L’élection n’a pas encore eu lieu mais les républicains contestent déjà le résultat. Depuis des mois, Donald Trump ne cesse d’attaquer les démocrates, qu’il qualifie de “bande de tricheurs”. “Ils vont tricher. Ils trichent. Tout ce qu’ils veulent c’est tricher, a-t-il déclaré lors d’un meeting dans le Wisconsin. C’est la seule façon dont ils vont gagner. Et on ne peut pas laisser faire ça.” Il clame partout qu’il va gagner haut la main en citant certains sondages, beaucoup commandités par des conservateurs, qui le donnent en tête, pour montrer que sa victoire est inéluctable. S’il perd, c’est à cause d’une fraude massive, assure-t-il.
Plus de 130 actions en justice
L’ancien président reprend les tactiques de 2020. Voilà quatre ans, il a refusé d’admettre sa défaite et a accusé les démocrates d’avoir truqué le scrutin pour l’empêcher de rester au pouvoir. Dans la foulée, avec ses alliés, il a lancé plus de 60 recours en justice pour essayer de changer les résultats. Ils ont tous, sauf un sur une question mineure, été rejetés par les tribunaux, qui ont estimé irrecevables les accusations de fraude électorale. Plusieurs des avocats de Donald Trump derrière cette offensive ont été par la suite été rayés du barreau ou ont fait l’objet de poursuites judiciaires pour leurs tentatives de manipulation. Aujourd’hui encore, une majorité d’électeurs républicains demeure persuadée que l’élection de Joe Biden était usurpée…
La nouveauté, c’est que l’ancien président n’a pas attendu le lendemain du scrutin pour se mobiliser. Lui et ses fidèles ont recruté une armée d’avocats de renom pour lancer, ces derniers mois, plus de 130 actions en justice, un record, basées souvent sur des théories du complot. Les individus convaincus de la victoire de Donald Trump en 2020 ont intensifié leurs efforts. “Il y a quatre ans, ils étaient désorganisés et ont improvisé, estime Michael Waldman, le président du Brennan Center for Justice. Aujourd’hui, leurs initiatives sont bien financées, stratégiques et ciblées.”
Des recours dans les Etats clés
Ces recours, majoritairement dans les Etats clés, s’en prennent à tous les aspects du processus électoral. Ils cherchent d’abord à disqualifier certains électeurs. Ainsi, ils ont tenté, sans succès, de bloquer les suffrages d’Américains vivant à l’étranger. Donald Trump répète, sans preuves, que les listes électorales sont truffées de noms d’immigrés sans papiers, même si les citoyens non-américains votant illégalement aux Etats Unis sont excessivement rares. Dans plusieurs Etats, les républicains ont donc opéré une purge de leurs listes électorales. Dans l’Alabama, 3 000 personnes soupçonnées de ne pas avoir la nationalité ont été exclues, en Virginie 1 600… Or dans cet Etat, il semble qu’aucun étranger ne fasse partie des 1 600 individus rayés des listes. Il s’agit plutôt de citoyens américains qui ont fait des erreurs en s’inscrivant ou n’ont pas régularisé leur changement de statut.
La plupart des tribunaux n’ont pas admis ce “nettoyage” à quelques semaines du scrutin. La Cour suprême cependant vient d’autoriser la Virginie à continuer sa purge. Les républicains s’attaquent aussi au personnel des bureaux de vote, dont ils mettent en cause l’impartialité. Ils demandent notamment la présence de plus d’observateurs de leur camp. Ils ont eu gain de cause dans la ville de Detroit (Michigan) mais pas dans le Wisconsin voisin. Ils tentent aussi de supprimer le décompte de certains bulletins de vote par correspondance, postés avant le scrutin mais arrivés après. En Pennsylvanie, ils ont essayé de disqualifier les bulletins par courrier qui n’étaient pas mis dans deux enveloppes, comme le veut la règle. Sans succès. En revanche, ils ont réussi à empêcher que les étudiants de l’université de Chapel Hill, en Caroline du Nord, utilisent leur carte d’identité universitaire numérique pour voter.
