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Boualem Sansal, Kamel Daoud… Ou la “prise d’otage” de Paris par Alger


Depuis des mois, le téléphone sonne dans le vide à Alger. Sur la rive sud de la Méditerranée, plus personne n’ose décrocher quand le nom d’un journaliste français s’affiche sur l’écran. Et si les services secrets écoutaient ? Et si on leur passait les menottes un beau matin pour en avoir trop dit ? Se taire pour survivre, ne pas croupir, comme tant d’autres, dans les geôles du régime.

Au téléphone, Boualem Sansal ne répond plus depuis le 16 novembre 2024, date à laquelle l’écrivain algérien – récemment naturalisé français – a atterri à Alger… et perdu sa liberté chérie. D’après le correspondant de RFI, des agents de sécurité en civil l’ont arrêté à quelques kilomètres de l’aéroport. L’auteur de 75 ans, infatigable pourfendeur du pouvoir algérien et de l’islamisme, risque la prison pour “atteinte à l’unité nationale”. Ses propos au média d’extrême droite Livre noir pourraient être en cause. “Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest faisait partie du Maroc”, déclare-t-il dans cet entretien du 2 octobre dernier.

La même semaine, on apprenait que son ami Kamel Daoud, autre grande voix de la dissidence, était la cible de deux plaintes dans son pays d’origine, au sujet de son dernier roman tout juste lauréat du prix Goncourt : Houris, plongée dans la vie d’une victime de la guerre civile qui ravagea l’Algérie dans les années 1990. Une rescapée de cette “décennie noire” accuse l’écrivain d’avoir tiré son récit des confidences faites à son épouse, psychiatre, violant ainsi le secret médical. Kamel Daoud est aussi visé par une plainte pour violation de la loi sur la réconciliation nationale, qui interdit l’évocation des “blessures de la tragédie nationale”.

Peur sur la diaspora

“En Algérie, la justice est aux ordres, souligne Pierre Vermeren, professeur à la Sorbonne et auteur de Dissidents du Maghreb (Belin, 2018). Ces deux affaires procèdent de la même mécanique, qui consiste à faire taire les deux figures les plus connues de l’Algérie intellectuelle. Beaucoup de voix ont déjà été tues en Algérie, désormais le régime s’en prend à ces personnalités de rang international. Et délivre un message à la France, perpétuellement accusée d’instrumentaliser les opposants au régime.”

Daoud, Sansal, deux esprits libres, deux Algériens qui ont choisi de prendre, en plus de la leur, la citoyenneté française, comme un pied de nez à l’impossible réconciliation entre les deux capitales. “L’interpellation de Boualem Sansal sonne comme une punition pour la France après deux “affronts”, reprend Pierre Vermeren : la naturalisation de Sansal il y a quelques semaines et le prix Goncourt décerné début novembre à Kamel Daoud.

“Le pouvoir veut museler depuis longtemps la diaspora. Il est passé aux travaux pratiques, abonde un intellectuel algérien exilé ayant requis l’anonymat. Le régime prend la France en otage sur ses principes fondamentaux : Emmanuel Macron n’a d’autre choix que de réagir à l’arrestation de l’un de ses ressortissants.” Le président français s’est dit, le 21 novembre, “très préoccupé par la disparition” de Boualem Sansal, selon son entourage. L’agence de presse officielle algérienne APS a reproché à la France de prendre “la défense d’un négationniste qui remet en cause l’existence, l’indépendance, l’histoire, la souveraineté et les frontières de l’Algérie.”

Cette nouvelle étape du durcissement du régime intervient en pleine crispation des relations diplomatiques entre Paris et Alger après la reconnaissance par l’Elysée, cet été, de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental – revendiqué par le Front Polisario, allié d’Alger.

La France a bien tenté, depuis, des gestes d’apaisement : au lendemain de la réélection du président Tebboune, Emmanuel Macron envoyait sa conseillère Afrique du Nord rencontrer le chef de l’Etat. Quelques jours plus tard, il reconnaissait la responsabilité de la France dans l’assassinat du nationaliste algérien Larbi Ben M’hidi en 1957. Las, la pilule du Sahara occidental ne passe pas. Après avoir songé à rompre ses relations commerciales avec Paris, les généraux algériens, seuls maîtres du pays, franchissent un nouveau seuil.

“Après la parenthèse du hirak, la peur est revenue, partout, note Pierre Vermeren. Or, si le pouvoir est capable de s’en prendre à l’écrivain le plus connu, âgé de 75 ans, de nationalité française, protégé par toutes les élites parisiennes… Imaginez ce que peut ressentir “l’Algérien lambda”. Vous vous dites que personne ne parlera de vous ni ne viendra à votre secours. Par conséquent, vous n’avez qu’une seule chose à faire : vous taire.” Déjà, à Paris et ailleurs, les voix de la diaspora algérienne se font plus discrètes, incitées par leurs familles restées au pays. Partout, la même crainte. Et avec elle son tragique corollaire : le silence.




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