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Général Thierry Burkhard : “On aurait dû prendre peut-être plus de risques pour éviter ce conflit en Ukraine”

“Gagner la guerre avant la guerre.” Le général Thierry Burkhard en a fait son mantra à sa prise de fonction comme chef d’état-major des armées, en juillet 2021. Trois années plus tard, l’invasion russe, les ingérences informationnelles et l’accélération des innovations sur le champ de bataille sont venues conforter l’approche stratégique de ce “terrien” passé par la Légion, considéré comme un chef efficace et charismatique par ses troupes. Avant le 11 Novembre, anniversaire de l’armistice de 1918 et jour d’hommage à tous les morts pour la France, ce soldat à la parole rare a accordé un entretien à L’Express, où il tire les leçons de la guerre en Ukraine et expose les différents défis des forces françaises.

L’Express : La journée du 11 Novembre vient rendre hommage à tous les morts pour la France. Alors que la guerre fait rage en Ukraine, à quoi doit se préparer la nation ?

Général Thierry Burkhard : Le 11 Novembre est d’abord la commémoration de l’armistice de la guerre de 1914-1918, puis celle de la victoire. Depuis un décret de 2012, c’est également le jour de la mémoire pour tous ceux qui sont morts pour la France, aussi bien civils que militaires, quel que soit le conflit. Aujourd’hui, le mot d’ordre qui est donné aux armées, c’est de les honorer partout où c’est possible, dans chaque commune, aux monuments aux morts, avec un détachement militaire. Mais il ne faut pas se satisfaire de cela, et inclure aussi les associations d’anciens combattants, des élèves avec leurs professeurs, les maires, etc. C’est vraiment quelque chose qui doit toucher toute la France et tous les Français. Avant la guerre en Ukraine, certains ont pu penser qu’il suffisait de vouloir la paix pour ne pas avoir la guerre. Le monde d’aujourd’hui montre que ce n’est pas le cas. Et face à cela, la cohésion nationale, l’affichage d’une détermination et la capacité à montrer qu’on est prêt à se défendre constituent notre meilleur atout.

Comment les changements géopolitiques en cours vous ont-ils obligé à vous adapter ?

Vous avez raison de le souligner : non seulement le monde change, mais il change vite et devient plus dangereux. C’est un monde où deux États peuvent échanger des salves de plus de 300 missiles : comme près de 90 % d’entre eux sont détruits par la défense adverse, on pourrait estimer que ce n’est pas très grave, mais c’est une erreur. On voit aussi des missiles antinavires tirés sur des bâtiments de commerce, ce qui n’est pas acceptable. Ce monde dangereux, c’est aussi un monde où la rhétorique nucléaire devient plus fréquemment employée.

Ce monde devenu dangereux date de la guerre en Ukraine ?

Effectivement, l’agression militaire russe en 2022 constitue un moment de bascule. La Russie décide d’envahir l’Ukraine, avec l’objectif de s’emparer du pays. A cet égard, il s’agit quand même d’un échec pour la Russie, qui a poussé la Suède et la Finlande à rejoindre l’Otan ! Cette invasion marque aussi une prise de conscience en Europe. Non que le réarmement ait commencé en 2022 : il était déjà à l’œuvre depuis deux ou trois décennies. Mais auparavant, on s’armait pour être prêt à se défendre, tandis qu’aujourd’hui, on s’arme pour employer la force. Cette dynamique de la force constitue le premier marqueur des changements en cours.

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Le deuxième tient à la récusation du modèle occidental. Il s’agit d’une remise en cause profonde de l’ordre établi à la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui repose sur un principe simple : le droit prime sur la force pour régler les conflits. Mais cette période semble bien terminée, et on voit à quel point l’ONU peine aujourd’hui à réguler l’emploi de la force. Cette récusation de l’Occident trouve des échos dans une large partie du monde, mais, incontestablement, Vladimir Poutine fait figure de porte-étendard de cette stratégie de rejet de l’Occident.

Ils tirent avec un canon Caesar sur des positions russes dans la région du Donbass, le 15 juin 2022 dans l'est de l'Ukraine.
Ils tirent avec un canon Caesar sur des positions russes dans la région du Donbass, le 15 juin 2022 dans l’est de l’Ukraine.

Le troisième marqueur est lié à la puissance de l’information, en particulier via une numérisation croissante de nos sociétés, qui procure un levier extraordinaire à ceux qui veulent s’en servir, ce que l’on observe en Afrique ou sur le territoire national. Ce mode d’action s’appuie sur des stratégies de long terme, et, lorsqu’il est associé à la dynamique de la force, il peut remettre en cause la cohésion de nos sociétés, en tout cas la fragiliser.

