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“Croyez-moi, cela va mal finir entre eux” : Elon Musk et Donald Trump, nouveaux maîtres du monde

Ils n’ont presque pas changé… Sur la nouvelle photo de famille des Trump, prise dans sa fastueuse résidence de Mar-a-Lago après le triomphe électoral du patriarche, on voit cinq de ses dix petits-enfants et le “petit” Barron, fils unique de Melania et Donald, âgé de 18 ans, qui dépasse tout le monde du haut de ses 2,06 mètres. Il y a aussi sa demi-sœur Tiffany qui s’est mariée voilà deux ans avec le milliardaire libano-américain Michael Boulos, à gauche de l’image. Un autre nouveau venu s’est invité sur le cliché, même si lui n’est pas de la famille : c’est le “serial entrepreneur” Elon Musk, PDG de Tesla (voitures électriques), SpaceX (lancement de fusées), X (ex-Twitter), Neuralink (neurotechnologies) ou xAI (intelligence artificielle).

Sa présence incongrue témoigne de la récente “bromance” entre le président de la première puissance mondiale et l’homme le plus riche de la planète (il pèse plus de 300 milliards de dollars). “Une étoile est née : Elon !”, s’est exclamé Donald Trump lors de son discours de victoire, dans la nuit du 5 novembre. “De son côté, Musk considère Trump comme une figure paternelle”, suppose Jacob Heilbrunn, le directeur de la revue The National Interest, à propos du milliardaire américano-sud-africain. Seule certitude : les deux nouveaux “maîtres du monde” sont sur le point de constituer une alliance dont on mesure encore mal la portée idéologique, économique, technologique, politique, géopolitique et même militaire.

Déjà, le premier a annoncé qu’il confiera au second la responsabilité de créer une “commission sur l’efficacité du gouvernement” avec pour mission de réorganiser l’Etat fédéral en taillant dans les dépenses. Ça promet : chez Twitter, qu’il a racheté en 2022 et rebaptisé X, Musk a viré du jour au lendemain 80 % de la masse salariale, ainsi passée de 7 500 à 1 500 personnes (l’effectif a rebondi depuis à 2 840). En avril, il a aussi licencié 14 000 employés chez Tesla. “Quelqu’un de si riche, avec un tel empire et l’oreille du président américain : cela n’est jamais arrivé auparavant, note Ryan Mac, coauteur de Plainte contre X. Comment Elon Musk a cassé Twitter (L’Observatoire). Il est maintenant la personne non élue la plus puissante du monde. Il va donc falloir observer comment il va essayer de façonner les politiques de ce pays.”

“Elon Musk ? Un escroc !”, disait Donald Trump en 2023

Son amitié avec Trump est assez récente. Leur rapprochement remonte seulement au mois de mars, en Floride. Les deux hommes ont alors une première entrevue. Mais le vrai coup de foudre a lieu en juillet, juste après la première tentative d’assassinat contre le candidat. Elon Musk rejoint alors le camp MAGA (Make America Great Again). Depuis, Trump et lui sont inséparables. Preuve ultime de leur proximité : le 6 novembre, le multimilliardaire, dont le service Starlink (fournisseur d’accès à Internet) est déployé en Ukraine, était présent lors de la première conversation téléphonique du “président-élu” Donald Trump avec Volodymyr Zelensky. Sacré retournement de situation. Voilà peu, Elon Musk conseillait au perdant de la présidentielle 2020 de se “diriger vers le soleil couchant” et de disparaître à l’horizon. Bref, de prendre sa retraite. De son côté, Donald Trump traitait d'”escroc” et d'”artiste du bullshit” celui qui, en 2023, soutenait la candidature du gouverneur de Floride Ron DeSantis… contre Donald Trump.

Cependant, Musk n’était pas davantage un fan de Joe Biden ni de sa vice-présidente Kamala Harris. “Il les méprise comme il méprise la gauche américaine en général, ce qui l’a poussé à se rapprocher de Trump”, pointe Ryan Mac, qui suit depuis des années Musk au New York Times. L’entrepreneur n’a pas oublié qu’en août 2021, la Maison-Blanche a organisé un sommet sur l’avenir des véhicules électriques, sans l’inviter, lui, le patron de Tesla, pourtant leader mondial du secteur. Un crime de lèse-majesté selon Musk qui juge également absurdes les confinements qui, pendant l’épidémie de Covid, ont empêché ses salariés de se rendre au boulot. Autre grief : Musk, qui est le père de 11 enfants de trois lits, tient l’aile “progressiste” du Parti démocrate pour responsable de la transition de genre de son fils Xavier, devenu Vivian en 2022. Son enfant – qui ne lui parle plus et vient d’annoncer qu’il allait quitter les Etats-Unis – a été, selon lui, “tué par le virus de l’idéologie ‘woke'”.

