subi le même traitement. C’était avant que Joe Biden ne cède sa place à Kamala Harris, sa vice-présidente. Depuis, l’éternel businessman fait lui aussi l’objet de soupçons, nourris par ses digressions et accès de colère…

Tactiques politiciennes, ou inquiétudes légitimes compte tenu de la hauteur de la tâche pour qui remporterait la course à la Maison-Blanche ? Quoi qu’il en soit, “l’image que l’on retient d’un leader en raison de son âge, qu’elle soit fidèle à la réalité ou non, a des conséquences politiques”, alerte Joshua Byun, professeur assistant en sciences politiques au Boston College et co-auteur avec Austin Carson (Université de Chicago) d’une riche étude intitulée “More than a Number: Aging Leaders in International Politics” (International Studies Quarterly).

Auprès de L’Express, Joshua Byun explique pourquoi spéculer sur l’âge d’un leader à partir de quelques secondes de performance télévisée, “c’est prendre le risque de vraiment changer le cours des choses sur le plan diplomatique, dans un sens comme dans l’autre”. Et analyse comment pourraient réagir les alliés et partenaires des Etats-Unis, mais également ses adversaires, si un Donald Trump rempilant pour un nouveau mandat finissait par donner de plus en plus de signes négatifs associés à la sénilité. A commencer par Vladimir Poutine… Entretien.

L’Express : Durant sa campagne, le président sortant, Joe Biden a fait l’objet de nombreux soupçons de sénilité, avant de se retirer de la course à la Maison-Blanche au profit de Kamala Harris. En face, Donald Trump, qui n’est que de quelques années seulement son cadet, n’a pas subi le même traitement malgré des incohérences et des déclarations parfois troublantes… Ce traitement différencié reposait-il sur des éléments rationnels ?

Joshua Byun : L’âge en tant que tel ne dit pas grand-chose. La vieillesse peut tout autant être perçue comme une source de sagesse que de déclin cognitif. Ce qui compte, aux yeux de l’opinion publique et des décideurs, ce sont les signaux envoyés par la personne en question au vu de son âge. C’est cela qui conditionnera la façon dont elle sera perçue, quelle que soit la réalité derrière. Je vous donne un exemple : buter sur certains mots, avoir des trous de mémoire, sembler désorienté sont autant de traits que je suis moi-même susceptible d’adopter dans mes mauvais jours (rires). Pour autant, il y a peu de chances que cela soit interprété comme de la sénilité car je suis bien plus jeune que Trump ou Biden. Ça n’est donc pas l’âge qui détermine si un individu sera perçu comme sénile, mais son comportement qui, s’il présentecertains stéréotypes, sera alors perçu comme celui d’une personne diminuée.

Cela étant, comme vous l’avez dit, Trump a eu lui aussi ses moments de flou, de nature en théorie à semer le doute. Alors pourquoi n’a-t-il pas subi le même traitement ? Car les signaux de vigueur et de force l’ont emporté à des moments-clés, comme après la tentative d’assassinat qu’il a subie où il s’est présenté comme un homme combattif et résilient. A-t-il fait des efforts pour se montrer sous ce jour ? Est-ce l’habitude, en tant que businessman aguerri aux caméras – là où Biden n’a jamais été un excellent orateur ? On ne le saura sans doute jamais. Reste que dans le match Biden-Trump, sur la question de l’âge, c’est Trump qui a gagné. Permettez-moi cependant de souligner que l’adversaire a changé. Et Kamala Harris, elle, a à peine 60 ans. Ça n’est donc plus Biden, mais Trump qui fait désormais l’objet d’un examen minutieux de son état de santé. A voir ce qu’il en ressortira…

Faut-il comprendre que spéculer sur l’âge d’un leader ou d’un candidat serait hors de propos pour juger de sa compétence ?

Non. Je ne blâme pas les commentateurs d’avoir eu des inquiétudes sur Joe Biden, car les enjeux de santé sont évidemment importants lorsque l’on ambitionne d’occuper la Maison-Blanche pour les cinq prochaines années. Mais ce que je veux dire aussi, c’est que l’image que l’on retient d’un leader en raison de son âge, qu’elle soit fidèle à la réalité ou non, a des conséquences politiques. Je mettrais donc en garde contre les diagnostics hâtifs. Aux Etats-Unis, l’American Medical Association interdit explicitement aux médecins et professionnels de santé de porter des jugements sur les personnalités publiques et célébrités au seul vu de leurs interventions publiques. Et pour cause : juger des performances télévisées sur la base de quelques secondes d’interventions, c’est prendre le risque de vraiment changer le cours des choses sur le plan diplomatique, dans un sens comme dans l’autre…

Que voulez-vous dire ?

