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Boualem Sansal, Kamel Daoud : ne touchez pas à nos cordes vocales !


Ne faites pas parler un muet, il vous insultera. C’est la leçon que l’on pourrait retenir de la mésaventure littéraire de Kamel Daoud, suite au succès de son roman Houris, Goncourt 2024, et la polémique dont il fait l’objet depuis. Admettons d’entrée que les écrivains sont machiavéliques, sans scrupule et assoiffés de mots, et qu’ils ne reculent devant rien, au nom de leur art, pour bâtir leurs œuvres en papier. Mais s’il y a des guerres que l’on dit “saintes” ou “justes”, que dire d’un roman ?

Les deux hommes de lettres ne sont pas célébrés dans leur pays pour leurs diatribes contre le système algérien et le monde arabo-musulman

Daoud, qui revendique sur les plateaux télévisés être un affamé de succès et de visibilité, serait ainsi prêt à tout ? L’écrivain algérien, naturalisé français, aurait “volé” l’histoire de son roman primé à une survivante de la “décennie noire” dont il est interdit de parler en Algérie. L’anti-muse de Daoud s’appelle en réalité Saâda (Félicité en arabe.) Rien à voir donc avec Fajr (Aube), l’héroïne de Houris. Daoud pourrait se défendre : ” Fajr – sinon Aube – c’est moi ! ” mais l’auteur a laissé trop d’ADN qui identifie Saâda, négligeant peut-être d’assurer ses arrières. Et voilà que, pour ainsi dire, le personnage devient personne et sort pour de bon du silence ; Saâda acquiert une renommée soudaine en tant que victime, non du terrible massacre qui lui a coûté les cordes vocales et décimé toute sa famille, mais d’un livre qui s’inspire de son histoire. Derrière elle, toute une armada de rancuniers qui veulent la peau de Daoud.

Peut-on imaginer la vraie madame Bovary porter plainte contre Flaubert ? Certes, la pauvre femme était déjà morte et Flaubert eut droit à son procès pour outrage à la morale publique et religieuse, intenté par les inquisiteurs de l’époque, de même qu’aujourd’hui Boualem Sansal se voit embastillé. C’est que les deux hommes de lettres ne sont pas célébrés dans leur pays pour leurs écrits, encore moins pour leurs diatribes contre le système algérien et le monde arabo-musulman – ce pourquoi on les apprécie en France. Ils sont plutôt dénoncés en tant que figures du néo-harkisme : mouvement qui consiste, pour un intellectuel algérien, à dénigrer son pays et rejoindre l’Hexagone pour y mener une existence paisible, parce que c’est un drôle de pays où les égorgeurs sont amnistiés et les écrivains poursuivis.

Le choix de Macron pour le Maroc en toile de fond

Sansal, naturalisé français lui aussi, a donc été arrêté à Alger, le 16 novembre, et on reste jusqu’à ce jour aucune nouvelle de lui. Ouvertement athée et “religiophobe”, en perpétuelle croisade contre l’islamisme, il avait déclaré récemment que l’Ouest de l’Algérie était historiquement marocain avant la domination française et le traçage des frontières actuelles. Déclarations faites à un média français d’extrême droite qui s’appelle Frontières, mais déclarations ô combien offensantes pour des oreilles nationalistes algériennes et désormais entendues comme une menace pour l’unité territoriale du pays.

Complexe des petites nations : le chien aboie, la caravane s’enlise. Le contexte ne joue pas en la faveur de Sansal depuis la reconnaissance par Emmanuel Macron de la marocanité de Sahara occidental, même si, en même temps, le président français avait reconnu la responsabilité de son pays dans l’assassinat du nationaliste algérien Larbi Ben M’hidi, mais pas facile de ménager la chèvre et le chou. Bref, voilà que Sansal, qui disait n’être une “rumeur scandaleuse” en Algérie, prend subitement de l’importance aux yeux du pouvoir en place, en tant que “tumeur scandaleuse”…

En fin de compte – tous les auteurs en rêvent – rien ne peut récompenser une œuvre ou un artiste plus qu’un procès absurde ou une stupide fatwa. La plume étant plus tranchante que l’épée, exigeons la liberté pour Sansal et acquittons d’emblée Daoud. A la fin, il restera la littérature. La preuve : à la fin d’une interview, Saâda dit vouloir écrire son histoire elle-même. Trouverait-elle meilleur nègre que Daoud ?

*Auteur de L’amour des choses invisibles (Ed. Grasset, 2021) et La naturalisation (à paraître en janvier. 2025, Ed. Grasset)




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