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Du micro-main au micro-casque en entreprise, ces gestes qui vous trahissent, par Julia de Funès


Si Roland Barthes vivait encore, de nouvelles Mythologies auraient assurément vu le jour. Le micro aurait pu en faire partie, cet objet si singulier, porteur d’un langage en soi, reflétant les personnalités qu’il fait parler. Sans nous prendre pour l’indétrônable sémiologue, observons qu’il y a d’abord ceux qui s’agrippent au micro avec une ferveur presque obstinée, une poigne si ferme, si rigide que leur main transpire sous l’effort, enserrant l’objet jusqu’à l’engourdissement.

Et lorsque le hasard nous place dans la fâcheuse situation de devoir reprendre ce micro poisseux laissé par un tel acharné, il nous faut déployer un éventail de stratégies pour le récupérer. Certains, dans l’urgence, adoptent le même geste que celui qu’ils font machinalement pour une barre de métro : ils s’en emparent résolument, à pleine main, acceptant microbes et aléas de la vie avec une certaine virilité. D’autres, moins intrépides – dont je fais partie –, préfèrent le saisir du bout des doigts, paume ouverte, espérant ainsi l’assécher, comme pour effacer cette moiteur d’énergie obstinée.

A l’opposé des agrippés, il y a les étourdis. Ceux-là commencent leur discours avec le micro sagement tenu à bonne distance de la bouche, mais, peu à peu, leur bras s’abandonne, glisse lentement au gré de l’exposé. Un collègue bienveillant tente de leur rappeler, en remontant gentiment leur coude, qu’il faut (oh surprise !) parler dans le micro, mais cette évidence se dissipe malgré tout. Le bras redescend comme un pont-levis, le public, agacé, peine à saisir le propos, la prestation est ratée.

Pour pallier ces maladresses naturelles et dompter la prise en main du micro, certains coachs en prise de parole dispensent trucs et astuces. Le plus répandu d’entre eux consiste à coller le micro contre le menton. Derrière cette technique prétendument imparable, une faiblesse néanmoins s’entretient insidieusement : on bride le corps à défaut d’apprendre à le conduire. On le contraint au lieu de l’entraîner, on le réprime sans l’exercer. L’aisance et le “naturel”, qui ne s’acquièrent que par un exercice répété, cèdent la place à une sorte de colle imaginaire. Mais le micro collé c’est comme une tétine à une chaîne, ou un téléphone pendu à un collier, c’est une attache qui se prend pour une délivrance.

Le micro ne se contente pas de transmettre une voix

Face aux défis du maniement du micro, une dernière solution s’offre à nous : le micro-casque dit Madonna. C’est l’instrument des stars, des chanteurs et des danseurs, dont les mouvements scéniques empêchent l’usage d’un micro main. Mais, pour présenter le budget du premier trimestre de l’année 2025 dans l’auditorium B de la tour C, la chorégraphie, on le sait, ne promet guère d’envolées spectaculaires. Cela n’empêche pas les régisseurs de poser systématiquement cette question saugrenue avant d’entrer en scène : “Vous êtes plutôt main ou Madonna ?”

Bref, le micro ne se contente pas de transmettre une voix ; il est lui-même porteur de discours. Ce n’est pas seulement un amplificateur, c’est un objet signifiant, un interprète autonome. Tout en nous mime l’être : la voix, l’intonation, le geste, jusqu’à la manière d’appréhender un objet. Comme le disait Victor Hugo, “la forme est l’expression du fond”. Marcel Proust ajoutait, lui, que l’expressivité est le reflet de la qualité d’âme. Ainsi dans A la recherche du temps perdu, le personnage de Saniette parle à demi-mot, caressant à peine les syllabes : “On sentait que son articulation trahissait moins un défaut de la langue qu’une qualité de l’âme […] toutes les consonnes qu’il ne pouvait prononcer figuraient comme autant de duretés dont il était incapable.”

Ne nous arrêtons pas simplement à l’extériorité, ni à l’intonation seule, ni même à la façon de saisir un micro, car s’en tenir à ces indices serait bien sûr superficiel et réducteur. Il est néanmoins indéniable que chaque détail est révélateur, que chaque geste, aussi anodin soit-il, pointe vers l’intimité de l’être. Si l’extériorité mime l’intériorité, si la forme se fait le miroir du fond, c’est que l’authenticité d’un individu se dévoile moins par ce qu’il dit volontairement de lui-même que par ce que son corps laisse involontairement transparaître. Le corps dans son langage incontrôlé nous dévoile bien des vérités cachées.

* Julia de Funès est docteur en philosophie.




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