Enfin, il faut évoquer le changement climatique, même s’il s’agit d’un élément a priori de nature différente. Le climat est un sujet majeur qui va nous impacter lourdement – regardez ce qui vient de se passer en Espagne. Il faut que nous soyons capables de prendre en compte les conséquences du changement climatique, qui devient un catalyseur du chaos. Nombreux sont nos partenaires qui subissent déjà ces effets de manière beaucoup plus forte et permanente que nous. Nous ne pouvons pas l’ignorer.

Serons-nous capables de maîtriser les dérèglements que vous évoquez ?

Je ne vois pas de stabilisation à court terme et je pense même qu’il y a un effet cliquet, donc pas de retour en arrière. Pendant vingt ou trente ans, on s’est préparé à gérer les conséquences des crises possibles. Aujourd’hui, nous devons changer de paradigme : le vrai sujet est d’essayer d’éviter que ces crises se produisent, plutôt que d’envisager seulement de traiter ses conséquences parce qu’elles sont difficilement gérables et généralement sans retour possible en arrière. Quand on regarde le monde tel qu’il a changé depuis 2022, on peut probablement se dire qu’on aurait dû prendre peut-être plus de risques pour éviter ce conflit en Ukraine. C’est bien sûr plus facile à dire après qu’avant…

Sur le plan opérationnel, quelles leçons tirez-vous de cette guerre ?

Tout d’abord, je suis frappé par l’importance de la cohésion nationale. Si l’Ukraine a tenu, c’est d’abord parce que c’est un pays qui s’était préparé à la guerre et dont la capacité à se défendre, la détermination et le courage reposent sur cette cohésion. Si les soldats ukrainiens se battent pour chaque ville, chaque village, chaque rivière, chaque forêt, c’est parce que derrière chacun de ces lieux, il y a des Ukrainiens. Ces Ukrainiens, ce sont eux : l’armée ukrainienne, c’est la nation. C’est un fait, et nos sociétés doivent en prendre un soin tout particulier.

Le deuxième enseignement de ce conflit, c’est qu’il s’agit d’une guerre de haute intensité, qui implique l’ensemble du pays et qui tend assez vite vers la guerre totale. Ce qui pose un sujet de soutenabilité. Si les Ukrainiens arrêtent de se battre à 100 %, ils disparaissent. Nos armées doivent être capables de soutenir ce type de guerre, c’est-à-dire en assumer le coût matériel, et s’adapter à la vitesse à laquelle les choses se transforment sur le champ de bataille. Le mode de fonctionnement normal des armées est l’adaptation permanente. Mais avec les technologies modernes, le cycle d’adaptation est encore plus rapide et impacte la manière dont nous exprimons nos besoins capacitaires, la façon dont les industriels conçoivent et développent les matériels et comment nous les utilisons.

Il effectue un vol d'entraînement avec un drone dans une zone non précisée dans la région de Dontesk, en Ukraine, le 29 avril 2024
Il effectue un vol d’entraînement avec un drone dans une zone non précisée dans la région de Dontesk, en Ukraine, le 29 avril 2024

Cette nouvelle donne correspond-elle à l’économie de guerre voulue par le chef de l’État ?

L’économie de guerre, ce ne sont pas seulement les soldats ou les munitions envoyés sur le terrain. C’est aussi la capacité à soutenir l’effort. Ce que démontrent les Ukrainiens dans ce domaine est impressionnant. Il faut distinguer deux choses. D’abord, la manière dont on organise le développement et la priorisation des ressources. Il s’agit de repenser notre industrie de guerre en se demandant comment produire vite et moins cher. Ensuite, comment faire évoluer le matériel dans toutes ses dimensions. On a raison de continuer à développer des armes de haute technologie : si on ne l’avait pas fait, on n’aurait pas de Rafale, ni de systèmes de défense sol-air, etc.

Mais les moyens étant comptés, on a probablement délaissé le développement d’armes moins coûteuses. Or, il faut les deux. Parce que si vous ne vous concentrez que sur les armes de haute technologie, ce n’est pas soutenable. On doit avoir aussi des armes d’usure, et donc trouver des armes, probablement de technologie inférieure, qui coûteront moins cher que ce qu’on détruit. Les Ukrainiens dans ce domaine ont été remarquables d’imagination et ont plutôt généralement réussi à reconvertir du matériel ancien. Pour revenir au sujet de l’économie de guerre, elle s’appuie également sur la dynamique budgétaire actuelle, quasiment sans précédent dans les dernières décennies. Le président de la République a voulu marquer un effort considérable et cette volonté est défendue par notre ministre. Cette LPM [NDLR : loi de programmation militaire] inédite demeure indispensable pour faire face aux défis qui se présentent.

