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Lenny Bronner, du Washington Post : “Kamala Harris représentait la continuité quand Barack Obama incarnait la rupture”

Pendant la nuit, une vague rouge a colorié la carte électorale des Etats-Unis. La Géorgie et la Caroline du Nord d’abord. Puis, quelques heures plus tard, la Pennsylvanie. Un à un, les Etats clés remportés par Joe Biden en 2020 tombent comme des dominos entre les mains des républicains. En fin de matinée, tout se confirme : Donald Trump sera bien le prochain locataire de la Maison-Blanche. Rien de très surprenant selon Lenny Bronner, datajournaliste au Washington Post.

L’Express : Les résultats ne sont pas encore définitifs, mais annoncent un raz-de-marée républicain. Vous attendiez-vous à un tel scénario ?

Lenny Bronner : Nous n’avions pas misé sur le fait que ce scénario soit le plus probable, mais nous étions préparés à cette éventualité. L’écart entre les deux candidats dans les sondages étant très faible, nous avions anticipé que des erreurs puissent conduire à une situation où l’un des deux candidats aurait la possibilité de remporter les sept Etats clés, ce qui semble se profiler. Les erreurs de sondage sont souvent corrélées. C’est-à-dire que si elles surviennent dans un Etat en faveur d’un candidat, elles ont de fortes chances de se dupliquer dans d’autres.

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Les résultats des élections semblent bien moins serrés que prévu. Les sondeurs se sont-ils trompés ?

Dans la plupart des Etats clés, les résultats définitifs ne s’éloigneront probablement pas beaucoup de ce qu’avaient anticipé les sondages. En Géorgie et en Caroline du Nord, les sondages devraient être assez proches des résultats définitifs. De même qu’en Arizona. En Pennsylvanie, dans le Michigan et le Wisconsin, il pourrait y avoir une erreur de sondage un peu plus importante, mais cela ne devrait représenter que 1 % ou 2 % d’écart. Une différence qui reste donc dans la fourchette de nos attentes.

En revanche, je pense que la marge d’erreur sera plus importante dans certains Etats démocrates, comme celui de New York ou du New Jersey. La raison ? Les sondages y ont été moins nombreux que dans les swing states. C’est d’ailleurs probablement une leçon que l’on devra tirer pour l’avenir. Il est certes plus logique de sonder les territoires où le résultat est serré, mais nous ne devrions pas ignorer d’autres Etats où des mouvements plus importants pourraient se produire.

Quels outils Kamala Harris a-t-elle à sa disposition si elle souhaite contester la victoire de Donald Trump ?

Dans certains Etats, il y a des recomptages automatiques si les résultats sont très serrés. Les équipes de campagne peuvent aussi le demander si la marge est très faible. Des recours juridiques sont également envisageables, mais je n’en ai pas encore entendu parler.

@lexpress

🇺🇸 Le camp démocrate vient de perdre la présidentielle américaine. Pour notre journaliste, Axel Gyldén, trois raisons expliquent cette défaite. 🔗 Lien en bio #usa #electionday #harris #trump

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Comment interprétez-vous le silence de Kamala Harris ? Est-ce normal qu’elle prenne du temps avant de s’exprimer ?

En 2016, qui est l’analogie la plus proche, l’élection avait été annoncée un peu plus tôt, ce qui avait permis à Hillary Clinton de prononcer un discours de défaite. En fin de soirée, nous n’avions pas encore de confirmation officielle de la victoire de Donald Trump, même si beaucoup d’indices allaient dans le sens d’une défaite des démocrates. Dans ce contexte, je pense qu’il est logique que Kamala Harris ne fasse pas de discours à 4 ou 5 heures du matin et qu’elle préfère attendre le lendemain. Elle ne s’attendait peut-être pas non plus à ce que le résultat arrive si vite, et que la victoire de Donald Trump soit si nette.

Pensez-vous que le parti démocrate aurait dû choisir un autre candidat pour affronter Trump après le retrait de Biden ?

