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Peter Wohlleben, auteur de “La Vie secrète des arbres” : “Le chauffage au bois est pire que le charbon !”


Il est le forestier le plus célèbre de la planète. En 2015, Peter Wohlleben publiait La Vie secrète des arbres (Les Arènes), qui a dépassé le million d’exemplaires vendus en France. L’auteur y popularisait notamment les travaux de la biologiste canadienne Suzanne Sismard sur le “Wood-Wide-Web” : des réseaux mycorhiziens à base de champignons filamentaires qui permettraient aux arbres de communiquer et s’entraider. Sans doute trop belle, la thèse fait l’objet de plus en plus de critiques de la part de la communauté scientifique.

Près de dix ans après le phénomène, Peter Wohlleben est de retour avec Notre héritage sauvage (Les Arènes), un essai qui prend de la hauteur en surplombant l’histoire de l’humanité. L’auteur entend y rappeler notre part d’animalité, mais prend aussi à rebours certains dogmes de l’écologie politique. Pour L’Express, il défend une approche plus positive de la préservation de l’environnement, déplore le tabou sur le chauffage au bois, énergie très polluante, et s’amuse au passage des tentatives françaises de retourner à une retraite à 60 ans…

L’Express : Vous soulignez dans ce livre qu’il faut qu’on renoue avec notre animalité pour faire face au réchauffement climatique. Pourquoi ?

Peter Wohlleben : On voit que trop peu d’efforts sont faits face au réchauffement climatique. Les émissions de gaz à effet de serre atteignent de nouveaux records en 2024. Alors que selon les objectifs de l’Accord de Paris, il faudra réduire les émissions de 45 % d’ici 2030. Nous disposons de toute l’information scientifique nécessaire sur ce problème. Mais je pense que nous faisons une erreur en oubliant que les humains sont majoritairement guidés par leurs émotions. Cela concerne même les responsables politiques, comme l’a encore récemment démontré votre président Emmanuel Macron en décidant de dissoudre l’Assemblée. Si telle est notre nature, pourquoi ne pas s’en servir plus pour faire face à la crise environnementale ?

Au sujet du réchauffement climatique, on a créé de la peur. Mais nous avons aussi besoin d’espoir, et encore mieux, de joie. Cela devrait être amusant de protéger l’environnement ! Si vous installez par exemple des panneaux solaires sur votre toit, le compteur pourrait ainsi reculer pour montrer les économies que vous faites, ou alors vous recevez chaque année un versement de votre fournisseur d’électricité. Cela ne peut que vous rendre joyeux. A Paris, la maire avait fait la promesse de planter de nombreux arbres dans la capitale, ce qui a suscité de nombreuses résistances. Une fois que les gens réaliseront qu’une ville plus boisée et moins chaude est plus agréable, le soutien à ces mesures sera de plus en plus important. Il y a cependant un laps de temps qu’il faut surmonter sur le plan politique. Pour cela, nous devrions davantage chercher à déclencher des émotions positives, plutôt que de simplement en faire appel à la rationalité, ou à l’inverse à la peur.

On n’arrête ainsi pas de nous rappeler ce que nous allons perdre dans la transition écologique, plutôt que de montrer qu’on peut y gagner. Actuellement, en Allemagne, nous avons un grand débat au sujet du passage des voitures thermiques aux véhicules électriques. L’ancien ministre des Finances, Christian Lindner, est un fan de Porsche. Pour son parti, le FDP, il est ainsi impossible de réduire les vitesses sur les autoroutes, même si c’est plus économique, moins dangereux et moins polluant. Une limitation de vitesse réduirait les émissions de CO2 sans réel coût pour nous. Mais en Allemagne, cela reste un sujet incroyablement émotionnel. Sur une autoroute allemande, vous pouvez aujourd’hui toujours aller plus vite que sur le circuit du Nürburgring.

La rationalité ne reste-t-elle pas le meilleur outil ? Les pays scandinaves ont aujourd’hui le meilleur indice de performance environnementale, et l’Europe regagne des forêts…

La Suède est loin d’être un exemple en matière de forêts, alors même que ce pays est peu peuplé et que la forêt y recouvre 70 % de son territoire. La plupart des lacs suédois sont bruns à cause des coupes d’arbres. Le sud de la Suède a été une forêt primaire. Maintenant, vous y voyez des pins, des épicéas, des plantations comme dans de nombreuses zones en Allemagne. Il reste des zones préservées dans le Nord, mais simplement parce que l’accès y est plus compliqué. Du fait de la surexploitation, les dernières forêts primaires disparaîtront vite, et plus de deux tiers des forêts suédoises ont moins de 100 ans.