Dans le passé, des dirigeants ont été soupçonnés de sénilité sur la base de critères peu fiables. Dans l’étude que j’ai menée avec Austin Carson, nous avons examiné le cas de Mao Zedong, président de la République populaire de Chine entre 1954 et 1976. Il faut savoir que tout au long des années 60, les analystes du renseignement et les décideurs politiques américains n’avaient pas accès à des données de première main. Leurs interprétations se fondaient donc sur des récits de tiers, des ouï-dire… C’est dans ce contexte qu’est né le récit, majoritaire à Washington, présentant Mao comme un vieillard sénile. Un rapport de la CIA daté de 1964 rapportait par exemple que si Mao avait été “autrefois” un orateur énergique et un écrivain prolifique et efficace, “aucune production importante [n’avait] été revendiquée pour lui depuis 1957”. Pourquoi est-ce important ? Parce que cela a eu des implications politiques. Notamment en décourageant davantage les États-Unis de poursuivre sérieusement l’idée d’un rapprochement décisif avec Pékin pour contrer l’adversaire soviétique.

Puis il y a eu la célèbre réconciliation entre Mao et Nixon en 1972… Que s’est-il passé ?

L’inverse ! Ironiquement, c’est lorsque Henry Kissinger [NDLR : ce dernier fut conseiller à la sécurité nationale puis secrétaire d’Etat sous Richard Nixon] a rencontré Mao en personne lors de ses visites en Chine au début des années 70 que la tendance s’est inversée, car lui n’a pas du tout porté le même regard sur Mao que les précédents observateurs. Pour cause : il lui a parlé de vive voix. Dans ses notes à Nixon datées de 1973, Kissinger décrit ainsi Mao comme ayant, au cours de leurs échanges, “couvert toutes les grandes questions internationales avec subtilité et perspicacité” et “sans une seule note de sa part”. “Rétrospectivement, il est clair qu’il était très malade lorsque vous l’avez vu”, ajoutait-il. Vous l’aurez compris, c’était une sorte d’aveu que les Etats-Unis s’étaient peut-être trompés sur l’état de santé du leader chinois. Ce revirement a donc eu un impact majeur pour la suite concernant l’engagement diplomatique des Etats-Unis avec la Chine. Et les relations se sont davantage détendues pendant un moment.

Vous recherches révèlent également ce que peut donner un trop plein de confiance en la “sagesse” d’un dirigeant âgé…

Absolument. Lorsque Syngman Rhee est devenu le premier président de la Corée du Sud (le pays venait d’obtenir son indépendance), il avait 73 ans. Même s’il ne mettait pas tout le monde d’accord car il défendait le bienfondé de la guerre de Corée, Rhee a rapidement été perçu, selon les termes d’un général américain qui s’exprimait dans les années 50, comme un “vieux patriote astucieux”, sachant “comment obtenir ce qu’il veut”. Avec cette perception élogieuse du leader sud-coréen, les décideurs américains étaient donc persuadés que travailler avec lui serait le meilleur moyen d’obtenir l’indépendance du pays. Mais il y a eu un hic : à la fin des années 1950, la sénilité apparente de Rhee a surgi au grand jour. Plusieurs rapports ont alors commencé à faire état de difficultés à suivre un échange, de signes de faiblesse, de trous de mémoire.

Conséquence : Washington a revu ses ambitions et changé son fusil d’épaule en se mettant à soutenir les opposants de Rhee, qui l’ont finalement révoqué du pouvoir en 1960… Là encore, les écrits parlent d’eux-mêmes : lors de sa dernière réunion avec lui, en avril 1960, Walter McConaughy, l’ambassadeur des Etats-Unis en Corée du Sud, a télégraphié au Département d’Etat un mot disant que si les Etats-Unis considéraient Rhee comme le “George Washington” de la Corée du Sud, il était temps pour cet “homme d’Etat âgé” de transmettre le pouvoir aux “jeunes hommes”.

