*.*.*.

Emmanuel Macron – Marine Le Pen, dans le secret de leurs échanges : “Vous avez vu ? On s’est bien tenus”

Emmanuel Macron aurait pu l’aider. Il sait faire passer des messages, infléchir des positions. N’est-il pas président de la République ? Comment diable est-il possible qu’en ce mois de juillet 2024, alors qu’il aurait tant besoin d’amadouer ses adversaires s’il veut survivre à la fin de son mandat, il n’ait rien tenté pour permettre qu’au bureau de l’Assemblée, le Rassemblement national et ses 125 députés obtiennent un poste, un minuscule poste ? “Je suis une nazie !” ironise Marine Le Pen quand un stratège du chef de l’Etat la contacte fin août pour la prier de se rendre à l’Elysée dans le cadre des consultations pour trouver un Premier ministre. Ah, été réparateur. “Même mon père avait un ou deux secrétaires au bureau de l’Assemblée en 1986 !” Et mémoire vivace. Tout juste la patronne du groupe RN oublie-t-elle qu’en 2022, l’un de ses coups de colère a porté ses fruits.

Secret bien gardé. Quelques jours après les législatives, découvrant que la majorité macroniste entend passer un accord avec LR pour composer la Cour de justice de la République et ainsi empêcher que les élus RN y fassent leur entrée, elle décroche son téléphone pour crier au scandale dans les oreilles de Thierry Solère, devenu depuis 2021 courroie de transmission entre Emmanuel Macron et elle. Le soir même, le chef de l’Etat réélu se rend à l’évidence : “La CJR est déjà une juridiction d’exception, si en plus c’est nous qui désignons nos juges pour nous épargner le RN et LFI…” Le 26 juillet 2022, Bruno Bilde, député RN du Pas-de-Calais, est élu juge titulaire.

Quand les caméras du débat de l’entre-deux-tours se coupent

Entre le président et son éternelle rivale, depuis 2017 mais surtout depuis 2022 et la majorité relative, quelque chose s’est noué. Rien de classique, naturellement, ni amitié, ni détestation. Plutôt un respect méfiant ; une curiosité aussi, considèrent les rares initiés qui assistent ou participent à cette drôle de relation. L’homme politique n’est pas dénué d’ego, la femme non plus. Voici Marine Le Pen qui, au début du premier quinquennat, plastronne : “Nous avons combattu ensemble au second tour, il n’y en a pas trois qui peuvent dire cela.” Ce statut qu’ils partagent justifie alors qu’elle l’estime “intelligent”. Fougue aussitôt nuancée : “Mais on ne peut être bluffé que par ceux qui ont connu des difficultés…”Covid, guerre en Ukraine, dissolution… Sept années de pouvoir plus tard, c’est chose faite pour le président.

Etre entre les deux c’est un peu gênant, on a l’impression de tenir la chandelle

Jordan Bardella

Alors, est-elle “bluffée” ? Surprise en tout cas de l’entendre prendre des nouvelles de ses enfants avant un duel télévisé ou lui glisser après un autre : “J’ai pensé à vous en tant que femme, trois heures debout avec des talons !” Devant Emmanuel Macron et les siens, même quand les micros sont éteints, celle qui se vit – et sans doute se plaît, un peu – en paria n’abandonne pas tout à fait son goût du sarcasme. “Vous avez vu ? On s’est bien tenus”, lui lance-t-elle quand, en 2022, les caméras du débat de l’entre-deux-tours se coupent.

Le président de la République et la présidente du Rassemblement national à l’Elysée, le 21 juin 2022.

Maispolitesse et plaisanterie n’excluent pas la franchise. Ni la rancune. Quand ils se retrouvent le 26 août dernier, Jordan Bardella au milieu d’eux, et le futur gouvernement au milieu de leur conversation, elle attaque : “C’est odieux, c’est antidémocratique de ne pas nous avoir donné de postes au bureau de l’Assemblée.” Réplique du vilipendé : “Je n’interfère pas dans sa constitution.” Il bifurque : “Que feriez-vous à ma place ?” Elle crâne : “Vous verrez dans trois ans.” Après leur échange, l’un s’émerveille presque : “Elle est amincie, affûtée, entre Bardella et Le Pen, il n’y a pas de doute, le mâle dominant, c’est elle.” L’une s’émerveille modérément : “Emmanuel Macron m’a dit qu’il avait un chemin, j’ai dit que je ne voyais pas le chemin.” L’autre – le jeune Jordan Bardella – croit rêver : “Etre entre les deux c’est un peu gênant, on a l’impression de tenir la chandelle.”

