“Certains disent que j’ai changé… Mais c’est le contexte qui a changé !” Élu de la vague verte de 2020, Pierre Hurmic assume son revirement dans un contexte sécuritaire “aggravé”. Opposé depuis le début de son mandat à l’armement de sa police municipale, à l’instar des maires des grandes villes écologistes et de gauche (Paris, Lille, Rennes, Grenoble, Nantes), le maire de Bordeaux a finalement changé d’avis. Désormais, une cinquantaine d’agents seront armés de pistolets semi-automatiques.
D’un côté, la mesure sème le trouble dans la majorité municipale bordelaise (EELV, PS, PCF, société civile). De l’autre, l’édile est érigé en modèle de pragmatisme par les opposants de droite des exécutifs municipaux de gauche, dont certaines demeurent opposées à la mesure. “À l’instar du dérèglement climatique, les premières victimes de l’insécurité sont les populations les plus défavorisées. Cette donnée devrait bousculer et interpeller les élus de gauche”, répond-il à L’Express.
L’Express : Vous êtes le premier maire écologiste d’une métropole à décider d’armer une partie de votre police municipale. Avez-vous brisé un tabou ?
Pierre Hurmic : Un maire ne doit pas avoir de sujet tabou. Aux manettes, on conjugue en permanence son éthique de conviction avec son éthique de responsabilité. C’est donc en responsabilités que j’ai pris la décision d’armer partiellement la police municipale. Mon opposition m’a reproché d’avoir trop tardé et ils ont raison, mais eux-mêmes ne l’ont jamais arbitrée lorsqu’ils étaient au pouvoir. J’ai passé des mois à consulter des maires, d’Annecy, de Grenoble, de Lyon, de Saint-Denis ou de Strasbourg – qu’ils aient ou non des policiers municipaux armés – des sociologues, des juristes, et ma propre majorité. Le contexte a changé, la hausse de la violence et de l’insécurité dans les rues de nos villes est indéniable.
J’ai par ailleurs été confronté à des difficultés de recrutements de policiers municipaux alors que j’avais créé des postes. À des grèves, aussi (NDLR : en juin dernier). Ils m’ont assuré parfois intervenir sur des lieux de violence “la peur au ventre”. Désarmés, ils sont souvent primo-intervenants sur des lieux d’agressions de plus en plus violentes et armées. Je suis leur employeur : c’est de mon devoir de faire en sorte qu’ils puissent exercer leur métier dans des conditions de sécurité optimales. Tout cela m’a fait évoluer sur la question, l’appréhension de cette question ne peut pas être que théorique.
Les circonstances sécuritaires ont-elles fondamentalement modifié les idéaux du militant écolo que vous étiez hier ? Le réel vous a-t-il “droitisé”?
Non, car je ne pense pas que le réarmement de la police municipale soit un marqueur de droite ou de gauche. On ne peut d’ailleurs pas réduire la question de la sécurité à cette seule mesure. Le sujet est complexe, et je m’efforce d’être un maire pragmatique et surtout soucieux de la juste mesure. En l’espèce, les partisans du tout ou rien – ceux qui considèrent qu’il fallait armer l’intégralité la police municipale et ceux qui considèrent qu’il ne faut pas le faire – seront déçus. La sécurité est pour moi un service public ; quand vous êtes de gauche, vous êtes très attaché à tous les services publics, y compris celui-ci. À l’instar du dérèglement climatique, les premières victimes de l’insécurité sont les populations les plus défavorisées. Cette donnée devrait bousculer et interpeller les élus de gauche. C’est mon cas.
C’est pourtant le sentiment d’une part non négligeable de votre équipe municipale à la suite de votre annonce. Certains parlent de “renoncement” par rapport à vos positions passées… Pourquoi un tel malaise ?