Dans la plupart des cas, leurs plaintes sont rejetées par les tribunaux. Mais Donald Trump et ses alliés s’en moquent. Leur objectif n’est pas d’obtenir gain de cause. Ils veulent accumuler de soi-disant éléments à charge qu’ils utiliseront ensuite pour affirmer que la présidentielle a été manipulée. “La plupart des actions en justice du parti républicain visent des faits qui ne sont pas illégaux. Cela explique pourquoi ils perdent autant de recours, résume Marc Elias, un avocat démocrate associé à la campagne de Kamala Harris. Leur but est de saper la confiance dans les élections.” Si Donald Trump perd, sa base, convaincue qu’on lui a “volé” sa victoire, soutiendra, espère-t-il, ses efforts – légaux ou non – pour contester les résultats et potentiellement prendre le pouvoir.
L’ex-président s’active à tout-va pour décrédibiliser le système électoral et semer le doute sur son intégrité. Il partage des vidéos créées par la propagande russe où l’on voit par exemple un Haïtien avec plusieurs cartes d’identité qui se vante d’avoir voté plusieurs fois en Géorgie. Et ce n’est pas le seul “fake” qui circule… De plus, Donald Trump déforme et amplifie des incidents pour dénoncer les fraudes. Dans deux comtés de Pennsylvanie, les responsables ont découvert une série de formulaires d’inscription sur les listes électorales possiblement frauduleux. Donald Trump s’est emparé de l’information et a affirmé qu’on avait trouvé de faux bulletins de vote. “Ils ont déjà commencé à tricher [dans le comté] de Lancaster, a-t-il clamé. Tous les bulletins de vote étaient signés par la même personne.” Selon David Becker, directeur du Center for Election Innovation & Research, “il y a eu remarquablement peu de problèmes jusqu’ici dans le vote anticipé”. En tout, quelque 160 millions d’Américains votent mardi 5 novembre dans 10 000 juridictions avec des dizaines de milliers d’employés et de bénévoles impliqués dans le processus, explique-t-il. “Il y aura toujours de petits incidents, certains intentionnels comme en Pennsylvanie où il semble y avoir eu fraude sur les listes électorales. Mais les responsables l’ont repéré. Cela montre l’efficacité du système.”
Les démocrates se préparent à contre-attaque
Le plus inquiétant pour les experts, ce sont les tentatives des trumpistes pour donner aux commissions en charge des élections plus de pouvoir pour bloquer la validation du résultat. Le groupe Citizens for Responsibility and Ethics a identifié 35 membres de commissions dans des comtés qui, depuis 2020, ont retardé ou refusé de valider le scrutin en invoquant de fausses irrégularités. En Géorgie, en août, la Commission de l’Etat en charge des élections, contrôlée par des conservateurs, a promulgué plusieurs règles très controversées. Elle a imposé un décompte manuel des suffrages une fois ceux-ci scannés par une machine, ce qui allait retarder l’annonce du vainqueur. Elle a aussi mis en place deux mesures permettant aux responsables du comté de s’opposer à la certification du scrutin. Le juge a rejeté ces règles, les qualifiant d'”illégales et “d’inconstitutionnelles”.
De leur côté, les démocrates ne restent pas inactifs. Ils se sont préparés à contrattaquer au cas où Donald Trump se déclarerait vainqueur avant la fin du décompte ou lancerait, comme c’est prévisible, moult recours pour empêcher la victoire de Kamala Harris. Ils ont recruté des centaines d’avocats dans chaque Etat, sous la houlette de Dana Remus, une femme qui dirigeait déjà en 2020 l’équipe juridique du candidat Joe Biden. Et ils se sont déjà opposés avec succès aux décisions prises par la Commission en Géorgie par exemple. “[Les Républicains] ont commencé plus tôt. Nous aussi. Nous n’avons cessé de nous préparer depuis 2020”, a déclaré Dana Remus sur CNN.
Les responsables électoraux dans tout le pays sont également mieux préparés qu’il y a quatre ans pour gérer le chaos éventuel. Et le Congrès a fait voter une loi en 2022 qui rend plus difficile le blocage de la validation des résultats des présidentielles par les élus à Washington le 6 janvier. Mais même si, jusqu’ici, les tribunaux n’ont guère statué en leur faveur, les pro Trump continuent à ourdir toutes sortes de scénarios pour s’assurer la victoire. Andy Harris, un représentant du Maryland, a suggéré que les élus républicains de Caroline du Nord n’attendent pas de compter les votes le 5 novembre mais donnent à l’avance les 16 voix de leurs grands électeurs à Donald Trump. Tout cela, selon lui, dans un souci pratique. L’ouest de l’Etat qui vote républicain a été saccagé par l’ouragan Helene et les électeurs, craignait-il, n’auraient peut-être pas la possibilité de se rendre dans les bureaux de vote…
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