Une ode à l’indépendance. Le 10 septembre, Gabriel Attal réunit les siens pour un séminaire à Rosny-sur-Seine (Yvelines). Michel Barnier vient d’entrer à Matignon, les macronistes sont sceptiques sur cette coalition en germe avec la droite. Le patron des députés Ensemble pour la République (EPR) montre les muscles pour mobiliser ses troupes. Il rappelle, certes, le “devoir de construction” du bloc central, mais insiste sur son “droit d’exigence”. “Pas un vote ne peut se gagner sans nous”, “notre soutien ne peut pas être tenu pour acquis”… L’ancien Premier ministre multiplie les déclarations d’autonomie envers le nouvel exécutif.
Il la théorise en privé : “On se sent totalement libre, d’autant qu’on n’a pas négocié un programme commun. Laurent Wauquiez est plus contraint que nous.” Le raisonnement claque comme une évidence. Les députés macronistes ne sont-ils pas la première force du socle commun ? Ils ne doivent rien à Michel Barnier, nommé par le fait du prince. L’ex-majorité a perdu le pouvoir le 7 juillet, la liberté retrouvée la consolera.
Ils doivent avaler plusieurs couleuvres idéologiques
Deux mois ont passé. La “liberté” a un goût amer. N’était-elle qu’une illusion ? Elle est en tout cas pétrie d’ambiguïtés. Les macronistes participent à un gouvernement dirigé par un adversaire politique, guère sensible à l’héritage du chef de l’Etat. Ils doivent avaler plusieurs couleuvres idéologiques lors de l’examen du budget. Ici, une hausse de la fiscalité. Là, un gel des pensions de retraite. Et demain, peut-être, l’instauration d’une “contribution citoyenne au service public” qui ressemblerait à s’y méprendre à la taxe d’habitation supprimée par Emmanuel Macron ? C’est le macronisme qu’on assassine ! “On soutient un exécutif qui détricote notre bilan. Et on signe la copie”, se lamente une ex-ministre. Deux cadres EPR – Laurent Saint-Martin et Antoine Armand – sont installés à Bercy.
Michel Barnier n’a pas besoin de sortir le martinet, les Français tiennent la laisse. Les députés EPR observent la soif de stabilité de leurs compatriotes, inquiets d’un chaos institutionnel. Cette crainte leur lie les mains. “On soutient ce gouvernement par esprit de responsabilité plus que par conviction ou adhésion, admet le député EPR Pieyre-Alexandre Anglade. C’est inconfortable.” “On se sent coincé”, abonde son homologue Laure Miller. Sur un plan politique comme arithmétique. L’ex-majorité toute-puissante est condamnée à subir cette défaite sur défaite dans un hémicycle morcelé, sans défendre la pureté chimique de ses propres orientations. “Michel Barnier nous respectera le jour où il considérera qu’on peut devenir ingérables. Il faut donc instiller l’idée de l’ambiguïté stratégique”, théorise un ancien ministre. Qui y croirait ?
“On a le négatif de majorité et opposition”
Le Premier ministre tire un sentiment de liberté de sa précaire coalition. Je suis faible ? Ils ne peuvent donc me censurer, les Français ne leur pardonneraient pas ! Par un curieux paradoxe, sa fragilité est sa force. “Je suis plus libre que si j’avais une majorité, a-t-il glissé en substance à un élu Horizons. Celui qui me renversera prendra un coup de jus.” Ainsi, les députés EPR se sentent peu considérés par l’exécutif dans la construction du budget. Instrumentalisés parfois, tant l’exécutif retarde au maximum l’inévitable recours au 49.3. Mais la “responsabilité” est leur tombeau, on ne cède qu’aux vraies menaces.