Au cœur de l’été, l’homme qui a envoyé plus de 400 fusées dans l’espace et rêve de coloniser Mars décide soudain de placer Donald Trump sur orbite (et d’envoyer Kamala Harris dans le vide sidéral). Il puise alors quelque 120 millions de dollars dans son immense fortune pour soutenir le candidat républicain. Telle une célébrité, il s’engage lui-même dans la campagne, bondissant sur scène aux côtés du candidat. Il intervient également seul dans l’Etat crucial de Pennsylvanie où il organise quelques meetings. Mieux : chaque jour, Musk offre 1 million de dollars au vainqueur d’une tombola réservée aux habitants des Etats-clés de la présidentielle. Les participants doivent au préalable signer sa pétition soutenant la liberté d’expression totale et le droit au port d’armes. Par ses coups d’éclat, Elon Musk éclipse le colistier J.D. Vance et s’impose comme la seule vraie star de la campagne, bien davantage que Taylor Swift, Beyoncé ou Bruce Springsteen dans le camp démocrate.

Un écran géant dans une gare de Séoul diffuse des images du lancement d’une fusée Falcon 9 de Space X transportant Danuri, le premier orbiteur lunaire sud-coréen

Mais c’est surtout à travers les algorithmes de X (ex-Twitter) qu’il influence la campagne en boostant les contenus pro-Trump et en freinant les “posts” en faveur de Harris. Vice-président de la société de communication Angie, François Guillot a étudié la viralité des 100 tweets les plus populaires dans la dernière ligne droite avant le scrutin. Le résultat est édifiant : “Au total, 82 des 100 tweets les plus vus sur cette période, avec des scores allant de 15 à 118 millions de vues, prennent clairement le parti de Trump en appelant à voter pour lui ou en attaquant le camp de Kamala Harris. Seuls deux tweets de Harris apparaissent dans le top 100 contre huit pour le compte @RealDonaldTrump”, précise l’étude qui révèle aussi une surreprésentation des attaques ad hominem contre les célébrités soutenant Harris.

Influenceur surpuissant et ingénieur du chaos, Musk ne se contente pas d’orienter son algorithme pour invisibiliser ses adversaires. Il a aussi fait en sorte de devenir, depuis deux ans, l’utilisateur le plus suivi sur X, avec 204 millions d’abonnés – loin devant le n° 2, qu’il a tout fait pour dépasser : Barack Obama (130 millions de followers). Pris dans une frénésie de publication – il tweete ou retweete plus de 100 fois par jour – Elon Musk “pousse” les contenus qui lui plaisent, et tant pis – ou tant mieux, selon lui – si ce sont des fake news. Ses posts représentent d’ailleurs 25 des 100 tweets les plus vus dans l’étude évoquée précédemment. Rétrospectivement, l’on comprend mieux pourquoi le créateur des Tesla n’a pas hésité à débourser 44 milliards de dollars pour acquérir Twitter en 2022 – somme jugée insensée à l’époque.

“Il a compris avant tout le monde que la partie politique ne se jouait plus dans les médias traditionnels, mais sur les réseaux sociaux, résume David Colon, professeur à Sciences po. X, le réseau préféré des leaders d’opinion, est aujourd’hui le creuset de la fabrique des idées, qui se diffusent ensuite à tout l’environnement informationnel. En en prenant le contrôle et en devenant lui-même un propagateur de désinformation, Musk est devenu le manipulateur en chef des masses.” L’impact de ce “Big Brother” sur l’élection a été considérable, de l’avis de nombre d’observateurs. D’autant qu’il a modernisé l’image de Trump en ravivant le rêve de la conquête spatiale.

Entre le visionnaire de la tech – qui prévoit d’implanter des puces dans les cerveaux – et le génie de la com – qui se déguise en employé de fast-food chez McDonald’s –, le tandem est détonnant. Jamais, au cours de sa carrière, l’égotique Donald Trump n’a cédé autant d’espace médiatique à quiconque à ses côtés. Comme on le sait, le 45e et (bientôt) 47e président ne respecte que la célébrité, l’argent, le pouvoir. Bref, les “winners”. Elon Musk répond à tous ces critères. Et entre eux, les points communs abondent.