Mieux vaut probablement une start-up, qui sera certainement mieux configurée pour faire évoluer le produit en permanence

Général Thierry Burkhard

Les Ukrainiens sont en guerre, ce qui les force à innover vite. Mais aucune armée occidentale, même les Américains, n’arrive pour l’instant à résoudre cette équation “vite et pas chère” que vous évoquez…

Parce que nous utilisons probablement insuffisamment la dynamique de notre tissu économique ! Les grandes sociétés, dont nous avons impérativement besoin pour construire des frégates, des porte-avions et des chars, ne sont pas forcément les mieux placées pour fabriquer par exemple des drones de 20 kilos. Mieux vaut probablement une start-up, qui sera certainement mieux configurée pour faire évoluer le produit en permanence. Parce que sur le champ de bataille, tous les deux ou trois mois, les capacités de brouillage changent, comme les capacités et les moyens d’utilisation. L’objectif, c’est la flexibilité et la souplesse.

Vit-on actuellement, avec l’accélération des conflits, le recours accru à de nouveaux équipements, une révolution technologique ?

Ce que je constate, c’est que sur le champ de bataille ukrainien, mais aussi dans le conflit en mer Rouge ou la guerre au Proche-Orient, aucun matériel n’est disqualifié. Personne n’affirme aujourd’hui que les chars et les avions ne servent plus à rien, et que les drones remplacent tout. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que le niveau de numérisation et l’emploi d’intelligence artificielle sont de plus en plus poussés. Ces moyens technologiques, s’ils sont bien utilisés, nous permettent de démultiplier l’efficacité en donnant le maximum d’initiative à nos unités. Pour cela, l’organisation du commandement doit être beaucoup plus plastique et adaptable. Sur le champ de bataille, certaines actions majeures nécessitent la concentration d’un maximum de moyens, avec une centralisation très forte pour obtenir une vraie supériorité dans le temps et dans l’espace pour une durée donnée, tandis que sur d’autres secteurs du front, une subsidiarité maximale sera donnée aux unités et à leurs chefs. Pour mettre un tel schéma en place, il faut, en outre, beaucoup investir dans la formation des cadres.

Vous avez appelé à “durcir les armées”. Notre armée n’est-elle donc pas assez endurcie ?

Le durcissement, ça veut dire quoi ? Durant vingt ou trente ans, nous avons combattu le terrorisme militarisé. Ce n’était pas une guerre facile, nos adversaires nous ont posé de vrais problèmes. Mais en même temps, nous bénéficiions d’une forme de confort opérationnel. Le ciel, en particulier, nous appartenait. A part la météo, rien ne nous empêchait d’obtenir un appui aérien. Rien ne nous empêchait non plus d’évacuer ou de ravitailler nos troupes en Afghanistan ou à Kidal, au Mali. Il n’y avait pas de frappes d’artillerie et nos adversaires ne nous livraient pas de guerre électronique permanente. Nous avions la supériorité technologique.

Mais aujourd’hui, nous devons nous adapter à une autre forme de guerre, dite de “haute intensité”. Celle-ci s’effectue contre un adversaire du même niveau, voire supérieur dans certains domaines. Elle peut dans l’absolu être portée sur le territoire national, sur nos dépôts logistiques, elle peut menacer nos voies de communication, tandis que la maîtrise du ciel est disputée… C’est une autre guerre, qui implique un soutien logistique beaucoup plus conséquent. La prise de risque est différente, l’entraînement aussi. C’est un changement de dimension.

En Afghanistan ou au Mali, nous manœuvrions au niveau de la compagnie (150 hommes), éventuellement du bataillon (300 à 500 hommes). En l’air, il y avait, au maximum, une patrouille de quelques avions, tandis que sur les mers, nos bâtiments agissaient plutôt isolément pour contrôler l’espace maritime. Dans la guerre de haute intensité, en revanche, il faut manœuvrer à l’échelle de la brigade, de la division, voire du corps d’armée. Ce changement d’échelle ne consiste pas seulement à multiplier le nombre de soldats engagés, de marins ou d’aviateurs. Il nécessite des savoir-faire différents, c’est-à-dire la capacité à synchroniser les moyens-feu, le génie qui ouvre la voie, mais aussi des raids de 30, 40 avions, avec des brouilleurs, des ravitailleurs… C’est une autre mécanique, avec un groupe aéronaval qui va contrôler un espace d’environ 700 kilomètres de rayon autour de lui. C’est très différent.