Au vu de ces deux cas historiques, on est tenté de vous demander ce qui pourrait se produire sur le plan diplomatique si un Donald Trump au pouvoir finissait par donner des signes de sénilité…

Si cela se produit, la confiance des alliés des États-Unis dans le leadership américain pourrait s’en trouver encore plus ébranlée. Et, à long terme, cela pourrait nuire aux relations bilatérales ou conduire à divers revirements politiques. En d’autres termes : si Trump montre de plus en plus d’indicateurs négatifs associés à la sénilité, tels que des raisonnements simplistes, des signes de paranoïa, ou des accès de colère, alors les doutes concernant sa capacité à maintenir la sécurité des Etats-Unis pourraient refroidir certains partenaires étatiques, voire les amener à vouloir se tourner davantage vers son entourage que lui-même pour échanger (ce qui s’était produit avec Rhee).

Du côté des adversaires des Etats-Unis, ça ne serait sans doute pas plus réjouissant. Car un tel comportement pourrait envoyer le signal que l’Ouest baisse la garde. Je me garderai de donner un pronostic définitif, mais un point de vigilance important me semble être du côté de Vladimir Poutine qui, malheureusement, poursuit sa guerre contre l’Ukraine. Si le Kremlin commence à voir Donald Trump comme un homme faible aveuglé par sa sénilité, cela pourrait amener Poutine à durcir un peu plus sa position dans le cadre de négociations, persuadé que Trump serait incapable de gérer les différents allers-retours diplomatiques que lui incomberait sa position à la Maison-Blanche. Mais tout ceci reste de l’ordre de la conjecture. L’image que charrie un leader du fait de son âge n’est pas irrévocable, comme le montre le précédent avec Mao Zedong… Même si, il faut le reconnaître, changer sa propre image n’est pas facile. Il faut avoir les arguments pour.

Concernant Vladimir Poutine, les conjectures concernant son état de santé vont bon train. Certains le disent justement “sénile”…

Je serais très prudent sur son cas. Pour moi, faire une telle supposition est très dangereux. J’ai bien sûr pris connaissance des différentes théories le concernant, notamment après sa fameuse interview avec Tucker Carlson, au cours de laquelle il a alterné entre propos fantaisistes et divagations passéistes. Mais attention à ne pas nous laisser aveugler par nos propres biais occidentaux, car nous condamnons ses actions et la guerre qu’il mène en Ukraine. Faire des interprétations en fonction non pas de ce que nous voyons, mais ce que nous voudrions, ça n’est donc pas porter un diagnostic mais formuler un vœu.

Là encore, cela pourrait avoir de sérieuses implications sur l’issue de la guerre. Si nous pensons que les choix de Poutine ne sont pas conjoncturels mais “dispositionnels”, c’est-à-dire qu’ils découlent d’un trait personnel inhérent, d’un esprit “malade” et non de son calcul politique, alors nous faisons une croix sur la possibilité de négocier avec lui et d’éviter des souffrances inutiles, aussi infime soit-elle. Et cela revient à signer un chèque en blanc pour que cette guerre ne se termine jamais, ou qu’elle se termine très mal.

Si les projections faites sur la vieillesse d’un leader peuvent avoir de sérieuses implications politiques, la jeunesse peut-elle charrier les mêmes effets ? Emmanuel Macron, le président de la République française et Gabriel Attal, qui a été son Premier ministre, étaient très jeunes lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir…

C’est en tout cas une question qui mériterait de faire l’objet de plus amples recherches. Je n’ai pas de réponse sérieuse à vous apporter, mais cela me fait penser à une anecdote qui vous éclairera peut-être : lorsque le jeune et fringuant John F. Kennedy est entré en fonction en 1961, le moins jeune Konrad Adenauer était, lui, en poste en Allemagne. Il avait 87 ans, Kennedy en avait 43. Évidemment, cela a suscité des ragots. Aux Etats-Unis, certains disaient d’Adenauer qu’il était sénile. Mais Kennedy n’était pas épargné non plus ! Dans certains de ses écrits, Adenauer a parfois critiqué la jeunesse de Kennedy et son entourage, qu’il jugeait trop jeune, donc inexpérimenté. Vous voyez, les jugements négatifs ne sont pas l’apanage des vieux sages…




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