Versatile comme Donald Trump, Elon Musk est, comme lui, un ex-démocrate devenu républicain. Ultralibéral ou libertarien, l’un et l’autre partagent la détestation de l’Etat et des impôts. Tous deux sont également mus par la rage de gagner à tout prix, et tout le temps. Un exemple : au Super Bowl [NDLR : finale de football américain] de 2023, Elon Musk fait un tweet de soutien aux Philadelphia Eagles et s’aperçoit qu’il retient moins d’attention (8,4 millions de vues) que le tweet du président Biden à la même équipe (29 millions). Le nouveau patron de X quitte alors le match précipitamment et s’envole pour San Francisco où il convoque ses équipes un dimanche soir pour comprendre comment une telle offense est possible. Aussitôt, ses ingénieurs se mettent au travail pour modifier les algorithmes.

Enfin, Trump et Musk ont tous deux été élevés par des pères impitoyables. “Son éducation, qui était cruelle et parfois destructrice, a fait d’Elon un ‘homme-enfant’ dur mais vulnérable, doté d’une tolérance au risque extrêmement élevée, d’un goût prononcé pour le drame, d’un sens épique de la mission”, écrit Walter Isaacson dans la biographie du fondateur de Space X. Errol, le père d’Elon, était une sorte de Dr Jekyll et Mr. Hyde qui multipliait les humiliations et torturait mentalement ses enfants en les traitant de “bons à rien et de pathétiques”. Cela a laissé des séquelles psychologiques profondes sur le futur génie de la tech. Moins extrême, l’expérience du jeune Donald Trump se rapproche pourtant de celle de Musk. Résultat ? Quoique de plain-pied dans le système, les deux se vivent comme des outsiders, avec une soif inextinguible de revanche.

Depuis le triomphe électoral de “Donald”, la question est : quel rôle “Elon” jouera-t-il au sein de l’administration Trump II ? En campagne, le candidat républicain a promis qu’il réserverait une place de choix au “serial entrepreneur” en le plaçant à la tête d’une commission où il jouerait le rôle de “cost killer”. “En 1982, Ronald Reagan avait fait la même chose en nommant l’industriel J. Peter Grace à la tête d’une commission chargée de traquer les dépenses inutiles au sein de l’Etat fédéral”, se souvient John Gizzi, correspondant à la Maison-Blanche du média conservateur Newsmax.

Avec Musk, cela pourrait être sanglant. Il se vante en effet de pouvoir réduire les dépenses fédérales d’au moins 2 000 milliards de dollars, un montant astronomique, qui représente près du tiers du budget actuel (6 750 milliards). La purge risque d’être massive parmi les 2 millions de fonctionnaires américains. “S’il applique la même méthode que chez Twitter, où il a viré toute l’équipe chargée de modérer la désinformation et les contenus violents, cela signifie qu’il s’en prendra aux voix critiques, alerte Marietje Schaake, auteur de The Tech Coup. How to Save Democracy from Silicon Valley (2024). Au nom de l’efficacité, une commission dirigée par Musk pourrait devenir l’organe de purge de Trump.”

L’action de SpaceX a déjà bondi de 15 %

Le roi de la “big tech”, qui a tout misé sur Trump et avait élégamment confié qu’il serait “baisé” (fucked) si son candidat perdait, devrait voir son investissement largement récompensé. Il profitera sans doute de sa proximité auprès du locataire de la Maison-Blanche pour faire évoluer les mécanismes de régulation à son avantage (pour les véhicules autonomes et les cryptomonnaies) et dézinguer ses rivaux dans le domaine de l’intelligence artificielle et des moteurs de recherche (OpenAI ou Google, actuellement leaders). L’empire Musk devrait aussi décrocher des nouvelles commandes d’Etat qui viendraient s’ajouter aux 15,4 milliards de dollars déjà engrangés par SpaceX lors des précédents contrats signés avec la Nasa et le Pentagone. En attendant, Elon Musk a déjà vu grimper sa fortune personnelle dans la nuit du 5 au 6 novembre. Au lendemain de la victoire de Trump, l’action de SpaceX a bondi de 15 % !

