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Son regard sur Donald Trump, son ami Vincent Bolloré… Les confessions de Philippe Labro


Rien à faire : en 2024, Philippe Labro continue de prolonger l’année 1954. Elvis Presley commence alors à faire des siennes à Memphis et le jeune Français finit avec tristesse son programme d’échange à l’université Washington and Lee, en Virginie. Va-t-il devoir plier bagage ? “Je m’éclatais sur ce campus, je voulais rester mais je devais repartir. Un soir, après la cérémonie des diplômes, j’étais un peu bourré – ça picolait sec, là-bas. Je me suis plaint devant des anciens élèves du fait qu’on ne me renouvellerait pas ma bourse. Je travaillais pour le journal, j’aimais l’endroit, et ces salauds ne voulaient pas me garder ! J’interpellai presque un vieux monsieur. J’ai fini par rentrer ivre au dortoir… Le lendemain, le doyen me réclame. Je mets mon costume et ma cravate et j’arrive dans son bureau pétrifié de trouille. Il me demande si je connais un certain Bland Terry – le vieux monsieur de la veille. Ce dernier, un des plus fortunés alumni de Washington and Lee, dirigeait une entreprise de chaussures en Floride. M’ayant entendu, il venait de demander mon dossier et, au vu de mes notes et de mon classement, il avait décidé de créer une bourse spécialement pour moi. Je dois tout à la générosité de cet homme qui m’a permis de faire un an de plus.”

Sept décennies ont filé et, nous racontant l’anecdote dans un salon de la maison Gallimard, Philippe Labro est ému. A sa main gauche, il a toujours la chevalière de Washington and Lee, jamais enlevée depuis : “La plupart des Américains la délaissent au bout de quelques années après leurs études. Je l’ai gardée comme un fétiche. C’est du lapis-lazuli. Elle est belle, non ? Les gens se moquaient de moi à Paris, ils trouvaient ça vulgaire, plouc. C’est ma jeunesse, mes souvenirs…”

De la nostalgie, il y en a beaucoup dans Deux gimlets sur la 5e Avenue, la charmante novella que vient de publier l’éternel étudiant étranger, désormais âgé de 88 ans mais toujours aussi vif, à l’écrit comme à l’oral. L’action du livre se situe d’abord à Paris, en 1961. Une fille plaque un garçon. Ils se retrouvent par hasard à New York en 2001, juste après le 11 Septembre. Autour de quelques gimlets (le cocktail qui donne son titre au roman), ils se racontent leurs vies. Se remettront-ils ensemble quarante ans plus tard ? Après tout, l’Amérique est le continent de la deuxième chance…

Pour sa part, Philippe Labro n’a jamais renié sa passion pour les Etats-Unis, dont il est un spécialiste – il se trouvait notamment là-bas en 1963, lors de l’assassinat de Kennedy. On le sonde sur l’élection présidentielle du 5 novembre, mais il se montre prudent : “Je suis infoutu de prédire le résultat. C’est un pays beaucoup plus fracturé qu’autrefois. Le Parti républicain, qui était celui d’Abraham Lincoln, des droits de l’homme et des droits civiques, est maintenant celui de Donald Trump, à l’opposé d’une grande partie de nos valeurs. Néanmoins, Trump a des qualités : il est énergique, combatif, malin, charismatique… Manipulateur, aussi. Surtout, il avait compris avant Hillary Clinton qu’il y a en Amérique des équivalents des gilets jaunes, dont il faut se préoccuper, quand elle y voyait des ‘déplorables’… Hillary Clinton avait fait des erreurs très graves, Kamala Harris en commet moins.”

Le “fiacre” Bolloré

Philippe Labro est-il un homme de droite ? Avec un certain dandysme, il s’amuse à le nier, se comparant à un essuie-glace. Il est vrai que, en tant qu’homme de médias, il a toujours défendu le journalisme de faits contre les partis pris idéologiques. La vieille camaraderie qui le lie à Vincent Bolloré, avec lequel il avait lancé Direct 8 et Direct Matin en 2005, ne le classe-t-elle pas quand même un peu ? Il s’en défend : “Lorsque j’ai vécu une terrible dépression, puis un problème pneumologique, Vincent était là. Jean Contrucci, journaliste à La Provence, m’avait dit lors de la publication de La Traversée : ‘Les amis, c’est comme les fiacres, on n’en trouve pas beaucoup quand il pleut.’ Vincent, c’est un fiacre ! Il est fidèle et loyal. Sur C8, j’ai mon indépendance et ma liberté. Dans mon émission L’Essentiel chez Labro, j’invite qui je veux, des écrivains, des artistes, des chanteurs et des chanteuses, pour cinquante-deux minutes de pure culture, sans positionnement politique.”

