Un refus net et glacial. C’est ainsi qu’en 2017 les associations de victimes du 13 novembre 2015 avaient accueilli la nouvelle du tournage d’un téléfilm sur les attaques à destination de France Télévisions. “Ils jugeaient l’initiative précipitée. La fiction a attendu deux ans pour être diffusée”, raconte Christian Delage, historien et réalisateur d’un documentaire sur les victimes des attentats. Neuf ans plus tard, les choses ont bien changé. Après la fiction de France 2, ces événements tragiques ont été abondamment racontés en films (dans une allusion à peine voilée dans Revoir Paris d’Alice Winocur, ou dans Novembre de Cédric Jimenez) et en séries (En Thérapie, sur Arte, ou encore Une amie dévouée, sur Max).
Une petite dernière arrive sur M6. Dans Les Espions de la terreur, diffusé à partir du 12 novembre, Franck Philippon, son créateur, retrace la traque des coupables des attentats du 13 novembre 2015. Les agents de la DGSI et de la DGSE doivent s’allier pour percer à jour l’Amniyat, l’appareil de renseignement bien huilé de l’Etat islamique. Entre enquête policière, procédure judiciaire et guéguerres de services, la série livre une transcription convaincante de l’enquête éponyme dont elle est adaptée. Difficile de ne pas voir dans les espions perclus de fêlures du feuilleton la tentation de reproduire la recette du Bureau des légendes. Avec un but en plus : comme la plupart des auteurs de fictions et documents traitant de ce jour fatidique, Philippon met en avant l’objectif “cathartique” de son feuilleton.
Comprendre l’indicible
Au-delà de l’enquête, la série intrigue autant pour ce qu’elle veut dire que pour ce qu’elle représente : une manière, à la fois collective et individuelle, de digérer le traumatisme. L’observation est d’ailleurs valable pour chaque fiction se saisissant du sujet. Quand En thérapie le traitait sous le prisme littéral de la psychanalyse, Une amie dévouée par le truchement de l’arnaque (“Qui est victime et qui ne l’est pas ?”), Les Espions de la terreur offre une variation côté thriller.
Cette obsession à malaxer des tragédies est aussi troublante que récente. Dans un article publié en 2002, la critique américaine Shoshana Felman présentait les cent dernières années comme “le siècle du traumatisme”. Un traumatisme longtemps tu, inaudible pour le public du siècle précédent. Représenter l’horreur et ses ramifications à l’écran, c’était risquer d’échouer – pis, de les rendre triviaux. Dans son documentaire Nuit et brouillard en 1955, Alain Resnais remarquait : “On ne peut plus rien dire”, face à l’horreur de la Shoah. Plus tard, les Etats-Unis allaient laisser passer dix ans avant de raconter au cinéma les fantômes de la guerre du Vietnam. Il leur faudra six ans pour faire revivre à travers la fiction ceux du 11 septembre 2001, de manière massive. Ni la France00 ni le 13 novembre 2015 n’ont échappé à cette accélération du temps. A rebours d’un XXe siècle fait de zones d’ombre et de silence, l’industrie culturelle actuelle entend désormais documenter chaque événement, même le plus traumatisant. Faire œuvre de transparence, pour mieux comprendre l’indicible ?
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