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Langue française : les bourdes à répétition d’Emmanuel Macron


Il y avait du beau monde sous l’auguste Coupole de l’Académie française, en cette fraîche journée automnale. La garde républicaine en grand apparat ; les Immortels en habits verts et jusqu’au président de la République qui, en tant que “protecteur” de la Compagnie, était présent es-qualités. L’événement, il est vrai, le méritait. Ce 14 novembre, la Compagnie lui remettait le dernier tome de la dernière édition de son célèbre dictionnaire. Sachant que la précédente parution remontait à… 1935, la journée pouvait légitimement être qualifiée d’historique.

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Pour bien mesurer la portée de cette publication, je renvoie les lecteurs à l’analyse, plutôt bienveillante, qu’a livrée à L’Express le linguiste Jean Pruvost et à celle, bien plus critique, de ses confrères du “tract des linguistes” (voir la rubrique “A lire ailleurs”). Pour ma part, c’est à quelques énormités proférées au fil des discours que j’ai décidé de consacrer cette infolettre.

A tout seigneur, tout honneur : commençons par le chef de l’Etat, qui a affirmé : “[La langue française] a été la fabrique d’une nation qui, sinon, s’échappait entre ses langues vernaculaires, ses patois, ses différentes langues régionales qui, pour nombre d’entre elles, existent encore, mais étaient un instrument, au fond, de division de la nation” (vers 55’45). Les langues régionales “instrument de division de la nation” ? Personne n’a vraiment compris pourquoi Emmanuel Macron avait décidé de se lancer dans cet étrange réquisitoire. De fait, depuis l’origine de la France jusqu’au milieu du XXe siècle, le multilinguisme a toujours été la règle dans notre pays et, à ce que l’on sache, cela ne l’a pas nullement empêché d’exister. Mieux : si notre longue histoire est émaillée de conflits internes, ceux-ci ont été selon les cas d’origine religieuse, politique ou coloniale, jamais linguistiques. Au contraire ! Faut-il rappeler que, pendant la Première guerre mondiale, des centaines de milliers de Poilus maîtrisant mal la langue nationale, mais parlant admirablement breton, auvergnat ou picard, sont morts dans les tranchées pour la patrie ? On conviendra qu’il assez singulier d’entendre de tels propos quelques jours après les cérémonies du 11 novembre.

Tout à son entreprise de diabolisation, le chef de l’Etat n’a pas hésité à recourir au terme péjoratif de “patois“, dont il faut toujours souligner l’origine : “Gesticuler pour se faire comprendre avec les mains comme des sourds-muets” (Dictionnaire historique de la langue française). Rappelons donc à notre président que, parmi ces prétendus “patois” qu’il semble tant mépriser, figurent notamment – pour ne citer que deux exemples – le basque, dont la richesse fascine les scientifiques du monde entier, et la langue d’oc qui, avec ses troubadours, dominait l’Europe littéraire à la fin du Moyen-Age. Recourir à un lexique aussi dévalorisant relève donc soit de l’inculture soit de l’ethnocentrisme.

Peu soucieux de cohérence, le président a poursuivi son discours en affirmant qu’au Canada, à majorité anglophone, l’usage du français au Québec s’apparentait à un “acte de résistance”. “Résistance au cours du temps, au règne des algorithmes, à l’uniformisation qui nous menace, à l’à-peu-près, au nivellement de tout qui conduit à la perte du goût et du sens” (vers 1 h 04 min). Sans s’apercevoir qu’il se contredisait lui-même ! Si on le suit bien, en effet, la pratique d’une langue minoritaire serait donc un “instrument de division” en France, mais une “résistance à l’uniformisation” en Amérique du Nord. Avec de tels raisonnements, on comprend mieux pourquoi l’étudiant Macron a été recalé au concours d’entrée de Normale Sup…

A mon grand regret, je dois dire qu’Amin Maalouf, dont je suis d’ordinaire un fervent admirateur, a lui aussi multiplié les bévues. Le secrétaire perpétuel de l’Académie a par exemple déclaré :

“L’Etat central assumait la tâche de construire une nation cimentée par une langue commune et les valeurs qu’elle porte” (vers 37’). Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’expliquer, une langue ne porte pas de valeur. La preuve ? Le français a été tout à la fois la langue de la monarchie et celle de la République ; celle des esclavagistes et des abolitionnistes ; celle des Dreyfusards et des anti-Dreyfusards ; celle de la collaboration et de la Résistance… A partir de là, je souhaite bien du courage à celui qui voudra définir les “valeurs” dont est supposée porteuse notre langue nationale – étant entendu que le raisonnement vaut aussi pour l’allemand, l’anglais, le russe, le wolof ou le provençal.