La question de savoir si une primaire aurait dû avoir lieu après le retrait de Joe Biden a été beaucoup discutée et le sera probablement encore davantage après la défaite de Kamala Harris. Mais à ce jour, rien ne garantit qu’un autre candidat démocrate aurait été plus performant.

L’impopularité du camp démocrate, après quatre années d’administration Biden, a-t-elle été sous-estimée ?

Si l’on prend du recul et que l’on regarde les élections dans le reste du monde, on constate que les partis au pouvoir sont, pour diverses raisons, très impopulaires. L’inflation que l’on observe dans tout le monde occidental ainsi que la question de l’immigration n’y sont pas pour rien. Aux Etats-Unis, ce dernier débat a été particulièrement intense ces derniers mois. Kamala Harris a essayé de se distancier de l’administration Biden, mais de façon peut-être trop marginale pour avoir un impact. Il est toutefois difficile de dire qu’une désolidarisation plus importante aurait pu être possible. Elle est tout de même la vice-présidente en fonction de cette administration ! Les électeurs n’auraient probablement pas cru en une prise de distance totale. En outre, les élections de mi-mandat de 2022 avaient été particulièrement favorables au parti démocrate, alors qu’il s’agit souvent d’une élection sanction pour le parti au pouvoir. La présidentielle 2024 pourrait donc bien être le véritable scrutin de mi-mandat de 2022 qui n’a jamais eu lieu.

Pourquoi Kamala Harris, première femme de couleur en passe de se hisser à la Maison-Blanche, n’est-elle pas parvenue à susciter le même enthousiasme que Barack Obama, premier président afro-américain des Etats-Unis ?

Premièrement : si Kamala Harris a été beaucoup comparée à Barack Obama, ils ont en réalité des personnalités assez différentes. Deuxièmement : la candidature d’Obama est arrivée après huit années d’administration républicaine particulièrement impopulaire, émaillée de deux guerres extrêmement décriées, d’une crise financière et d’une catastrophe climatique – l’ouragan Katrina en 2005 – qui ont laissé de vives séquelles dans la société américaine. En 2008, il incarnait la rupture. En 2024, Kamala Harris représente la continuité des quatre dernières années qui ont également été compliquées pour les Américains. De façon plus générale, le plus gros problème de Kamala Harris est probablement d’avoir été associée à une administration tenue pour responsable des difficultés internes survenues ces dernières années.

L’un des plus grands défis de Trump était de mobiliser au-delà de sa base principale. A-t-il réussi à le faire ou sa victoire est-elle due à une mobilisation massive de ses partisans ?

Nous devrons probablement attendre quelques mois avant d’avoir une vue d’ensemble de cette élection. Le premier constat est qu’il s’agit d’une élection avec un fort taux de participation. Dans de nombreux endroits, les démocrates enregistrent un taux de mobilisation supérieur à ce qu’ils avaient envisagé. Mais les républicains ont réussi à mobiliser encore plus de personnes. Cela suggère qu’ils ont su rallier au-delà de leur base principale.

Par ailleurs, il y a de nombreux endroits où on observe un réel virage à droite. Tous les bulletins ne sont pas encore comptés, mais on pourrait voir que New York, le New Jersey et quelques autres Etats démocrates ont basculé de dix points vers des républicains qui ont su faire preuve d’une vraie capacité de persuasion. Ce phénomène de droitisation se confirme aussi dans de nombreuses régions où la communauté hispanique est très présente. Dans les comtés les plus hispaniques du Texas, le vote républicain a par exemple progressé de 15 à 20 points. Pour certains comtés, l’adhésion à Donald Trump a même grimpé jusqu’à près de 30 points. Cela peut s’expliquer par le fait qu’une majorité d’Hispano-Américains soit socialement conservatrice et vive très près de la frontière, donc en première ligne de la crise migratoire.

