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Stéphane Séjourné à la Commission européenne : ce grand oral qu’il ne faut surtout pas rater


Pour bachoter avant un grand oral, rien ne vaut la fiche cartonnée format A5, 14,8 cm x 21 cm. Il en a fallu plus d’une centaine pour synthétiser les enjeux du portefeuille promis à Stéphane Séjourné, le candidat de la France pour la Commission européenne. Mots et chiffres clés sur le marché intérieur, la politique industrielle, le numérique ou encore les législations sur les produits chimiques… tout doit rentrer sur la face recto des fameuses fiches.

Depuis la mi-septembre, celui qui doit devenir le vice-président exécutif de la Commission chargé de la Prospérité et de la Stratégie industrielle planche plus de douze heures chaque jour. L’éphémère ministre des Affaires étrangères d’Emmanuel Macron prépare un examen de passage sans équivalent dans l’Hexagone – rien de tel pour entrer au gouvernement. A Bruxelles, tous les aspirants désignés par leur pays doivent passer sur le gril des commissions du Parlement européen. Sans leur feu vert, ils ne peuvent pas entrer en fonction. Et ce n’est pas une formalité : en 2019, trois candidats ont échoué lors de leur audition, dont la centriste Sylvie Goulard, choisie au départ par le président français, et finalement remplacée par Thierry Breton.

Moscovici ne révisa que la veille

“Quand vous êtes soumis à cet exercice de plus de trois heures, en direct, sans collaborateur, mais avec les caméras braquées sur vous, vous êtes obligés de démontrer votre compétence. Il faut pouvoir réagir et ne pas être mis le dos au mur”, avait raconté à L’Express Michel Barnier, qui a passé le test en janvier 2010, avant de s’occuper du Marché intérieur et des Services financiers. “Je n’ai jamais préparé un examen aussi sérieusement”, avouait l’actuel Premier ministre, qui avait notamment dû se plonger dans les arcanes des marchés financiers. Le Savoyard avait consciencieusement préparé par écrit des réponses à plus de 300 questions potentielles. Cinq ans plus tard, Pierre Moscovici préfère miser sur son expérience de député européen et de titulaire de Bercy. C’est seulement la veille de son audition, après un dernier dîner au restaurant, que le futur commissaire aux Affaires économiques compulse les fiches A5 imprimées pour lui ! Le lendemain, il sèche un peu sur les questions techniques concernant les douanes…

Pendant les révisions, candidats et candidates n’ont droit qu’à deux collaborateurs à plein temps, un administrateur – le plus souvent la personne qui dirigera ensuite leur cabinet – et un assistant. Actuellement, les futurs membres de la deuxième Commission von der Leyen logent dans de petits bureaux provisoires au “Charlemagne”, un immeuble en face du “Berlaymont”, le centre du pouvoir qu’ils rejoindront le 1er décembre, si tout se passe comme prévu. “Il y a un côté camp scout, nous partageons tous la même imprimante et la machine à café”, sourit l’un des occupants des lieux. C’est d’ailleurs ensemble que les prétendants ont rédigé les réponses aux questions écrites soumises en amont par les députés, histoire d’éviter des contradictions qui pourraient les piéger pendant leurs oraux.

Filtrer les “psychopathes”

Chacun peut appeler à la rescousse les services de la Commission. Tous les cinq ans, les fonctionnaires préparent des “briefing books”, des bibles sur les dossiers importants qui attendent la nouvelle équipe. Ils sont à disposition pour venir détailler les enjeux qui attendent l’Europe. Candidats et candidates tentent également d’amadouer le Parlement européen avant le jour J. Pendant sa campagne éclair en 2019, Thierry Breton campait quasiment dans les couloirs, afin de séduire un maximum d’élus. Selon son entourage, Stéphane Séjourné a aligné des têtes à tête de 45 minutes avec les députés les plus influents. L’occasion aussi de pratiquer à nouveau son anglais (moins mauvais qu’on ne le dit) et son espagnol (il est bilingue), après une parenthèse de huit mois à Paris. L’ancien président du groupe centriste au Parlement européen a réactivé ses contacts, rencontrant plus de 100 eurodéputés sur 720.

“Cette période est centrale pour cranter les grandes priorités du mandat”, estime Thomas Pellerin-Carlin, fraîchement élu chez les socio-démocrates. Cet expert des questions énergétiques veut y voir un temps démocratique “où le gouvernement de l’Europe présente ses orientations générales pour les faire valider par le Parlement”. Vieux briscard de Strasbourg, l’Allemand Andreas Schwab se montre plus cynique : “Nous sommes allés un peu trop loin la dernière fois en faisant chuter trois commissaires. “Cette fois, cela s’annonce comme un simple moment de procédure plutôt qu’un véritable examen, car les auditions ont lieu en même temps que l’élection américaine”, veut croire cet élu conservateur spécialiste du marché intérieur. Effectivement pas le moment idéal pour déclencher une crise qui retarderait l’entrée en fonction de la nouvelle Commission. “Il s’agira avant tout de regarder s’il n’y a aucun psychopathe”, renchérit, pince-sans-rire, un autre pilier du Parlement.

Sylvie Goulard était condamnée d’avance

En coulisses, les groupes politiques s’épient pourtant depuis des semaines, misant sur un équilibre de la terreur digne de la série américaine House of cards. Certes, les chefs de groupe assurent tous la main sur le cœur qu’ils ne tireront pas les premiers. Mais en réalité, les stratèges de chaque parti sont sur leurs gardes. Car chacun sait bien que l’élimination du représentant d’un camp fera des victimes collatérales dans les autres familles. Ainsi, en 2019, les macronistes avaient largement contribué au rejet du Hongrois Lazslo Trocsanyi, étiqueté conservateur, et de la socialiste roumaine Rovana Plumb, sans réaliser qu’ils condamnaient du même coup… Sylvie Goulard ! “On avait décidé de la tuer avant même sa performance”, reconnaît-on aujourd’hui candidement dans les rangs de la droite européenne.

Cet automne, l’attention s’est beaucoup concentrée sur l’Italien Raffaele Fitto. La gauche et le centre ne digèrent pas que ce proche de Giorgia Meloni ait obtenu l’une des six vice-présidences de la Commission. Le flirt de moins en moins discret des conservateurs avec les souverainistes et l’extrême droite passe mal. Valérie Hayer, qui dirige le groupe centriste et libéral, aurait bien aimé que l’envoyé de Rome morde la poussière. Mais “s’ils touchent à Fitto, gare à la socialiste espagnole Teresa Ribera et à Stéphane Séjourné”, pointe un stratège. L’Elysée, échaudée par l’expérience Goulard et par la démission tonitruante de Thierry Breton en septembre, a fait pression pour que rien ne bouge et qu’il n’arrive pas malheur à son poulain.

Tout se clarifiera le 12 novembre, date à laquelle les vice-présidents passeront, après tous les autres (qui débuteront le 5), leur grand oral. Ce calendrier, voulu par la droite, permet de lier leurs sorts. Il faudra attendre cette date pour évaluer si le millésime 2024 des auditions européennes tient plus du brutal rapport de force ou de l’exercice démocratique. En attendant, les candidats, eux, n’ont d’autre choix que de continuer à bachoter. Dans la dernière ligne droite, certains ont prévu de s’exercer via des oraux blancs où leurs proches joueront le rôle des eurodéputés les plus mordants.




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