“Ces gens-là”

Chacun son rôle, et chacun sa quête. Leur entente répond au besoin qui étreint Emmanuel Macron de se présenter président de tous les Français, électeurs du RN compris, eux qui, déboussolés, se demandent si leur parti pour lui constitue un interlocuteur légitime ou se situe “en dehors de l’arc républicain”. Leur entente répond au désir de respectabilité que poursuit jour et nuit la fille de Jean-Marie Le Pen et représentante de l’extrême droite, jusqu’à rêver que le cordon sanitaire demain se tende exclusivement contre la turbulente France insoumise.

Marine Le Pen aime l’ordre et les gens bien élevés. On ne l’alpague pas sur un trottoir, on la salue quand on la croise. Un matin, Agnès Pannier-Runacher, qui n’a jamais caché son mépris pour le parti à la flamme et a refusé en juillet dernier de serrer la main du benjamin RN de l’Assemblée, l’apprend à ses dépens. Studio de radio parisien, on se croise, on papote, politiques, journalistes, assistants… Marine Le Pen a besoin de se réveiller. Demi-tour sur elle-même, sourire à une employée de la radio : “Pourriez-vous, s’il vous plaît, me refaire un café ?” Le service risque de tarder, l’employée est ministre, elle s’appelle Agnès Pannier-Runacher. C’est le problème avec ces gouvernements pléthoriques peuplés d’inconnus, difficile de reconnaître tous ses membres ! D’ailleurs, ils ne l’intéressent pas. “Ces gens-là n’ont pas de poids politique, griffe-t-elle. Ils n’ont pas les codes.” Elle préfère ceux qui “ont roulé leur bosse” et ont l’intelligence de traiter le RN comme n’importe quel parti d’opposition. Parmi les appréciés, Richard Ferrand, Sébastien Lecornu… Elle a trouvé élégant le silence du ministre après leurs deux entrevues, l’une chez Thierry Solère pour évoquer l’aide à l’Ukraine, pendant la campagne des européennes, et l’autre au ministère des Armées dans le cadre de la loi de programmation militaire. Elle en est sûre, avec Gérald Darmanin, ce “marin de petit temps” comme elle le surnomme, de tels entretiens se seraient retrouvés dès le lendemain dans la presse. Emmanuel Macron, lui, s’est toujours montré courtois. En désignant comme émissaire le chaleureux Thierry Solère, il prouve qu’il a fait le choix du dialogue constructif. Dès 2017, celui qui est alors questeur de l’Assemblée tend sa carte de visite à Marine Le Pen à la buvette et se montre disponible pour discuter.

Le conseiller officieux d'Emmanuel Macron, ici à Roubaix le 14 septembre 2021, fait office de courroie de transmission entre le président de la République et Marine Le Pen.
Le conseiller officieux d’Emmanuel Macron, ici à Roubaix le 14 septembre 2021, fait office de courroie de transmission entre le président de la République et Marine Le Pen.

La normalisation, son fantasme, son grand œuvre. Elle espère si fort que chaque chiquenaude infligée par ce chef de l’Etat, à son endroit si changeant, siffle à ses tympans comme une claque. Les mots de ce dernier dans L’Humanité sur la présence inopportune du RN à la panthéonisation de Missak Manouchian la rendent folle : “Il jette l’opprobre sur moi !” Et l’ébranlent sans doute intimement. Comment se défaire de ce passé qui ne passe pas ? Sous la coupole, placée au premier rang en tant que cheffe de groupe parlementaire, elle échange sa place avec Sébastien Chenu, assis au deuxième rang. Certains combats se mènent discrètement.

“Je n’ai pas mis ma culotte sur ma tête”

Souvent, dans ses discours, Marine Le Pen cite Victor Hugo. “Voici que la saison décline”, doit-elle songer aujourd’hui. Après tant d’efforts, elle qui croyait sa dédiabolisation pratiquement achevée se trouve menacée par une justice “politique” qui tente d’abîmer son image patiemment policée, en mettant en doute sa probité (elle est soupçonnée d’avoir mis en place, entre 2004 et 2016, un “système de détournement” de l’argent versé par l’Union européenne destiné à embaucher des collaborateurs parlementaires, afin de financer les activités politiques du RN). Cinq ans d’inéligibilité, a demandé le Parquet ; avec exécution provisoire, a-t-il ajouté. Et cinq ans d’emprisonnement dont deux ferme. 300 000 euros d’amende. La salle d’audience du tribunal correctionnel a beau s’appeler comme l’auteur des Misérables, cela n’a pas suffi à porter chance à la députée du RN. “C’est ma mort politique qu’on veut”, éructe-t-elle. “L’ombre grandit, l’azur décroît.”