“La langue assure l’égalité devant la loi, comme l’avait compris François Ier dès 1539”, a également affirmé Amin Maalouf dans une allusion à l’ordonnance de Villers-Cotterêts (vers 39’). Celle-là est bien bonne. Les historiens estiment qu’au XVIe siècle, au moment où est signée ladite ordonnance (à laquelle on fait dire ce qu’elle ne dit pas, mais c’est un autre sujet…), 80 % à 90 % de la population ne parle pas français, mais l’une de ces langues dites régionales si mal vues par Emmanuel Macron. Dans ces conditions, on voit mal en quoi le fait d’imposer une langue rare à l’ensemble d’une population pourrait être considéré comme une marque “d’égalité”. Il suffit pour le comprendre d’imaginer que, demain, le corse soit érigé en langue officielle unique de la France. Les Académiciens considèreraient-ils encore qu’il s’agit là d’une mesure d’”égalité devant la loi” ? Cela m’étonnerait fort…

Aussi, quant à moi, ai-je une nette préférence pour cette citation lumineuse du linguiste Philippe Blanchet : “L’unité, c’est choisir d’être ensemble quand on est différent. L’uniformité, c’est écraser les différences pour forcer les gens à vivre ensemble”. Le 14 novembre, hélas, le souci de l’uniformité l’a visiblement emporté sur la recherche de l’unité.

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A LIRE AILLEURS

“Y a-t-il encore un avenir pour l’Académie ?”

Telle est la question que pose dans cet article argumenté l’association du “tract des linguistes”, qui juge déjà périmé le nouveau dictionnaire de l’Académie. “Des mots devenus courants n’y figurent pas : coronavirus, chocolatine, daron, féminicide, cliquer, keuf, smartphone, web…. Et le mail n’y est qu’un petit marteau ou une promenade plantée d’arbres, sans aucun renvoi au mot courriel ajouté récemment en ligne !”, peut-on y lire. D’où cette conclusion :Une neuvième édition, et après ? Tenons-nous en au site, qui, indiscutablement, a aujourd’hui sa valeur”. Les auteurs du texte encouragent les Immortels à s’engager plutôt dans une entreprise de rationalisation de l’orthographe.

Langue bretonne : huit projets soutenus financièrement par la course-relais Redadeg…

La Redadeg est une course-relais traversant les cinq départements de la Bretagne historique, destinée à promouvoir et à récolter des fonds pour la langue bretonne. Les organisateurs de l’édition 2024 viennent de remettre des chèques d’un montant total de 135 000 euros à huit associations, ainsi qu’au réseau d’enseignement immersif Diwan.

… mais toujours des problèmes avec le rectorat

La loi Molac prévoyait de proposer l’enseignement des langues régionales à tous les élèves des territoires concernés. Constatant sa non-application en Bretagne, et ce malgré la signature d’une convention Etat-Région, les associations Div Yezh Breizh (parents d’élèves) et Kelennomp ! (enseignants) ont saisi le rectorat pour exiger chacune le versement d’une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi. Première étape avant la saisine du tribunal administratif.

Une langue commune européenne inspirée du latin ?

Tel est le projet de Marco de Grandis, qui a publié en début d’année la première grammaire de l’euriziano, qui conserve toutes les caractéristiques essentielles du latin, tout en les simplifiant. Une langue artificielle créée dans l’espoir de fournir aux Européens une langue commune.

Le percheron entre dans l’Atlas sonore des langues

Le linguiste Philippe Boula de Mareüil vient d’enrichir son formidable atlas sonore des langues régionales en y ajoutant le percheron, une variante de la langue d’oïl. Une manière de sauvegarder ce patrimoine immatériel menacé de disparition et de célébrer la diversité culturelle.

Grammaire du parler croissantin de Crozant

Cette grammaire descriptive est la première étude de cette ampleur dédiée au parler de Crozant (Creuse), pratiqué aujourd’hui par moins de 50 locuteurs. Situé dans l’aire linguistique du Croissant, le crozantais se trouve à la jonction des ensembles occitans (limousin), au sud, et des parlers d’oïl (français et berrichon) au nord.

Grammaire du parler croissantin de Crozant (Creuse), par Amélie Deparis, Editions L’Harmatan

Chaperlipopette !

Chablis, chagrin, chameau… Daniel Lacotte s’est amusé à multiplier les jeux de mots à partir du mot “chat” dans un livre illustré par Pierre Fouillet. Un ouvrage plus original que convaincant.

Chaperlipopette, par Daniel Lacotte et Pierre Fouillet. Editions Larousse.

A REGARDER

Gloria, par A funtana

Saisissante polyphonie corse offerte par le trio féminin A funtana. Une interprétation d’autant plus étonnante que deux des trois chanteuses, Clara Pertuy et Fanny Châtelain, ne sont pas corses, mais respectivement lorraine et béarnaise. Mais toutes deux partagent avec Muriel Chiaramonti un amour profond pour cette île, sa culture et sa musique.

“Imposer une langue unique est une caractéristique des régimes despotiques”

Le sociolinguiste Philippe Blanchet, inventeur du concept de glottophobie, vient d’être entendu par les élus de l’Assemblée de Corse. Il répond ici aux questions de France 3 Corse ViaStella. Sans mâcher ses mots.

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