Quel avenir voyez-vous pour la sécurité européenne, dans le contexte incertain de l’élection américaine ?

Le centre de gravité du monde s’est déplacé en direction de l’Asie, et c’est assez logique que ce soit là que les Etats-Unis concentrent leurs forces, puisque c’est là que va se jouer le leadership mondial. Ensuite, les Etats-Unis jouent un rôle important – et depuis longtemps – dans la sécurité du continent européen, en particulier via l’Otan. Aujourd’hui, l’Alliance atlantique est perçue par l’immense majorité des pays européens comme l’outil de défense collective du continent européen. D’ailleurs, la plupart des armées européennes sont nées dans l’Otan, qu’il s’agisse des armées allemande, belge, néerlandaise, ou plus récemment polonaise ou estonienne…

Je pense que l’Europe de la défense n’est pas contradictoire avec l’Otan. Certaines personnes voient ce système comme des vases communicants : plus de défense au sein de l’Otan affaiblirait l’Europe de la défense. Et inversement. Mais je pense qu’au contraire, tout s’articule et se complète. Opposer l’Otan à l’Europe de la défense n’a pas de sens.

Enfin, il faut que les pays européens prennent bien conscience qu’un jour, les Américains ne seront peut-être pas aussi présents que nous l’aimerions, parce qu’ils ne le voudront ou ne le pourront plus. Et ce jour-là, il ne faut pas se regarder en disant : “Les Américains ne sont plus là, qu’allons-nous faire ?” En réalité, l’Europe possède les moyens économiques et scientifiques, mais aussi les capacités et l’imagination pour peser fortement dans l’Otan. Il est logique que les Européens fassent valoir leur position sur ce sujet, à travers un pilier européen de l’Otan. A savoir leur propre sécurité.

La projection militaire française la plus importante se trouve en Roumanie, dans le cadre de l’Otan. Doit-elle faire plus ?

La France est très engagée dans l’Otan. Par sa position géographique, elle est assez éloignée du flanc est de l’Europe. Néanmoins, elle s’inscrit complètement dans la politique de réassurance de l’Otan avec son détachement en Roumanie, où elle est une nation cadre, en cohérence avec les plans régionaux de l’Otan et ceux de la Roumanie. L’armée française est également présente en Estonie, où le Royaume-Uni est la nation cadre. Si jamais la menace augmente, il faudra être capable de déployer plus de troupes. L’essentiel est moins d’être sur place que de savoir déployer rapidement et efficacement des renforts significatifs. C’est notre objectif et nous le démontrons lors d’exercices réguliers et réalistes.

Si les Etats-Unis arrêtent leur soutien militaire à l’Ukraine, l’Europe est-elle capable de prendre le relais seule ?

On n’a pas la capacité de production des Etats-Unis, ni les réserves de matériel de l’armée américaine. Cela ne veut pas dire qu’on n’arriverait pas à le faire, mais ce serait beaucoup plus difficile. La Russie fait un pari sur le temps, mais aussi sur la volonté occidentale. Là où la différence entre les Occidentaux et la Russie est la plus forte, c’est sur la capacité russe à désinformer sa société, mais aussi à influencer la nôtre. On a un certain retard dans ce domaine-là, mais qui est en train d’évoluer, en défensif, mais également en offensif. Regardez le sujet des punaises de lit dans le métro, qui a été monté de toutes pièces et a pris des proportions incroyables sur les réseaux sociaux. On voit bien qu’il y a, derrière, quelque chose qui cherche à émousser la cohésion nationale, la confiance des opinions publiques dans leurs dirigeants politiques. Il faut être capable d’identifier la source et de rendre coup pour coup.

Les tensions ne cessent de monter en mer de Chine, également…

La bataille pour leadership mondial se joue dans cette zone-là. La France est concernée, car c’est une nation du Pacifique. Maintenant, aujourd’hui, il n’y a pas de réelle menace militaire sur la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, ni sur les États insulaires autour. Dans ceux-ci, la Chine ne déploie pas des moyens militaires, mais joue avec des leviers économiques, commerciaux, accueille des étudiants en Chine. Ces pays sont particulièrement impactés par les effets du changement climatiques. C’est aussi dans ce domaine qu’il faut les aider, ce que nous faisons.