Il pense qu’il la battrait une fois, deux fois, trois fois, cinq fois si la Constitution lui permettait

Elisabeth Borne

Pendant ce temps, à l’Elysée, Emmanuel Macron se garde de commenter. Lui qui d’ordinaire lit tout a à peine survolé les articles consacrés à ces mésaventures judiciaires et se contente d’une curiosité molle : “Que faut-il en penser ?” Un de ses amis devant lui observe : “L’exécution provisoire est normalement faite pour empêcher qu’un trouble à l’ordre public se poursuive, dans son cas à elle, c’est quand même étrange… Elle ne va pas partir avec la caisse du Parlement européen.” Toujours pas de commentaire. Pas même un sourire.

Peut-être ne l’a-t-il jamais crainte. “Il pense qu’il la battrait une fois, deux fois, trois fois, cinq fois si la Constitution lui permettait”, croit Elisabeth Borne. Les souvenirs de leur affrontement télévisé dans l’entre-deux-tours de 2017, calamiteux pour Marine Le Pen, ont longtemps persuadé Emmanuel Macron qu’elle n’était pas une concurrente. Raisonnement simpliste ? Disproportionné, pense la méprisée. “Il ne faut pas exagérer, je n’ai pas mis ma culotte sur ma tête.” Il y a, chez ce jeune président, une prédisposition à considérer l’autre comme inférieur. Pas fatalement médiocre, mais moindre. Une heure avant d’annoncer la dissolution, une heure après avoir appris la défaite de son camp aux élections européennes, à l’un de ses amis encore ébahi, il assène : “Jamais les Français ne voudront du RN, jamais. On va les battre de nouveau et les affaiblir durablement.” 7 juillet 2024 : le RN dans l’hémicycle plus nombreux que jamais, le RN premier groupe parlementaire, le RN détenteur d’un pouvoir de vie et de mort sur le nouveau gouvernement… Oui mais le RN sans majorité et devancé dans le rapport de force par la gauche unie. Pas complètement un échec pour le parti lepéniste, mais pas de quoi troubler Emmanuel Macron qui, sous le nez de ses collaborateurs, le dernier week-end d’octobre, agite un article du Monde consacré aux failles de ces rivaux extrêmes : “C’est bien la preuve que c’était le moment de dissoudre, ils n’étaient pas prêts !” Ô vanité.

“Ce n’est pas facile…”

“Qu’est-ce qu’on a raté ?” demande humblement Marine Le Pen à Thierry Solère quelques jours après le second tour de ces législatives anticipées. “Il vous reste à nettoyer les écuries d’Augias”, réplique l’ancien député qui a contemplé, effaré, les vidéos embarrassantes de candidats RN circulant pendant la campagne. Mais devenir un parti de gouvernement ne se décide pas en un jour. Se rendent-ils compte du chemin parcouru par l’héritière du Front national, se rendent-ils compte des obstacles qui sur sa route demeurent ? “Dans certaines zones de France, je fais 3 % aux législatives donc ce n’est pas facile de trouver quelqu’un qui veut y aller !” Ses déclarations tonitruantes sur le président “chef des Armées honorifique”, l’arrogance de son poulain Jordan Bardella… Bagatelles ! Finalement, Marine Le Pen ressemble à Emmanuel Macron : goût modéré pour la remise en question.

Marine Le Pen et Jordan Bardella, du Rassemblement national, arrivent pour une rencontre avec le président Emmanuel Macron à l'Elysée, le 26 août 2024 à Paris.
Marine Le Pen et Jordan Bardella, du Rassemblement national, arrivent pour une rencontre avec le président Emmanuel Macron à l’Elysée, le 26 août 2024 à Paris.

Il est tellement plus aisé de miser sur les faiblesses de l’autre… Jamais le président et la candidate n’ont perdu de vue l’évidence : du malheur de l’un dépend le bonheur de l’autre. Quand des émeutes enflamment les nuits de juillet 2023, que des écoles, des mairies, des gendarmeries s’embrasent après la mort de Nahel, Emmanuel Macron, déjà fragilisé par une Assemblée paralysée, décide de réunir les responsables de partis à la Maison d’éducation de la Légion d’honneur afin de chercher avec eux des voies de passage parlementaires. A l’Elysée, le débat est vite tranché : le RN, force représentée au Parlement, a sa place autour de la table. Quand elle reçoit un premier coup de fil pour l’avertir du projet macronien, Marine Le Pen fait mine de soupirer : “Ça ne va servir à rien…” Mais accepte d’envoyer Jordan Bardella. Elle a perçu sans attendre ce que cette invitation à réfléchir à des compromis politiques avec le pouvoir en place comporte d’espérance pour elle. Aujourd’hui respectable, demain crédible ?

