Alors que Donald Trump a confirmé que Robert Lighthizer, défenseur acharné d’un protectionnisme dur, sera le représentant au Commerce de sa future administration, l’Europe est en ébullition. Cette guerre commerciale divise déjà les 27 : l’Allemagne cherche toujours à sauver son industrie et ses exportateurs, et tique à l’idée de se jeter dans la bataille. Quant à la France, elle milite pour une réponse musclée. Pour l’économiste Emmanuel Combe, ancien vice-président de l’Autorité de la concurrence, l’issue pour l’Europe n’est pas de se lancer dans une surenchère de hausse généralisée des droits de douane. Mais de pratiquer un “protectionnisme tactique”, à la chinoise.
L’Express : Depuis la réélection de Donald Trump, on parle beaucoup de guerre commerciale. En réalité, ce tournant protectionniste n’est pas nouveau. Peut-on déjà en tirer des leçons pour l’économie américaine ?
Emmanuel Combe : C’est vrai que le tournant protectionniste des Etats-Unis est antérieur à Donald Trump. En réalité, il a commencé sous Barack Obama, s’est amplifié sous le premier mandat de Donald Trump et Joe Biden n’est pas vraiment revenu en arrière. Cela fait plus de quinze ans que les Etats-Unis ont pris ce virage.
Nous pouvons tirer un premier bilan de la vague protectionniste mise en place depuis 2018. De nombreuses études empiriques ont été publiées sur le sujet et les résultats sont éloquents : les premières victimes des droits de douane américains, ce sont d’abord les 330 millions de consommateurs américains ! Cela peut sembler paradoxal, mais un pays qui lance une guerre commerciale en paye un lourd tribut. L’exemple des droits de douane de 12 % sur les machines à laver coréennes, décidé en 2018, est frappant : non seulement les producteurs américains ont, eux aussi, augmenté leur prix de vente mais l’effet sur l’emploi aux Etats-Unis a été très faible. Une étude de la Réserve fédérale estime que 1 800 emplois seulement ont été sauvés dans ce secteur, pour une ponction sur le pouvoir d’achat équivalente à 1,5 milliard de dollars par an. Soit un coût mensuel de 60 000 dollars par emploi sauvé. Au total, le protectionnisme de Donald Trump s’est soldé par une ponction majeure sur le pouvoir d’achat des ménages américains.
Même causes, mêmes effets : pensez-vous que la nouvelle hausse des droits de douane promise par Donald Trump aura des effets délétères pour l’économie américaine ?
Bien sur ! Alors même que Donald Trump s’est fait élire sur une promesse de lutte contre l’inflation, sa politique commerciale produira un effet négatif sur le pouvoir d’achat et un effet récessif sur l’activité économique. Le protectionnisme n’est rien d’autre qu’une taxe à la consommation, notamment sur les ménages les plus modestes. Une simulation récente du CEPII, le Centre d’études prospectives et d’informations internationales, montre un impact négatif du protectionnisme sur le PIB américain de l’ordre de 1,3 %.
Par ailleurs, nous devrions observer une recomposition profonde des échanges internationaux. Les flux entre les Etats-Unis et la Chine risquent de fortement diminuer mais un contournement de ces mesures est plus que probable. La Chine pourrait investir massivement au Mexique ou au Canada pour exporter ensuite, sans droits de douane supplémentaires, vers les Etats-Unis.
Face à ce nouveau tour de vis commercial des Etats-Unis, l’Europe s’inquiète et de nombreuses voix exigent des mesures de rétorsion. L’UE doit-elle entrer dans cette course ?
Certainement pas en utilisant l’arme des droits de douane de façon généralisée et durable. Ce serait une course protectionniste qui ne ferait, à la fin, que des perdants. D’autant que je ne suis pas certain que les Européens parlent d’une même voix sur ce sujet. A court terme, si l’Europe veut réagir, elle doit adopter un “protectionnisme tactique”, fondé sur les instruments de défense commerciale – mesures antidumping et anti-subventions -, comme le pratique par exemple la Chine sur le cognac français en réponse aux droits de douane européens sur les véhicules électriques. C’est-à-dire cibler certains produits américains très symboliques et médiatiques pour inciter les Etats-Unis à ne pas mettre en place les droits annoncés.
Au risque d’entamer un peu plus la compétitivité de l’industrie européenne ?
Elle l’est déjà, comme l’a très bien montré le rapport rendu il y a quelques mois par Mario Draghi sur le “décrochage européen”. A moyen terme, la seule façon pour l’Europe de répondre à Donald Trump est d’affirmer enfin sa puissance économique, en suivant les recommandations du rapport Draghi. En clair, muscler sa politique industrielle de rattrapage et de rupture technologique, pour regagner au plus vite en compétitivité.
Pour cela, l’arme la plus efficace, ce ne sont pas les droits de douane mais les subventions publiques, à travers de grands programmes industriels et de recherche tels que les PIIEC, les Projets importants d’intérêt européen commun. Mais aussi l’union des marchés de capitaux et l’harmonisation des réglementations nationales, pour créer enfin un grand marché des produits. Répondre à Trump en faisant du Trump ne fera pas avancer l’Europe !
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