*.*.*.

“Donald Trump a tout d’un roi” : la Cour suprême, un garde-fou sous influence

Lors de sa confirmation au Sénat en 2005, John Roberts s’était lancé dans une analogie restée célèbre : “Les juges sont comme des arbitres. Les arbitres ne font pas les règles, ils les appliquent” et “s”assurent que tout le monde les suit”, avait déclaré le juge en chef des Etats-Unis, insistant sur le fait que ce serait “sa tâche” à la tête de la Cour suprême. Ces derniers mois, pourtant, ce (presque) septuagénaire affable n’a pas tenu sa promesse et a pris avec ses collègues des décisions qui ont eu un impact retentissant sur le pays. Et facilité le retour à la Maison-Blanche de Donald Trump.

John Roberts, considéré comme un des juristes les plus brillants de sa génération, a longtemps mené une carrière sans faute. Il a travaillé dans les administrations de Ronald Reagan et de George Bush père, a siégé comme magistrat dans un tribunal fédéral avant d’être nommé en 2005, à 50 ans, président de la plus haute juridiction par le président George W. Bush. Depuis vingt ans, ce catholique père de deux enfants adoptés a affiché des positions conservatrices sans toutefois jouer les idéologues intransigeants. Sa “grande priorité”, a-t-il assuré dans une interview au magazine The Atlantic, est de maintenir l’institution “en dehors de toutes divisions partisanes” et d’encourager ses collègues à rendre des arrêts consensuels, obtenus par le compromis et la modération afin de “protéger la légitimité institutionnelle” de la Cour.

Une institution de plus en plus politisée.

Sous sa houlette, cependant, les neuf sages ont donné de grandes victoires aux républicains, en décrétant inconstitutionnelle par exemple une section du Voting Rights Act, la loi qui interdisait les discriminations raciales dans l’exercice du droit de vote. Avec des conséquences désastreuses, puisque cela a compliqué l’accès des Noirs aux élections. Mais l’année d’avant, en 2012 John Roberts s’était rangé aux côtés des membres démocrates et avait permis ainsi de sauver la réforme de la santé du président Obama. Il a voté également avec eux pour empêcher l’administration Trump de supprimer un programme qui protège de l’expulsion 700 000 immigrés sans papiers, arrivés enfants sur le sol américain.

Le tournant a commencé fin 2020, lorsque Donald Trump a nommé Amy Coney Barrett, après le décès d’une juge progressiste. L’équilibre de la Cour s’en est trouvé bouleversé. Composée désormais de six républicains (contre trois démocrates), elle s’est transformée en bastion ultraconservateur et n’a cessé de prendre des décisions qui ont agressivement renversé ou ignoré la jurisprudence établie de longue date. Elle a mis un terme à la discrimination positive dans les facs, assoupli la législation sur les armes, affaibli le pouvoir réglementaire des agences fédérales au grand bonheur du patronat et supprimé le droit constitutionnel à l’avortement, en vigueur depuis cinquante ans. En 2022, John Roberts avait essayé de trouver un compromis sur l’IVG, il proposait de la restreindre tout en la maintenant dans la Constitution. En vain : ses cinq collègues conservateurs ne l’ont pas écouté.

Donald Trump a tout d’un “roi”

Ces derniers mois, le président de la Cour semble avoir abandonné toute idée de consensus et a voté majoritairement avec les juges de son camp. Il a surtout impliqué la plus haute instance judiciaire, en théorie au-dessus des partis, dans la campagne électorale. On lui doit notamment la rédaction de deux arrêts cruciaux très favorables à Donald Trump. Selon le premier, les Etats ne peuvent pas déclarer le candidat républicain inéligible en s’appuyant sur le 14e amendement qui exclut de fonctions publiques quiconque se serait livré à des actes de “rébellion”.

Encore plus monumental, les six membres conservateurs ont accordé à l’ancien président une vaste immunité contre les poursuites au pénal pour les actes officiels commis dans l’exercice de ses fonctions. Une énorme victoire pour Donald Trump, qui lui a épargné un procès avant les élections. John Roberts s’est justifié en disant que le chef de l’Etat prend “les décisions les plus délicates et les plus cruciales” de tout le gouvernement et doit donc bénéficier de “la capacité maximale de gérer avec impartialité et sans crainte” ses responsabilités. Traduisez : ne doit pas s’inquiéter de possibles poursuites judiciaires. La juge Sonia Sotomayor, au nom de ses trois collègues démocrates, a condamné en des termes virulents cet arrêt “extraordinaire” sans “base légale,” qui “tourne en dérision” le principe selon lequel “personne n’est au-dessus des lois”. L’occupant du Bureau Ovale, conclut-elle, a tout d’un “roi”. John Roberts, qui d’après les médias, n’avait pas anticipé un tel tollé, a répliqué que “le ton apocalyptique” des démocrates était “totalement disproportionné” par rapport à la décision.