Vous rappelez dans le livre que l’idée d’un équilibre naturel ou d’un âge d’or environnemental est un mythe…

Mes ancêtres ne seraient pas d’accord avec cette idée d’âge d’or (rires). N’importe quel humain de ces 300 000 dernières années, s’il avait eu le choix, opterait pour notre époque. Chaque espèce tente en réalité d’atteindre un équilibre naturel pour pouvoir prospérer. Mais par le passé, il y a eu des astéroïdes, des âges glaciaires, des épidémies, des tsunamis, des éruptions volcaniques… Et si on se projette dans le futur, dans un milliard d’années, l’oxygène aura disparu de cette planète. Dans quelques milliards d’années, le Soleil se transformera en géante rouge. Rien ne dure éternellement. Ce qui compte, c’est donc nous.

Il ne reste aujourd’hui que deux rhinocéros blancs du Nord, des femelles. Mais le dernier rhinocéros blanc n’aura pas conscience de l’être, et ceux qui sont à plaindre, ce sont moins les rhinocéros que nous-mêmes. Leur extinction appauvrira notre monde. Préserver l’environnement, c’est d’abord dans notre intérêt à nous humains. Dans un monde déjà malmené par les catastrophes et l’instabilité, n’allons pas en plus éliminer des facteurs de soutien de l’écosystème dont nous dépendons. Hélas, la plupart des personnes n’ont pas compris que protéger la nature, c’est nous protéger nous.

En Allemagne, pour la première fois, les forêts ne captent plus de CO2, mais en rejettent

Comment voyez-vous les évolutions démographiques, avec une chute des taux de fécondité dans de nombreuses régions du monde ?

J’ai 60 ans. Du fait de l’allongement de l’espérance de vie, je serai peut-être encore en capacité de travailler dix ans ou plus. Nous devrions travailler plus longtemps du fait du vieillissement. Si dans mon pays il y avait encore 6 cotisants pour 1 retraité en 1960, à l’heure actuelle, on ne compte plus que 1,8 cotisant, et les pronostics pour 2050 sont de 1,3. Croire qu’on peut préserver nos structures de retraites, c’est de la folie.

En France, beaucoup souhaitent même revenir sur un départ à la retraite à 64 ans, contre 65 à 67 ans en Allemagne…

Nous savons en Allemagne que même partir à 67 ans ne suffira pas. C’est un problème politique, d’autant plus que l’extrême droite estime qu’on va perdre notre culture du fait des immigrés dont nous avons pourtant besoin de façon urgente…

Ce vieillissement dans les pays riches ne doit pas occulter le fait que la croissance de la population va, au niveau mondial, créer des problèmes environnementaux. Mais cela reste un tabou pour les écologistes. Pourtant, on pourrait résoudre facilement ce problème de croissance démographique, non pas de façon autoritaire comme l’a fait la Chine avec la politique de l’enfant unique, mais en favorisant l’éducation, ainsi que l’égalité des chances entre hommes et femmes sur le plan professionnel. En Ethiopie, les femmes sans instruction scolaire ont en moyenne six enfants, tandis que celles qui ont fréquenté l’école au moins jusqu’à l’âge de 15 ans n’en ont que deux.

Les écologistes comme les agences gouvernementales ont longtemps encouragé le chauffage au bois. Il est pourtant très polluant…

Au sein du parti écologique allemand, il y a aujourd’hui un débat à ce sujet. Mais le ministre de l’Economie et du Climat Robert Habeck a décidé de continuer à subventionner les chaudières à bois. Sur le site de la Rhénanie-Palatinat, où j’ai travaillé plus de vingt ans au service de l’administration forestière, on peut toujours lire que le “bois est une source d’énergie neutre en CO2”. Des millions de propriétaires de logements pensent ainsi que la combustion de pellets, bûches ou copeaux de bois est bénéfique à l’environnement. Mais tous les scientifiques – sauf ceux appartenant à l’industrie forestière – s’accordent sur le fait que la combustion au bois est sans doute encore pire que celle au charbon !

