Lorsqu’on regarde une carte de l’évolution du vote Trump entre 2020 et 2024, la sanction est sans appel pour l’administration sortante : Kamala Harris a fait relativement moins bien que Joe Biden dans la quasi-totalité des comtés américains. Ce recul est particulièrement notable dans certains territoires traditionnellement acquis aux démocrates. C’est notamment le cas dans le Bronx, où Donald Trump a multiplié par trois son score de 2016 où encore le comté texan de Starr, à la frontière mexicaine que le républicain a conquis pour la première fois depuis 1912. Là-bas, 98 % de la population appartient à la communauté latino, un soutien historique des démocrates qui a joué un rôle déterminant dans la déroute de la vice-présidente sortante.
Dans les Etats-clés, que les deux candidats ont arpentés pendant des mois, le résultat est le même : Donald Trump a amélioré sa marge à peu près partout. Mais une région détonne dans cet océan républicain. Dans le nord de la Géorgie, ce swing state du “Sud profond” américain qui a offert ses 16 grands électeurs à Donald Trump, une douzaine de comtés ont voté à contre-courant. Ils encerclent la ville d’Atlanta et si Kamala Harris y a réalisé de meilleurs résultats que Joe Biden en 2020, ce n’est pas un hasard.
La métropole d’Atlanta est une des zones urbaines les plus dynamiques de tout le pays. Depuis le début des années 2000, elle a connu un taux de croissance annuel d’environ 2,5 %. Celui-ci a baissé à 1,5 % depuis la pandémie de Covid-19, mais il reste tout de même deux fois supérieur à la moyenne du pays. Aujourd’hui, l’aire urbaine compte plus de 6,3 millions d’habitants et représente plus de la moitié du corps électoral de la Géorgie ; elle pourrait atteindre les 8 millions en 2050, dépassant Washington D.C. et Philadelphie.
Plusieurs facteurs expliquent cette explosion démographique. D’abord, la ville est un cluster d’universités prestigieuses : l’université privée d’Emory et Georgia Tech y ont élu domicile, de même que les campus de Morehouse et Spelman College, deux des universités afro-américaines les plus prestigieuses du pays. La ville attire donc de nombreux jeunes qui restent souvent dans la région après leurs études parce qu’Atlanta et sa périphérie forment un bassin d’emploi important. Plusieurs grandes multinationales comme Coca-Cola, UPS ou Delta Airlines y dirigent leurs opérations et même Google a basé un de ses sièges régionaux dans un gratte-ciel du quartier huppé de Midtown. La ville possède aussi un des aéroports les plus fréquentés du monde et l’industrie du cinéma hollywoodien y a aussi délocalisé une partie de ses productions. Dernièrement, une grande partie des films de l’univers Marvel ont été tournés dans la région.
Ce dynamisme économique attire des jeunes – et tout particulièrement des jeunes issus de minorités raciales. “Atlanta est devenue la destination privilégiée des noirs qui migrent à l’intérieur des Etats-Unis”, confiait récemment à L’Express le démographe William Frey de la Brookings Institution. Aujourd’hui, un tiers des habitants de la métropole sont noirs et un dixième est d’origine hispanique, ce qui favorise les candidatures démocrates à tous les échelons. Depuis 2020, la Géorgie s’est ainsi dotée de deux sénateurs démocrates au Congrès et parmi ses 12 représentants à la Chambre, les quatre élus de la métropole, tous reconduits la semaine dernière, proviennent du parti de Kamala Harris.
Une maigre consolation pour les démocrates
Traditionnellement, la Géorgie est un Etat conservateur, républicain et la victoire de Donald Trump (50,7 % contre 48,5 % pour son adversaire) ne fait pas mentir cette réputation. Mais ces dernières années, l’Etat est devenu ce que les politistes américains surnomment un “Etat violet”, c’est-à-dire un Etat capable d’élire alternativement des responsables démocrates et républicains. Pour la présidentielle, cela signifie que la Géorgie est un “swing state”.
Pour les démocrates, le développement de la métropole d’Atlanta est une excellente nouvelle. Cela signifie que dans les années à venir, la ville pourrait permettre à elle seule, de faire de l’Etat un de leurs plus solides bastions. C’est déjà le cas dans le centre de la métropole qui a cette année encore, plébiscité la candidature démocrate à la présidentielle à plus de 70 %. En périphérie, dans les comtés de Barrow, Fayette, Paulding ou Walton, Donald Trump est encore une fois arrivé en tête, mais il a perdu du terrain. En quatre ans, ces comtés ont connu une croissance démographique à deux chiffres. Si la dynamique se poursuit, les démocrates peuvent un jour espérer conquérir toute la région. Encore faudra-t-il s’assurer de solidifier les bases de son électorat. Ce que Kamala Harris n’a résolument pas réussi à faire.
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