C’est un débat éthique qui traverse chacun d’entre nous. Je revendique d’avoir été clairement contre, au début de mon mandat. Ça n’est pas une décision que l’on prend à la légère. Lors des municipales de 2020, j’ai porté le slogan “Le monde change, changeons Bordeaux” ; je pense que le monde a également changé sur ce terrain. Et il faut être d’une grande candeur pour ignorer que nous vivons dans une société de plus en plus violente. Effectivement, cela a été très discuté au sein de ma majorité municipale, moi-même j’ai été bousculé par cette question, mais je ne peux y répondre en fermant les yeux. J’ai donc pris cette décision en sachant qu’elle ne satisfait pas tous les membres de mon équipe : je ne leur demande pas de l’approuver, mais de comprendre ma responsabilité de maire.
Armer les policiers municipaux est-il un gage de sécurité publique ?
Je ne sais pas si c’est un gage, c’est plutôt un risque que je prends. Notre politique sera régulièrement évaluée avec exigence, et le conseil municipal y sera associé. Pendant très longtemps, Bordeaux a été épargnée des phénomènes de délinquance, jusqu’en 2015. Depuis ma prise de fonction, l’augmentation de la délinquance a ralenti. Selon des études, la majorité des Bordelais se sentent en sécurité dans leur ville. Mais je ne me contente pas de ce résultat. Ma politique liée à la sécurité, dans ce plan global, repose sur deux jambes : une politique de prévention, et une autre de lutte contre la délinquance. J’ai budgétairement augmenté le nombre de policiers municipaux, pareil pour le nombre de médiateurs. J’ai aussi renforcé le dispositif de vidéosurveillance. J’ai été l’un des rares maires de gauche à avoir signé un contrat de sécurité intégrée avec l’État. Actuellement, je me bagarre avec le ministère de l’Intérieur pour obtenir une compagnie de CRS à demeure à Bordeaux, et j’ai rendez-vous prochainement avec Bruno Retailleau.
Auprès de Mediapart, Eric Piolle, maire de Grenoble, a d’ailleurs regretté à votre sujet qu’une partie de la gauche ait “lâché sur ses fondamentaux” avec la volonté de “montrer patte blanche” à ses adversaires…
Chaque maire est maître chez lui, et répond aux problématiques en fonction de ce qu’il est. J’ai rencontré ces maires, j’ai parlé à Éric Piolle, et bien évidemment que nous n’avons pas la même appréhension des choses, mais c’est la vie. Je ne me permettrai pas de commenter la façon dont les édiles appréhendent leur situation de terrain, au même titre que je n’apprécierai pas qu’ils le fassent pour moi. Mais je ne laisserai pas dire qu’il y a des politiques de gauche et des politiques de droite : je ne veux pas de débat manichéen sur ce terrain-là. Le droit à la sécurité est un véritable droit ! Des tas de gens de gauche se sont intéressés à la question. Je ne suis d’ailleurs pas tout à fait étranger à la thématique : je suis avocat, j’ai été militant d’associations de contrôle judiciaire et de prévention à la délinquance. J’ai ma vision qui est la mienne, et qui évolue.
Les Verts se retrouvent régulièrement accusés d’angélisme sur les sujets de sécurité. Le comprenez-vous ?
Si l’image est un cliché qui a la peau dure, je suis content de le casser. J’ai la particularité d’être un maire peu impliqué dans la vie nationale de mon parti. Mon professeur en études supérieures, le philosophe bordelais Jacques Ellul, affirmait qu'”un homme de parti n’était qu’une partie d’homme”. Je ne suis pas une partie d’homme, je suis très attaché à mon indépendance, à ma liberté, et je suis maire à plein temps. J’ai bien sûr prévenu Marine Tondelier de la mise en place de cette mesure : elle a été très respectueuse.
Globalement, comment la gauche peut-elle sortir de l’éternelle accusation en laxisme sécuritaire ?
Je trouve ce procès en laxisme manichéen, et empreint de clichés. Mais il est important de ne pas leur prêter le flanc. Il est temps que la gauche se réconcilie avec les questions de sécurité, car il existe une vision progressiste de ce service public qui n’est ni la police coup de poing, ni la police spectacle. Une vision globale et équilibrée qui fonctionne sur deux jambes : la prévention d’abord, et quand elle échoue, la répression. Il est important que l’on s’y attelle.
Source