Et que dire des images estivales de ces villes incendiées qui prouvent à ceux qui doutent que le chef de l’Etat a trop longtemps péché par naïveté sur les sujets de sécurité. Il est temps de faire résonner ses idées fortes, son autorité. Puis, le 5 septembre 2023, la confirmation qu’elle attendait. Un sondage Vivavoice intitulé “L’extrême droite en France, place et perceptions. Portrait d’opinion de Marine Le Pen” l’intronise deuxième personnalité politique préférée des Français, derrière Edouard Philippe. L’image du RN a changé, les sondés expriment leur confiance grandissante. Marine Le Pen parcourt les chiffres, réjouie. Elle saisit son téléphone et pianote : “C’est bon, je peux repartir en vacances !”

“RIP le gouvernement Barnier”

Le président a un plan. Il a profité des rencontres de Saint-Denis pour observer Jordan Bardella. Sa jeunesse, son sérieux, son assurance… L’ambitieux qui fait la course en tête dans les études d’opinion sur les européennes lui rappelle quelqu’un. Début janvier 2024, c’est décidé, Gabriel Attal et ses 34 ans seront “l’arme anti-Bardella”, ils quitteront la Rue de Grenelle pour rejoindre Matignon. Quatre semaines passent, Valeurs actuelles publie un sondage Ifop. La cheffe de file du Rassemblement national devancerait Gabriel Attal dans un éventuel second tour en 2027. Décidément, Emmanuel Macron est un bien piètre stratège. Comment signifie-t-on en langage SMS qu’on regarde, amusé, un film dont le dénouement promet de se révéler encore plus savoureux que les premières minutes ? Ah oui, avec un émoji “pop-corn”. Destinataire : un conseiller du président. Message : “Bravo pour l’effet Attal ! 🍿”. Ô vanité (bis).

Et s’il arrivait à ces deux-là, parfois, de poursuivre les mêmes utopies ? Depuis la nomination de Michel Barnier Premier ministre, Marine Le Pen et ses députés guettent le moment opportun pour le faire chuter. Tiraillements. Ne pas passer pour les fauteurs de troubles, les ingénieurs du chaos. Mais ! Ne pas manquer de courage, ne pas se rendre complice de décisions gouvernementales honnies par leur électorat. Alors, de son siège dans l’hémicycle, la patronne attend le moment idéal. Et savoure chaque faux pas. Quand le ministre de l’Economie à peine nommé déclare sa volonté de travailler avec tous les partis “pour peu qu’ils soient dans l’arc républicain”, excluant dans la seconde suivante le RN, l’ostracisée glisse à un complice : “RIP le gouvernement Barnier.” Jubilerait-elle ? Marine Le Pen n’a plus peur. La diabolisation à présent produit l’effet contraire.

“Qu’ils se démerdent”

En fin de matinée, le même jour, Emmanuel Macron, dans la voiture qui le conduit à l’aéroport de Villacoublay, écrit des SMS : “Qu’est-ce qu’il a dit Armand ?” On lui résume. Et on lui relate l’ire des députés RN qui redoublent de tweets vengeurs. Certains le pressent d’intervenir : il est trop tôt pour les polémiques, les ministres ont été nommés quatre jours auparavant… D’une main légère, il tapote sur son téléphone : “Ce n’est pas moi, c’est le gouvernement Barnier. Qu’ils se démerdent.”

Un jour, Emmanuel Macron a bien cru que Marine Le Pen s’apprêtait à lui poser un lapin. C’était en juin 2022, il venait d’être réélu, il venait de perdre sa majorité absolue. A l’Elysée, il avait convié les patrons de groupes parlementaires. A 17h30, Marine Le Pen. Vingt minutes avant le rendez-vous, le secrétariat du chef de l’Etat s’aperçoit, horrifié, que la candidate défaite à la présidentielle n’a jamais confirmé sa venue. On s’affole, on l’appelle. “Bien sûr que je viens, je respecte les institutions, quand le président de la République me convie à l’Elysée, j’honore l’invitation ! Pardonnez-moi si vous n’avez pas reçu de réponse, j’ai de gros problèmes de secrétariat en ce moment, toutes mes secrétaires ont été élues députées.” De quoi dès lors rasséréner le locataire élyséen qui sûrement, déjà, s’était réjoui : “Vous voyez qu’ils n’étaient pas prêts !”




Source

..........................%%%...*...........................................$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$--------------------.....