Les républicains ont obtenu une majorité des sièges du Sénat. Ils pourraient également conserver la Chambre des représentants. De son côté, la Cour suprême est, depuis le premier mandat de Donald Trump, constituée d’une majorité de juges conservateurs. Cela signifie-t-il qu’il aura une liberté d’action totale ?

Les républicains pourraient en effet contrôler l’ensemble des branches institutionnelles. Au Sénat, ils devraient obtenir 52 sièges, ce qui permettra aux républicains modérés qui affectionnent peu la radicalité de Donald Trump de l’embêter dans l’application de son programme. La marge de manœuvre du nouveau président dépendra donc de sa capacité à conclure des accords avec cette frange du Grand Old Party. Car il aura besoin de leur soutien pour confirmer certaines des personnes qu’il souhaite nommer et, évidemment, pour faire appliquer son programme.

Concernant la Chambre des représentants, nous sommes encore dans l’attente des résultats. Mais la majorité républicaine sera probablement très faible, avec seulement 4 ou 6 sièges d’avance. Il y aura donc beaucoup de négociations au sein du parti pour pouvoir réellement faire passer des lois. Or ces dernières années, les républicains n’ont pas montré qu’ils étaient particulièrement bons pour négocier au sein de leur propre parti. Ils ont eu de nombreux affrontements internes. Mais en tout état de cause, Trump ne pourra pas appliquer son programme sans le soutien des républicains modérés.

Quelle importance devons-nous accorder à la rhétorique de Donald Trump ces dernières heures, jugée plus mesurée et unificatrice ?

Nous avons déjà assisté plusieurs fois à ce type de discours de sa part. Jusqu’à présent, ils ne se sont pas vraiment matérialisés dans des mesures concrètes. Mais c’est aussi son dernier mandat, donc la situation est différente de celle de son premier passage dans le Bureau ovale.

Donald Trump pourrait-il modifier l’architecture institutionnelle des Etats-Unis ? Beaucoup craignent qu’il soit tenté de saper la démocratie.

Certains aspects du système démocratique américain sont du ressort de la norme et non de la loi. Or il a montré à de nombreuses reprises qu’il n’avait pas énormément de considération pour les normes. Il pourrait donc passer à travers. Concernant ce qui relève du domaine législatif, ayant une majorité dans toutes les chambres et à la Cour suprême, il pourrait modifier certaines de ces lois. Mais ces majorités ne sont pas suffisamment larges pour aller jusqu’à modifier les fondements de la démocratie américaine, qui sont des lois constitutionnelles. Les républicains modérés ne voteraient jamais de tels changements.

Donald Trump arrive-t-il à la Maison-Blanche encore plus fort qu’en 2016 ?

Il y arrive avec son entourage proche, ce qui était moins le cas en 2016. Mais ce cercle n’est probablement pas suffisamment fourni pour constituer toute une administration. Il devra donc forcément l’élargir. Par ailleurs, dans toute démocratie, un chef d’Etat a besoin d’être entouré de gens qui comprennent le fonctionnement des institutions, qui savent comment les lois sont faites, comment les projets de loi sont adoptés et comment les règlements sont rédigés. Il ne pourra donc pas se contenter de faire ce qu’il veut.

Les autorités s’étaient préparées à des émeutes au soir de l’élection. Jusqu’à présent, aucun incident majeur n’a eu lieu. Cela signifie-t-il que le spectre d’une guerre civile que certains agitent est encore loin ?

La question que nous devons nous poser est la suivante : cette soirée électorale aurait-elle été aussi calme si le parti démocrate avait gagné ? Je ne pense pas que la réponse soit évidente. Il faut aussi prendre en compte le fait qu’en 2020, les violences sont survenues pendant l’investiture et non pendant l’élection. Bien qu’il reste encore quelques mois avant la passation de pouvoir, la probabilité pour que des émeutes similaires à celles de 2020 aient lieu est très faible, en grande partie parce que Donald Trump n’a pas perdu.





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