Les chiffres sont énormes, affolants. Sans mesures correctives, le déficit de la Sécurité sociale atteindra 28,4 milliards d’euros l’an prochain, après déjà 18,5 milliards cette année et 10,8 milliards en 2023. Un déficit largement alimenté par la branche maladie, dont les comptes devraient s’afficher en négatif de 14,7 milliards en 2024 et 18,7 milliards l’an prochain. Ce dérapage d’une ampleur jamais vue appelle à l’évidence des dispositions fortes.
Il appelle aussi à une nécessaire explication sur ses causes réelles. Explications que l’on a peiné à entendre ces dernières semaines. Pour en savoir plus, rien ne vaut une plongée dans les écrits de la Commission des comptes de la Sécurité sociale. D’une lecture austère, pour ne pas dire rébarbative, ses rapports se révèlent pourtant éclairants. Qu’y apprend-on ? D’abord qu’il convient de “rapprocher le déficit de la branche maladie pour les années 2023 et suivantes des financements accordés au titre du Ségur de la santé” – 13,2 milliards de dépenses rien qu’au titre de 2023. Des dépenses pérennes qui “n’ont pas été couvertes par l’affectation de ressources supplémentaires”, constatent les experts de la Commission.
Ces spécialistes se sont aussi attachés à distinguer l’effet des crises récentes – pandémie, choc inflationniste… – dans l’évolution des dépenses de santé. Leurs conclusions ? Hors “événements exceptionnels”, entre 2019 et 2023, les dépenses dans le champ de l’ONDAM, l’objectif voté chaque année par le Parlement, ont progressé de 2,9 % par an, “se rapprochant ainsi des évolutions d’avant crise”.
Des déremboursements aux lourds enjeux
En clair, le déficit de l’Assurance maladie s’explique bien davantage par le non-financement des revalorisations accordées au personnel hospitalier au sortir de la pandémie que par une envolée totalement incontrôlée des dépenses. Les conséquences restent les mêmes : face à l’urgence de renflouer les caisses et dans un contexte de tensions généralisées sur les finances publiques, le gouvernement n’a d’autre choix que de proposer un coup de rabot, avec des mesures de déremboursement et donc d’augmentation de la part des soins restant à la charge des patients ou de leur complémentaire santé s’ils en ont une.
Une décision lourde d’enjeux – perte de pouvoir d’achat, hausse des tarifs des complémentaires, renforcement des inégalités, potentielle mise à mal de l’adhésion d’une partie de la population aux principes de la Sécurité sociale (pourquoi continuer à cotiser pour une couverture qui s’amenuise ?)… Une décision qui, surtout, oblige à s’interroger pour l’avenir.
Sauf à mettre en péril le bel édifice de la Sécurité sociale, auquel les Français sont si attachés, nous devons nous demander comment sortir de cette politique de la peau de chagrin. Car au-delà des difficultés actuelles, lourdes mais ponctuelles, liées au choix légitime et impérieux de défendre l’attractivité de l’hôpital, peut-on sérieusement envisager de voir les dépenses continuer à progresser au rythme “habituel” de 2,9 % par an en moyenne – et probablement encore plus à l’avenir, sous l’effet du vieillissement de la population et de la technicité croissante des soins ?
Investir dans la prévention
Une véritable politique de maîtrise s’impose. On peut douter que les recettes classiques utilisées jusqu’ici (lutte contre les abus et les fraudes, maîtrise des prescriptions, pression sur les prix des produits de santé…), pour indispensables qu’elles soient, suffiront. Car avec le vieillissement de la population, la croissance des dépenses sera toujours plus alimentée par l’augmentation des pathologies chroniques – diabète, cancers, maladies cardiovasculaires, maladies psychiatriques.
Face à ce défi, la réponse est connue : elle passe par la prévention, en particulier à travers deux leviers majeurs (à côté de la lutte contre la cigarette et l’alcool) : l’alimentation et l’activité physique. Le constat fait l’unanimité, le passage à l’action s’avère bien plus difficile. Sans même parler des difficultés à mettre en œuvre des mesures de type fiscalité comportementale, comme on le voit encore aujourd’hui avec la taxe sur le sucre, agir suppose d’investir. Le champ des possibles est immense : consultations dédiées, sport-santé, check-up cardiovasculaire autour de la quarantaine pour ne donner que quelques exemples.
Mais investir aujourd’hui pour éviter des dépenses dans plusieurs années s’avère impossible dans le carcan d’un texte budgétaire, la loi de financement de la Sécurité sociale, dont le seul objectif est de trouver des économies de court terme. Pour sortir de cette impasse, une approche pluriannuelle des dépenses de santé, à travers une loi de programmation, est nécessaire. Une telle réforme n’empêcherait nullement les ajustements de court terme, mais elle autoriserait à penser le moyen terme. Sur le terrain, la plupart des acteurs (professionnels de santé, représentants des patients, établissements, laboratoires…) la demandent. Quel politique saura les entendre ?
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