Nombre de juristes n’ont pas mâché leurs mots. C’est “la plus radicale reconstruction judiciaire de la présidence américaine de l’Histoire, écrit Sean Wilentz, professeur d’histoire à Princeton dans le New York Review of Books. Jamais aucun tribunal n’a protégé un candidat politique de cette manière.” Pour Steve Vladeck, professeur de droit à l’université de Georgetown, “le message envoyé par la Cour dans presque toutes les décisions majeures, c’est qu’elle se moque de la perception qu’en a la moitié du pays”.

Il a toujours cru en un exécutif très puissant.

Ce virage de John Roberts a suscité moult spéculations. “C’était une Cour suprême conservatrice… mais jusqu’à récemment pas trumpiste,” estime Michael Waldman, responsable du Brennan Center for Justice. “L’affaire de l’immunité suggère que nous entrons peut-être dans une nouvelle ère.” Est-ce parce que le juge en chef s’est droitisé ? Ou plutôt parce qu’il a voulu éviter d’être mis sur la touche par ses collègues conservateurs comme lors du vote sur l’avortement ? Ou est-ce juste parce que le sujet de l’immunité lui tenait à cœur ? “Il a toujours cru en l’idée d’un exécutif très puissant. Il pense que l’affaire du Watergate a conduit à l’érosion du pouvoir présidentiel. Cette décision sur l’immunité, il l’a attendue toute sa carrière”, affirme Carolyn Shapiro, professeure au Chicago-Kent College of Law.

Alors que Donald Trump s’apprête à revenir au pouvoir, John Roberts va sans doute avoir plus que jamais un rôle central. La question reste de savoir si la Cour va limiter les ambitions autocratiques du nouveau président ou si elle va jouer les béni-oui-oui et confirmer la constitutionnalité de ses réformes, même les plus litigieuses comme des expulsions massives de sans papiers ou la purge des fonctionnaires. Dans ce cas, compte tenu du fait que les républicains contrôlent aussi le Congrès, il n’y aura plus un seul garde-fou pour contrer la Maison-Blanche.

“Selon moi, la Cour va être bien plus ouverte [à ses réformes] parce que la nouvelle administration sera plus apte à les mettre en place, poursuit le professeur Shapiro. Lors de son premier mandat, Donald Trump a perdu un certain nombre d’affaires devant les juges en raison de l’incompétence de ses équipes.” En outre, ajoute-t-elle, “l’élection a enlevé des pressions qui pesaient sur les neuf sages. Après les décisions comme celles sur l’IVG, il y a eu un débat public sur la nécessité de réformer l’institution. Mais depuis le scrutin, ce n’est plus réalisable pour le moment.”

Donald Trump a une chance de façonner la plus haute instance judiciaire un peu plus à son image avec de nouvelles nominations dans les quatre ans à venir. Ces derniers jours, on a spéculé, même si c’est totalement improbable, sur le départ de Sonia Sotomayor, 70 ans, la juge démocrate la plus âgée que Joe Biden pourrait remplacer avant janvier. On a aussi évoqué la démission, sous Trump II, des républicains Clarence Thomas, 76 ans et Samuel Alito, 74 ans, ce qui permettrait de nommer des magistrats plus jeunes et d’assurer la domination des conservateurs pour les trente ou quarante ans à venir. Aucun des deux n’a manifesté le moindre désir de partir, malgré de multiples scandales éthiques. Ils ont refusé notamment de se récuser sur les affaires liées au 6 janvier alors que Samuel Alito a planté dans son jardin des drapeaux avec des symboles utilisés par les trumpistes qui contestent le résultat des élections de 2020. Quant à Clarence Thomas, sa femme a été très impliquée dans les manœuvres pour changer le résultat du scrutin il y a quatre ans.

Les scandales à répétition ajoutés à l’intense politisation ont érodé la confiance dans l’institution. Selon un sondage Gallup de septembre, seuls 44 % des Américains approuvent son action, une chute de 18 points par rapport à 2000. Et sa crédibilité risque d’en prendre un coup si l’on en croit J.D. Vance. Le vice-président a suggéré avant les élections que, dans le cas où la Cour suprême jugerait la purge des fonctionnaires inconstitutionnelle, Donald Trump n’aurait qu’à passer outre…




Source

..........................%%%...*...........................................$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$--------------------.....