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Les bienfaits trop méconnus de la luminothérapie pour combattre la dépression


Trois petites heures à Dijon, quatre à Rennes, neuf à Strasbourg, à peine dix à Paris… Entre le 1er et le 13 novembre, la lumière du Soleil s’est faite rare, très rare, dans certaines villes, indique Météo France. Cette année, l’automne est particulièrement éprouvant en France, notamment dans les régions de la moitié nord du pays, qui traversent une période inhabituellement grise. Ce manque de luminosité n’est pas sans conséquences. Il peut notamment avoir un impact sur la santé mentale, allant d’une chute de moral à une dépression saisonnière.

Pour contrer ces effets délétères, des industriels ont développé des lampes de luminothérapie, qui produisent une lumière blanche, bleue ou cyan censée reproduire, en partie, la lumière du Soleil. Les effets positifs de ces dispositifs restent pourtant méconnus et leur succès commercial tout relatif. Ces lampes sont souvent considérées comme des placebos, voire des arnaques. Mais lorsqu’on se plonge dans les études scientifiques, on découvre que non seulement leur efficacité contre la dépression saisonnière est avérée depuis longtemps, mais que de récents travaux démontrent aussi leur utilité pour traiter les dépressions classiques et les phases dépressives chez les personnes bipolaires. Synchronisation des cycles de sommeil, augmentation de l’énergie et de la concentration… Les bénéfices semblent multiples et poussent les chercheurs à explorer leur intérêt dans d’autres applications, comme l’apnée du sommeil ou même… Le sevrage des addicts à la cocaïne.

De solides preuves scientifiques

“L’effet physiologique de la lumière est connu depuis l’Antiquité, mais il y a eu un regain d’intérêt ces dernières années grâce aux neurosciences, qui nous ont beaucoup appris”, explique le Pr. Pierre Alexis Geoffroy, professeur de psychiatrie au Groupe hospitalier universitaire Paris et à l’hôpital Bichat (AP-HP) et grand spécialiste de la luminothérapie. A la faveur de recherches commencées dans les années 1960, nous savons désormais que la diminution du taux d’ensoleillement en automne et en hiver provoque un déclin de la sérotonine, l’hormone du bonheur, et à l’inverse une augmentation de la mélatonine, l’hormone de la nuit qui favorise le sommeil. Un cocktail délétère, qui peut conduire à une baisse d’humeur et d’énergie. Il a aussi été démontré que la lumière pouvait avoir un effet direct sur certains centres du cerveau, notamment ceux de l’émotion et de la vigilance, et sur les processus liés aux troubles de l’humeur.

La première étude clinique suggérant une efficacité de la luminothérapie pour la dépression saisonnière a été publiée en 1984 par le psychiatre américain Norman E. Rosenthal. Ces travaux ont montré qu’il était possible de corriger les cycles du sommeil grâce à une exposition à la lumière qui synchronise l’horloge interne en inhibant la production de la mélatonine. En 2006, après la publication de nouvelles études sur le sujet, l’Association américaine de psychiatrie a reconnu la luminothérapie comme un traitement efficace contre la dépression saisonnière et certains troubles du sommeil. Les années suivantes, d’autres travaux ont suggéré une efficacité sur les dépressions non saisonnières.

En 2019, une méta-analyse – une compilation des résultats de nombreuses études scientifiques – publiée par le Pr. Geoffroy et son équipe confirme cette nouvelle piste. Ces travaux portent sur l’effet de la luminothérapie dans la dépression sous toutes ses formes, saisonnières ou non, bipolaires (une pathologie qui combine des phases dépressives et maniaques) ou unipolaire. Ils démontrent non seulement que la luminothérapie fait aussi bien que des antidépresseurs, mais aussi que la combinaison des deux donne de meilleurs résultats que les antidépresseurs seuls, à la fois pour les dépressions saisonnières et non-saisonnières.

Des doutes apparaissent néanmoins en 2021, après la publication d’une méta-analyse concluant que la luminothérapie n’est finalement pas efficace dans le traitement de la dépression. “Mais ces travaux comportent plusieurs biais : ils intègrent des essais qui utilisent la lumière bleue et non la lumière blanche, et la durée totale d’exposition à la luminothérapie était probablement trop courte pour obtenir des résultats significatifs sur la dépression”, analyse Sébastien Catoire, psychiatre et addictologue à l’hôpital du Vinatier (Lyon).

L’efficacité de la luminothérapie dans la dépression a finalement été confirmée par une autre méta-analyse. Ces travaux, publiés en octobre 2024 dans la revue JAMA, se sont intéressés à ses effets sur les dépressions non saisonnières. Conclusion ? “La luminothérapie est un traitement d’appoint efficace pour les troubles dépressifs. En outre, elle peut améliorer le temps de réponse au traitement initial [NDLR : par antidépresseurs]”, indiquent les chercheurs.

Quand, où et comment faire sa luminothérapie ?

Dans quelles conditions la luminothérapie s’avère-t-elle bénéfique ? Peut-elle être pratiquée n’importe quand et avec n’importe quel dispositif ? Dans le cas d’une dépression saisonnière, elle doit idéalement s’effectuer après le réveil. “Avec le manque de lumière en hiver, des personnes peuvent se sentir somnolentes le matin car leur corps continue de produire de la mélatonine, ce qui peut conduire à des états léthargiques qui favorisent des baisses de moral. Or la lumière est un inhibiteur de production de mélatonine”, souligne le Pr. Geoffroy. Pour les dépressions non saisonnières, l’exposition matinale est moins importante, mais les spécialistes rappellent qu’il faut l’éviter après 15 heures en raison des propriétés stimulantes de la lumière et des risques de perturbation des cycles du sommeil.