Le natif de Pretoria (Afrique du Sud) jouera aussi un rôle important sur la scène internationale. En tant qu’entrepreneur aux ambitions sans limites, Musk cultive ses relations avec des autocrates ou des populistes, qui lui ouvrent l’accès à leurs marchés et matières premières. La Chine, où Tesla produit la moitié de ses voitures électriques et où il s’approvisionne en lithium – un composant essentiel pour les batteries électriques – est stratégique. Mais la Russie, riche en minerais en tous genres, et l’Argentine, où les réserves de lithium sont considérables, sont également dans son viseur.

Le patron de SpaceX a déjà rencontré 13 chefs d’Etats parmi lesquels le Chinois Xi Jinping et le Turc Recep Tayyip Erdogan mais aussi Emmanuel Macron (au moins trois tête-à-tête depuis 2022). Le nouveau protégé de Trump ne cache pas non plus ses affinités avec l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro ni avec l’Argentin Javier Milei, un tenant de l’idéologie libertarienne chère à Elon Musk. Selon le Wall Street Journal, il s’est aussi entretenu à plusieurs reprises ces dernières années avec Vladimir Poutine. Enfin, lors d’une remise d’un prix, en septembre, à New York, Elon Musk a déclaré sa flamme à l’Italienne Giorgia Meloni, la présidente du Conseil qui accomplit selon lui un “travail incroyable”, est “honnête, vraie, authentique” et “est encore plus belle à l’intérieur qu’à l’extérieur”… Tous ces leaders savent qu’à travers “Elon”, ils disposent dorénavant d’une porte d’entrée à la Maison-Blanche. A se demander qui, de Musk ou des leaders internationaux, manipulera qui…

Fort de son poids économique et technologique, et désormais de sa proximité avec le prochain président des Etats-Unis, le patron de Tesla est d’ores et déjà prêt au rapport de force pour défendre ses intérêts. Il n’a pas hésité à entrer en conflit avec la justice brésilienne qui menaçait d’interdire X (Bolsonaro n’était plus président) ni avec le commissaire européen Thierry Breton, qui lui demandait cet été de respecter les règles de modération sur X. L’entrepreneur lui a répondu avec un meme d’une politesse exquise qu’il est superflu de traduire : “Fuck your own face !”.

Non moins préoccupant : Musk endosse des positions portées par des autocrates sur des dossiers sensibles. Désireux de s’attirer les bonnes grâces de Pékin, il a affirmé, l’an dernier, que Taïwan faisait “partie intégrante de la Chine”, et qu’il y avait “une certaine fatalité” à ce que l’île retourne dans le giron communiste. Concernant la guerre en Ukraine, Musk paraît dangereusement favorable à l’agresseur. En octobre 2022, il a proposé un “plan pour la paix” entièrement aligné sur les positions du Kremlin. Selon celui-ci, l’Ukraine doit devenir un pays neutre, la Crimée doit rester russe, et des référendums doivent être organisés dans les territoires occupés par l’armée russe. Certes, Musk a fourni son service de satellites Starlink aux Ukrainiens mais il le leur a retiré lorsque Kiev a voulu attaquer la Crimée. Enfin, Elon Musk est accusé par Kiev de laisser l’armée russe utiliser le service Starlink. Une chose est sûre : au carrefour de la géopolitique, des affaires et de la tech, le tandem Trump-Musk s’apprête à plonger les Etats-Unis et le monde dans une confusion des genres inédite.

Leurs ego sont-ils compatibles ?

Mais jusqu’à quand ce “duo de choc” aux intérêts parfois divergents peut-il tenir ? Le climatosceptique Trump a par exemple indiqué qu’il envisageait de réduire les subventions à l’achat de véhicules électriques (dont Tesla bénéficie largement). Mais c’est surtout sur le dossier chinois que des orages se préparent. Obsédé par le déficit commercial abyssal entre les Etats-Unis et la Chine, le président américain promet d’accroître les droits de douane sur l’importation de produits en provenance de Pékin. Musk, lui, bénéficie de conditions favorables sur le marché automobile chinois et n’a donc aucun intérêt à l’aggravation des tensions commerciales entre Washington et Pékin.

Reste “la” question : les ego de Trump et Musk sont-ils compatibles, sachant que le président déteste partager la vedette ? “Croyez-moi : cela va mal finir entre eux, affirme un dirigeant européen qui a eu affaire aux deux hommes mais veut rester anonyme. Musk trouvera que les choses ne vont pas assez vite. Et Trump ne supportera pas que l’entrepreneur lui dicte sa conduite, surtout s’il le suspecte de vouloir devenir encore plus puissant que lui.” Aussi longtemps que Musk servira les intérêts de Trump, leur relation durera. Sinon…





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