Au départ, il y a le mythe du cycle éternel : le bois est brûlé et l’arbre suivant absorbe à son tour le CO2. Il y aurait ainsi un jeu à somme nulle. Mais c’est oublier que l’arbre scié aurait continué à croître. Comme l’arbre gagne en diamètre et en hauteur, sa performance en termes de stockage de carbone se serait accrue. Les vieux spécimens emmagasinent une quantité particulièrement importante. Selon une étude, 1 % des arbres les plus vigoureux renfermeraient en moyenne 50 % de la biomasse d’une forêt. Mais l’exploitation forestière ramène continuellement ce stock à zéro. De surcroît, sur les surfaces déboisées, de grandes quantités de carbone du sol sont transformées par des bactéries et des champignons qui décomposent l’humus en gaz à effet de serre. Si l’on prend également en compte que les forêts rafraîchissent massivement l’air et contribuent à augmenter les précipitations, l’effet de serre de la combustion du bois est tout bonnement dévastateur.

Selon le rapport décennal sur les forêts qui vient d’être publié par le ministère, en Allemagne, pour la première fois, les forêts ne captent plus de CO2, mais en rejettent. Pourtant, chez nous, le sujet demeure tabou.

Que faire avec les forêts ? Peut-on réduire l’exploitation forestière ?

Ce sujet est très influencé par le lobby forestier. Nous devrions avoir 30 % de nos forêts protégées. Cela en laisse toujours 70 % pour l’exploitation. D’autant plus que les plantations de conifères, des espèces importées, sont en train de mourir du fait de la sécheresse. Ce qui signifie que dans mon pays, nous allons perdre la moitié de la surface forestière dans les dix prochaines années. Jusqu’à présent, nous avons déjà perdu entre 5 000 et 20 000 kilomètres carrés selon les experts. Mais sur le papier, la surface forestière a gagné du terrain, car les coupes claires, de plus en plus importantes, y sont incluses. Selon les autorités allemandes, la forêt croît donc, alors que selon la FAO [NDLR : Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture], l’Allemagne perd de la surface forestière.

Je n’ai pas vu un seul pays où le communisme a fonctionné

La viande est selon vous le principal “tueur” de forêts. Vous-même n’en mangez plus…

Par respect pour le bien-être animal et l’environnement, je n’en mange plus depuis 2018. J’aimais beaucoup la viande, et il m’arrive toujours d’en avoir envie. Je ne suis pas dogmatique, alors même que ce sujet déchaîne les passions. Il y a d’ailleurs une vidéo amusante de la Fête de la bière à Munich où l’on demande aux participants s’ils préfèrent boire de la bière vegan ou sans alcool. On les voit répondre “ah non, la bière vegan, ce n’est pas possible. Je ne veux personne qui me dicte ce que je dois boire !”. Comme si le houblon, l’eau ou les levures étaient d’origine animale (rires). Encore une fois, on voit le rôle des émotions.

Mais nous savons que 83 % de nos surfaces agricoles dans le monde ne servent à produire que 18 % des calories, et ce, sous la forme de viande. En Allemagne, les terres dévolues à cet usage représentent dans les 100 000 kilomètres carrés, ce qui équivaut à la superficie des parcelles occupées par la forêt. Si nous ne mangions plus de viande qu’une fois par semaine, comme il était encore d’usage il y a quelques décennies avec le fameux rôti du dimanche, cela permettrait d’aménager environ 25 % des terres du pays comme zones protégées. En plus des revenus du tourisme, leurs propriétaires pourraient, en lieu et place des subventions à l’agriculture, obtenir des aides financières pour le climat. L’effet rafraîchissant d’une végétation qui recouvre peu à peu son état originel, l’augmentation de la biomasse, tout cela se mesure avec précision par satellite. Cela serait un système positif qui laisse le choix à chaque propriétaire terrien.

Je ne milite ainsi pas pour l’interdiction de la viande. Mais si nous pouvons simplement retourner à notre consommation des années 1960, nous serions proches de l’objectif fixé par le Processus de Montréal.

Certains, comme dans cet article du New Yorker, vous ont reproché de ne pas assez critiquer le capitalisme…

Comme si l’Union soviétique ou la RDA étaient des modèles écologiques (rires). Le pur capitalisme n’est pas bon, et on a besoin de limites et de lois. Mais c’est la nature humaine de ne pas vouloir payer d’impôts ou d’accumuler les profits. Jésus était un communiste, si l’on se fie aux Evangiles. Regardez où en est l’Eglise catholique aujourd’hui : elle est capitaliste, car tels sont les humains. Montrez-moi un système qui fonctionne mieux en laissant leur libre arbitre aux personnes ? Je n’ai pas vu un seul pays où le communisme a fonctionné. Plutôt que de vouloir renverser le capitalisme, concentrons-nous donc sur de bonnes lois. L’une des pistes est par exemple de donner des droits à la nature.

Notre héritage sauvage, par Peter Wohlleben. Les Arènes, 300 p., 22 €.




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