La lampe doit être placée à une quarantaine de centimètres pendant trente à quarante minutes à puissance maximale, généralement 10 000 lux. Si la puissance est de 5 000 lux, il faut s’exposer une heure, etc. La lumière doit idéalement être de couleur blanche, dont la longueur d’onde est plus efficace, et non pas bleue ni cyan. “Il n’y a pas vraiment de raison de penser que les dispositifs sur le marché comportent de grossières erreurs, mais je recommande le plus souvent ceux qui possèdent un marquage CE”, ajoute le Dr. Catoire. Néanmoins, si la lampe est trop loin ou n’est pas face au visage, les effets sont diminués et l’exposition doit être prolongée.

Les personnes sujettes à la dépression saisonnière mais bénéficiant du télétravail peuvent donc facilement passer leur journée avec une lampe à proximité d’elles, sans qu’elle soit forcément à pleine puissance ou juste en face. Pour qui n’a pas le luxe du temps, il est possible d’utiliser des lunettes de luminothérapie – un peu comme des lunettes classiques, mais équipées de rangées de petites LED sur la monture. Leur positionnement près de la rétine autorise une luminosité moins élevée et permet, aussi, de se déplacer, d’effectuer d’autres activités. Les psychiatres privilégient d’ailleurs ce dispositif chez les patients très déprimés. “Nous conseillons surtout les lunettes chez nos patients car rester longtemps assis devant une lampe fixe peut favoriser l’inactivité et donc indirectement les ruminations et la dépression”, indique le Dr. Catoire.

La luminothérapie peut apporter des bénéfices rapides comme le gain d’énergie et l’amélioration de la concentration. “Une session peut être aussi requinquante qu’une sieste”, assure le Dr. Catoire. En revanche, pour les symptômes dépressifs, les médecins rappellent qu’il faut suivre le traitement au moins un mois pour bénéficier d’effets positifs. Pour les personnes souffrant de dépressions saisonnières, il peut être nécessaire de le suivre pendant toute la saison automne-hiver.

Il existe néanmoins quelques rares contre-indications. Impossible bien sûr de conduire en portant des lunettes de luminothérapies. Le traitement doit être évité chez les individus souffrant d’épilepsie non stabilisée et ceux ayant des problèmes ophtalmologiques, en particulier des rétinopathies. “Et chez les bipolaires, la luminothérapie doit toujours être réalisée sous couvert d’un stabilisateur de l’humeur qui protège d’un virage maniaque, car comme tout antidépresseur, il y a un risque d’induire une augmentation pathologique de l’humeur et de l’énergie”, souligne le Pr. Geoffroy.

“Les patients qui ont compris que cela marche sur eux n’ont plus besoin de nous”

Peut-on également pratiquer la luminothérapie en prévention, par exemple dès le mois d’octobre, pour empêcher la dépression saisonnière ? Sur ce point la revue Cochrane, une référence en la matière, indique que les preuves scientifiques sont insuffisantes. “Les études sont plus nombreuses sur l’aspect curatif – c’est-à-dire pendant la dépression, mais il manque des données sur le plan préventif, avant l’apparition d’une dépression, reconnaît Sébastien Catoire. Mais il faut rester pragmatique : il serait logique que la luminothérapie fonctionne en prévention.” Et comme il n’y a aucun effet secondaire ou presque, les personnes sujettes aux dépressions saisonnières auraient tort de s’en priver.

Le Pr. Geoffroy confirme : “La vente de lampes n’est pas très rentable et les industriels qui en fabriquent n’ont pas la puissance financière de l’industrie pharmaceutique pour conduire des études randomisées contrôlées avec des centaines de participants – très coûteuses – afin de démontrer les bénéfices en prévention.” Le spécialiste rappelle d’ailleurs que la plupart des études sur la luminothérapie sont des études universitaires. “Pour les dépressions saisonnières, les patients qui ont compris que cela fonctionne sur eux n’ont plus besoin de nous, ils le font de manière préventive quand les premiers symptômes se manifestent”, ajoute-t-il.

Des pistes pour lutter contre la cocaïne, l’apnée du sommeil

La lumière paraît même si prometteuse que les chercheurs explorent ses bienfaits dans d’autres applications. Le projet CokeLux, lancé par l’hôpital du Vinatier, vise ainsi à explorer l’usage de luminothérapie pendant le sevrage hospitalier de la cocaïne. Plus de 250 participants seront inclus dans cet essai, qui a obtenu un financement de 692 000 euros. “Le problème avec la cocaïne c’est qu’il n’existe pas de traitement substitutif ou ayant l’indication pour le sevrage, contrairement à l’alcool, au tabac ou aux opiacés”, explique le Dr. Catoire. Or la cocaïne trouble les rythmes du sommeil. Et lors du sevrage, les cocaïnomanes subissent les effets inverses de la cocaïne : ils sont léthargiques, rencontrent des difficultés à se lever le matin et à se concentrer, etc. “Comme la luminothérapie diminue la somnolence et la fatigue et augmente la concentration, on espère qu’elle diminuera l’envie d’un recours à des stimulants lors du sevrage”, ajoute-t-il.

Un autre projet, également lancé par le Vinatier, vise à explorer l’effet la luminothérapie chez les patients atteints de syndrome d’apnée du sommeil. Cette fois, l’idée est d’introduire une prescription de luminothérapie en même temps que le traitement classique de l’apnée du sommeil, des machines qui peuvent être difficiles à supporter chez certaines personnes. Les chercheurs espèrent que la luminothérapie puisse contribuer à diminuer les symptômes de l’apnée du sommeil, et donc indirectement contribuer à augmenter la motivation du patient dans la poursuite du traitement classique. Si ces bénéfices se confirment, il y a fort à parier que les chercheurs tenteront d’explorer encore d’autres pistes.




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