En vérité, plus qu’une illusoire droitisation, c’est son éclectisme qui a toujours été reproché à Philippe Labro. Comment peut-on plaire à Télérama ou au jury du prix Médicis quand on a présenté le journal télévisé d’Antenne 2, tenu les rênes de RTL, réalisé des films et écrit des chansons pour Johnny Hallyday ? L’ancien ami de Tom Wolfe en rit avec la même espièglerie que l’auteur du Gauchisme de Park Avenue : “Tant pis si je n’ai pas eu le Goncourt pour Le Petit Garçon en 1990. Je suis comme Piaf : je ne regrette rien, ni bien ni le mal… La reconnaissance des lecteurs et des lectrices, c’est la seule chose qui compte. De Kléber Haedens à Eric Neuhoff en passant par François Nourissier, j’ai toujours eu droit à beaucoup de beaux articles. Mais il s’est passé ceci : dans la chapelle qui s’étend entre le Ve et le VIIe arrondissements de Paris, personne n’admettait l’idée que ce type qui dirigeait une station populaire et bénéficiait d’un chauffeur pouvait être un romancier. Ça ne tenait pas debout ! C’était inacceptable, insupportable. L’année de la publication du Petit Garçon, à la Foire du livre de Brive, André Stil, juré communiste du Goncourt, m’avait lâché : ‘Vous avez déclenché un orage de jalousie !’ Les membres de cette petite société ne peuvent pas admettre un ostrogoth comme moi.”

La leçon de Pierre Lazareff

N’en déplaise aux envieux, l’ex-boss de RTL a construit une véritable œuvre, ainsi que l’avait rappelé Ecrits américains, le volume paru l’an dernier dans la collection Quarto. De tout ce qu’il a produit, que retient le principal intéressé ? “Il faut essayer de prendre du recul. Deux ou trois de mes films tiennent le coup, c’est pas mal. L’écriture des livres, une vingtaine de romans et récits, c’est ce qui compte le plus pour moi. Je suis surtout fier de Des feux mal éteints, paru en 1967, où je traite de la guerre d’Algérie. Comme parolier de Johnny, j’aimerais qu’on se souvienne d’Oh ! Ma jolie Sarah, de Fils de personne et Poème sur la 7e. N’oubliez pas que j’ai aussi écrit pour Jane Birkin, entre autres Lolita Go Home et French Graffiti, chanson assez provocatrice. Allez la réécouter, vous vous direz : qu’est-ce qu’il nous a mis là-dedans, le petit Labro !”.

Lecteur curieux, le grand Philippe retient deux livres de cette rentrée : Récits de certains faits de Yasmina Reza et Cabane d’Abel Quentin. Toujours dans le coup, il ne manque pas une occasion de rendre hommage à ceux qui lui ont mis le pied à l’étrier. Au fil de notre discussion, il loue ainsi Jean-Pierre Melville, Pierre Desgraupes, Pierre Dumayet, Jean Farran… Quand Labro était jeune, Pierre Lazareff (“ce génie de la presse”) lui avait donné ce conseil : “A défaut d’être intelligent, soyez intelligible.” Il a retenu la leçon : “Voir, faire voir, être clair et limpide : j’ai gardé ce souci de la limpidité, pour être lu par tout le monde. Je ne suis pas sûr d’avoir des héritiers – franchement, je suis très modeste sur ce plan ! Mais j’ai eu des mentors. J’avais ainsi une dévotion pour Simon Leys, qui était ironique, dupe de rien, très fin quand il décortiquait les autres écrivains (son Protée sur Gide est une merveille). La famille orwellienne, aronienne, camusienne : au bout du compte, c’est cette école de pensée qui l’emporte sur les autres.”

Deux gimlets sur la 5e Avenue, par Philippe Labro. Gallimard, 123 p., 17 €.




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