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Naïf et natif, cheptel et capital… Ces mots qui sont cousins sans en avoir l’air


Connaissez-vous les doublets ? Non ? Pour simplifier, on pourrait affirmer que ce sont un peu les faux jumeaux de la langue française. Autrement dit, deux mots qui ont exactement la même origine, mais dont la forme et le sens diffèrent, au point qu’il est parfois difficile de deviner leur parenté.

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Pour éclaircir cet apparent mystère, il faut savoir que chaque terme composant ces paires est issu de deux processus très différents. Dans le premier cas, le mot latin, transmis de génération en génération, a connu une évolution naturelle de l’Antiquité à nos jours. Auscultare, par exemple, a fini par donner “écouter” ; coagulare, “cailler” ; fugere, “fuir” ; rigidu, “raide” et ainsi de suite.

Dans le deuxième cas, les choses ne sont pas du tout déroulées de la même manière et, pour le comprendre, il faut remonter au Moyen Age. A cette époque, certains concepts n’ont pas encore d’équivalents en français. Pour pallier cette difficulté, on a alors choisi de repartir du mot latin d’origine (on parle d’étymon), que l’on s’est contenté de franciser à la marge. Reprenons les exemples précédents : à partir d’auscultare, on a créé “ausculter” ; à partir de coagulare, “coaguler” ; à partir de fugere, “fuguer” ; à partir de rigidu, “rigide”.

Résultat ? Le français s’est alors retrouvé avec deux termes différents ayant une même origine. A ma droite : le mot populaire, qui avait évolué spontanément depuis l’époque gallo-romaine. A ma gauche, la création savante, forgée artificiellement. Ce qui nous donne donc “écouter” et “ausculter” ; “cailler” et “coaguler” ; “fuir” et “fuguer” ; “raide” et rigide”. C’est ce que l’on appelle les “doublets” lexicaux.

Vous l’aurez sans doute constaté : les vocables savants sont toujours plus proches de l’étymon antique que leurs cousins “naturels”, et c’est bien logique puisque les premiers ont été calqués sur la racine latine tandis que les seconds se sont transformés librement pendant des siècles. Vous l’aurez constaté aussi : chacun des deux termes a fini par se spécialiser au fil du temps. A défaut, Karl Marx aurait peut-être dénonmmé son célèbre livre Le Cheptel et non Le Capital, tous deux héritiers de capitalis

Ce procédé fut jugé si efficace qu’il a continué d’être appliqué tout au long des siècles suivants. Ainsi, le latin strictus, qui avait abouti à “étroit”, donnera-t-il naissance au XVIIIe siècle à “strict”. Il en va de même pour aquarium qui, après avoir évolué en “évier”, sera repris tel quel au XIXe siècle pour accompagner l’essor de la zoologie. Et tant d’autres ! Selon les linguistes, ces fameux doublets se compteraient par centaines.

Dans de nombreux cas, ils ont apporté à la langue française de simples nuances : “geindre” et “gémir” (gemere) ; “mâcher” et “mastiquer” (masticare) ; “muer” et “muter” (mutare) ; “porche” et portique” (porticus) ; “recouvrer” et “récupérer” (recuperare)…

Parfois, au contraire, les sens sont nettement distincts : “chose” et “cause” (causa) ; “hôtel” et “hôpital” (hospitalis) ; “gaine” et “vagin” (vagina) ; “livrer” et “libérer” (liberare) ; “métier” et “ministère” (ministerium) ; “naïf” et “natif” (nativus) ; “parole” et “parabole” (parabola) ; “peser” et “penser” (pensare) ; “raison” et “ration” (ratio) ; “répit” et “respect” (respectus). Citons encore des exemples aussi stupéfiants que “amande” et “amygdale” (amygdala); “essaim” et “examen” (examen); “tige” et “tibia” (tibia) ou “orteil” et “article” (articulum). Stupéfiants, mais véridiques : je vous en donne ma parabole !

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Source : Dictionnaire historique de la langue française. Editions Le Robert.

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