Ainsi donc, fidèles à leurs habitudes, les syndicats de la SNCF nous gratifient d’un préavis de grève reconductible à partir du 11 décembre, histoire de bien pourrir les vacances de Noël de nos concitoyens déjà nombreux à avoir acheté leurs billets de TGV à des prix défiants, non pas toute concurrence, mais tout monopole.
L’ironie de l’histoire, c’est que, parmi les revendications des syndicats, il y a justement le refus de la concurrence des lignes régionales. Ils ne voient pas que leur grèvo-militantisme ajoute une pièce au dossier déjà solide des proconcurrence. Ces syndicats sont aussi les meilleurs avocats d’une évolution de l’encadrement du droit de grève en France vers une législation à l’italienne qui empêche l’arrêt du travail dans les périodes où la population se déplace beaucoup.
Les fonctionnaires travaillent moins de 34 heures par semaine
Une telle évolution est parfaitement justifiée sur le plan des principes, étant donné que la SNCF est une entreprise détenue à 100 % par l’Etat et qu’elle fournit un service public. Il est logique que la grève soit plus encadrée pour la SNCF que dans les usines. Il est logique que des salariés de l’Etat et des services publics, qui servent l’intérêt général, ne puissent pas cesser le travail n’importe quand.
Ce sujet de la grève est lié à celui, plus général et plus crucial, de la place du travail dans le secteur public et dans notre société. Aux Rencontres de l’Avenir de Saint-Raphaël, dont L’Express est partenaire, l’ancien président Nicolas Sarkozy a souligné que les enseignants pourraient travailler davantage, ce qui a déclenché une crise d’hystérie politico-médiatique dont notre pays a le secret. Pourtant, d’après un rapport sénatorial, les enseignants français travaillent légèrement moins que la moyenne européenne, qu’il s’agisse du temps d’enseignement ou du temps de travail total.
Serait-il interdit d’en parler ? Serait-ce insulter les enseignants ? Le problème est plus large. D’après la Dares, les fonctionnaires travaillent 1 580 heures par an, soit moins de 34 heures par semaine. Dans la fonction publique, passer aux 35 heures, c’est augmenter le temps de travail. Le problème du travail n’est pas cantonné au secteur public. Selon les calculs des économistes de Rexecode, les salariés français ont la durée effective annuelle du travail la plus faible d’Europe après la Finlande – 122 heures de moins qu’en Allemagne, 162 heures de moins qu’en Italie. Le taux d’emploi des Européens de 15 à 64 ans s’établit à 70 %, soit 2 points de plus qu’en France. Ces chiffres sont incompatibles avec la résorption de nos déficits, sociaux en particulier.
Il faudra travailler plus pour ne pas décliner. Cette idée est simple et juste. Travail et productivité sont, au bout du compte, les deux seuls facteurs d’enrichissement d’un pays. Mais pour que les gens puissent travailler et pour que l’intelligence se déploie, encore faut-il que la fiscalité soit modérée et que les normes légales et réglementaires laissent la liberté s’exercer. C’est tout le problème de la France et même de l’Europe, notamment face aux Etats-Unis. L’excellent rapport Draghi a suscité une prise de conscience, au sein des élites du Vieux Continent, sur notre décrochage économique par rapport aux Etats-Unis. Ce décrochage relatif pourrait s’accentuer ces prochaines années en fonction de la politique économique qui sera menée par le président Donald Trump.
Le trumpisme, entre menace et audace
Sur le fond, le trumpisme représente par certains aspects ce qu’on fait de pire en matière de pensée économique, par exemple quand il menace le monde d’une plongée dans les affres protectionnistes. Mais il est aussi ambitieux, quand il confie à Elon Musk un grand plan de simplification des structures de l’Etat fédéral qui transférera des tâches réalisées par des humains à l’intelligence artificielle. Il y a là de quoi donner un coup de fouet massif à l’Oncle Sam.
Un tel plan manque à la France. Le ministre de la Fonction publique Guillaume Kasbarian a émis sur X le souhait de partager avec Musk les bonnes pratiques pour débureaucratiser la sphère publique et améliorer son efficacité. Valérie Pécresse lui a emboîté le pas. La gauche s’étrangle, hurlant, comme d’habitude, au fascisme. Pourtant Kasbarian et Pécresse ont raison. Sur ces sujets, on peut exclure que la France soit trop audacieuse. Tout ce qui peut la stimuler, que cela vienne de Trump ou d’ailleurs, est bon à prendre.
Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, est directeur du cabinet de conseil Astères
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