Voilà les députés EPR égarés dans un no man’s land politique. Ils n’ont pas la latitude idéologique d’un opposant, ni la satisfaction de poser leur empreinte totale sur le budget. “Siéger manque parfois de sens, confie le député EPR Mathieu Lefèvre. J’ai du mal à expliquer à mes électeurs quelle est notre plus-value, à l’inverse de la gauche qui déroule son fil idéologique et essaie de gagner une bataille culturelle.” “On a les inconvénients de la majorité et de l’opposition”, ajoute un collègue.
Alors, que faire ? Le groupe EPR cible ses combats. Adieu la guerre contre la hausse de l’impôt sur les sociétés, pièce maîtresse du budget Barnier. Va pour une bataille contre l’augmentation des charges patronales, mesure balayée par le socle commun à l’Assemblée nationale. Tout juste quelques députés haussent-ils le ton contre des pans du budget, mais à titre individuel. Dans la presse ou par voie d’amendements. “On doit montrer notre raison d’être dans l’hémicycle sans donner l’impression de chahuter Michel Barnier. Il faut démontrer un apport au débat public”, glisse le député de Paris Sylvain Maillard. L’exercice se fait à pas de loup. Gabriel Attal a baissé le volume, après ses critiques initiales contre l’exécutif. Un député EPR, habitué des plateaux télévisés, a opté pour la sobriété médiatique : “Souvent, je ne sais pas comment me positionner. Et je ne veux pas être épinglé comme responsable d’un échec éventuel du gouvernement.”
“Un désaccord est perçu comme de la déloyauté”
Le système médiatique est parfois contradictoire. On y épingle les députés godillots, soumis à un exécutif omnipotent. Qu’un parlementaire exprime une voix dissonante contre le gouvernement, et la rhétorique de la “fronde” survient. La culture de majorité absolue est autant ancrée chez les élus que chez les commentateurs. “Un désaccord ponctuel avec le gouvernement est perçu comme de la déloyauté, constate le député de Paris David Amiel. Mais cela n’est le cas dans aucune démocratie parlementaire. Cette grille de lecture médiatique produit des effets dans l’opinion.” Ce risque d’autocensure est d’autant plus fort que le bloc central a échoué aux législatives. Sa légitimité à rester aux manettes est interrogée par les Français. Qu’il reste au moins discret !
Une quête de sens agite les députés. Tous s’interrogent sur la suite de la mandature, une fois l’étape budgétaire franchie. Ces députés ont rejoint l’aventure macroniste avec la promesse d’une “transformation” du pays. L’immobilisme les effraie. Qu’ils se rassurent : Michel Barnier compte bâtir un projet de réformes pour la France, sa “ligne d’horizon”. Qu’ils remercient Nicolas Sarkozy : l’ancien chef de l’Etat a redonné du poids au Parlement en limitant le recours au 49.3 à un texte de loi par session parlementaire. “Pour faire vivre un objet politique auprès des Français, le débat parlementaire est fondamental”, note la députée des Yvelines Marie Lebec.
“Trouver une manière de fonctionner”
Ainsi, Bruno Retailleau souhaite défendre plusieurs lois dans l’hémicycle, sur l’immigration ou la lutte contre le narcotrafic. Autour du ministre de l’Intérieur, on invoque la “charge symbolique de l’outil législatif”.La passion française pour la loi est décriée par les juristes, elle sert ici d’exutoire. Les députés EPR peuvent espérer retrouver une influence. Sans 49.3, leur présence dans l’hémicycle redevient stratégique, comme leurs votes.
Mais l’arithmétique est têtue. Cette influence est condamnée à s’exercer dans cette Assemblée éclatée, où l’alliance des oppositions est par essence majoritaire. La perspective d’une nouvelle dissolution – possible dès l’été 2025 – enferme les députés dans leurs sociologies électorales et ne les pousse pas au compromis. “Les autres textes peuvent être remis aux calendes grecques si on n’arrive pas à trouver une manière de fonctionner, redoute David Amiel. Sans travail avec la gauche républicaine, cette mandature ira dans le mur.” Le spleen des députés EPR sera alors bien dérisoire.
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