La France a conservé une dimension mondiale grâce à ses DROM-COM

Général Thierry Burkhard

Et si vous avez 200 chalutiers d’une puissance étrangère qui viennent s’installer autour des îles Éparses, appartenant à la France, entre l’Afrique et Madagascar ?

Les éléments français dans la zone sud de l’océan Indien, à Mayotte, à La Réunion, sont particulièrement vigilants. La France a conservé une dimension mondiale grâce à ses DROM-COM. C’est une vraie force. Cela impose, pour les armées en particulier, des exigences en termes de capacité de défense, y compris contre des menaces hybrides. Sur les îles Éparses, il y a un détachement qui est positionné en permanence. Il y a également des bâtiments dans cette zone qui affirment une présence et un effort renseignement pour identifier les menaces.

Il y a eu, ces derniers mois, des révélations sur des cas de harcèlement et violences sexuelles dans les armées, qui ont montré les limites de ce qui avait été mis en place il y a dix ans avec la cellule de signalement Thémis. Qu’est-ce qui peut être amélioré ?

Il ne faut surtout pas minimiser ou chercher des excuses lorsque des affaires surgissent. Il faut sanctionner les responsables et tirer les conclusions pour éviter que ça se reproduise. L’armée française accueille plus de 26 000 jeunes Français et Françaises par an. Elle est l’une des plus féminisées au monde, avec 17 % de femmes dans ses rangs, qui ont trouvé leur place grâce à leurs compétences et à leur détermination. Dans le code d’honneur, chaque soldat est un frère d’arme, quels que soient son sexe, son origine, sa religion. Quand quelqu’un se comporte mal vis-à-vis d’une femme, il se comporte mal d’abord vis-à-vis d’un frère d’arme. Ce n’est pas acceptable.

Mais “tolérance zéro” ne suffit pas malheureusement pas pour obtenir “zéro défaut”. Les raisons sont nombreuses : dans le monde “civil”, d’où viennent aussi les militaires, les relations entre les deux sexes ne sont pas toujours apaisées, alors même que les contraintes qu’imposent le terrain et les opérations restent intangibles, par la promiscuité, la permanence de la mission, l’éloignement de ses proches, la dureté du métier tant pour les hommes que pour les femmes. Les étapes d’une cohésion harmonieuse vers une efficacité opérationnelle sont nombreuses. Le défi est accepté par les armées.

La formation initiale doit renforcer, chez tous les militaires, la reconnaissance de règles incontournables. Il faut qu’on fournisse un effort encore plus important que celui qu’on fait actuellement en matière d’éducation à la vie en collectivité et dans les relations entre hommes et femmes dans les armées. Par exemple, dans toutes les formations, avoir un module qui rappelle quelles sont les responsabilités du chef et comment réagir face à ces agissements. L’effort porte aussi sur le traitement disciplinaire des affaires : il faut que soit imposée la tolérance zéro dans ce domaine-là. Il y a, par exemple, la mise en place de “référents mixité”, il y a aussi un renforcement de la cellule Thémis. Néanmoins, le défi est de taille et il le restera, il faut le reconnaître, car il ne concerne pas que les militaires.

Comment conserver le sens du service par les armes au sein de la jeunesse ?

Aujourd’hui, nombreux sont les jeunes Français et Françaises qui décident de s’engager. Objectivement, ce n’est pas la voie de la facilité. L’écart entre ce que vit un civil et ce que vit un militaire est chaque jour plus grand. Il y a des entreprises qui recrutent en proposant de faire 35 heures en quatre jours avec la moitié de télétravail. Les armées proposent plutôt un engagement qui peut aller, de par le statut et en particulier en opération, jusqu’à sept jours sur sept et vingt-quatre heures par jour. Ce qu’impose le statut militaire en termes de mobilité est aussi quelque chose de très fort et très impactant.

Pour autant, il y a des jeunes Français qui décident de venir parce qu’il y a du sens dans ce qu’on fait, des valeurs, des vertus, et aussi un véritable escalier social. La moitié des officiers sont d’anciens sous-officiers. La moitié des sous-officiers sont d’anciens militaires du rang. Ça dit quelque chose. Ces soldats, marins, aviateurs qui font tous les jours ce qu’ils ont à faire, petite mission comme grande mission, pour les Français, c’est notre force. J’ai une grande considération pour eux et je suis très fier de les commander.




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