Pas question de baisser les bras. Sophie Primas entend bien continuer à se battre contre le traité de libre-échange avec les pays du Mercosur, “inacceptable” pour la France en l’état, et qui inquiète tant les agriculteurs. La ministre chargée du Commerce extérieur et des Français de l’étranger a profité de la réunion de ses homologues à Bruxelles il y a quelques jours pour tenter de convaincre d’autres Etats membres, de la Pologne à l’Autriche, en passant par les Pays-Bas ou l’Espagne, de rejoindre le camp tricolore. Objectif : obtenir assez d’alliés pour former une minorité de blocage et faire reculer la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen. Au cœur du débat, un complément à l’accord dont le contenu est tenu secret, au grand dam de la ministre.
L’Express : Vous revenez de Bruxelles, où vous souhaitiez convaincre plusieurs pays de l’Union européenne de se rallier à la cause de la France, celle de l’opposition à l’accord avec le Mercosur. Notre pays n’est-il pas isolé sur ce dossier ?
Sophie Primas : Ce n’était pas le seul motif de mon déplacement. Il se trouve que la dernière réunion des ministres du Commerce sous la présidence hongroise contenait plusieurs points à l’ordre du jour, dont le premier était justement de discuter de la nouvelle politique commerciale européenne, sujet majeur dans le contexte géopolitique actuel. Cela comprenait la position sur le Mercosur. Contrairement à ce qu’on lit, la France n’est pas isolée sur ce sujet. Plusieurs pays européens partagent les mêmes préoccupations, que ce soit sur les enjeux agricoles ou les sujets environnementaux. Nous sommes, certes, les plus vocaux. D’autres pays sont plus prudents dans leur communication, mais ils font face aux mêmes craintes, aux mêmes difficultés internes.
Pensez-vous pouvoir obtenir une minorité de blocage pour empêcher le vote de ce texte ?
Nous verrons bien le moment venu. Ce qui importe aujourd’hui, c’est de montrer que plusieurs pays européens n’acceptent pas, comme nous, le texte en l’état. Il faut faire feu de tout bois, diplomatiquement et politiquement. C’est dans cette optique que j’ai rencontré certains de mes collègues européens. J’ai demandé un échange avec mon homologue allemand également. Nous ne serons pas forcément d’accord sur le Mercosur, mais ce n’est pas une raison pour ne pas rechercher un terrain d’entente avec notre partenaire allemand sur un sujet majeur pour la France. Ce n’est pas gagné, mais j’ai bon espoir. L’objectif est de créer un rapport de force auprès de la Commission, car l’accord tel qu’il se présente aujourd’hui est inacceptable.
Où en sont les discussions aujourd’hui ?
La négociation est toujours en cours et va continuer entre la Commission et les pays du Mercosur. Elle concerne aussi un volet additionnel [NDLR : un complément à l’accord portant sur les questions environnementales] dont les pays membres ne connaissent pas le contenu. On a beaucoup entendu que la Commission annoncerait la fin des négociations au moment du G20 au Brésil, il y a quelques jours, cela n’a pas été le cas. On parle aujourd’hui de l’échéance du sommet du Mercosur, les 3 et 4 décembre… Ce n’est évidemment pas acceptable pour la France, d’autant que, faute de disposer des textes, nous ne connaissons rien des derniers éléments négociés, sur des sujets aussi importants que l’accord de Paris comme clause essentielle, le mécanisme de règlement des différends ou la garantie stricte de réciprocité dans l’application des normes, point majeur pour nos agriculteurs.
Je vais le répéter, la France n’est évidemment pas contre les accords de libre-échange. Il faut commercer et les pays du Mercosur sont un marché très important pour nous. Mais pas à n’importe quel prix. C’est pour cette raison que nous disons toujours ne pas être d’accord sur le Mercosur “en l’état”.
Tous les secteurs d’activité ne sont pas logés à la même enseigne. Est-ce qu’en refusant cet accord, on ne sacrifie pas certaines industries qui pourraient y trouver un intérêt ?
Je voudrais nuancer cette idée. D’abord, je pense que dans la nouvelle politique commerciale de l’UE, il faut que nous soyons cohérents avec l’ensemble de nos politiques publiques européennes. On ne peut pas avoir les standards et les exigences environnementales les plus fortes, qui obligent notre industrie, nos producteurs – agricoles ou non -, nos services, comme dans le numérique, à être soumis à des standards très élevés en matière environnementale, sanitaire ou sociétale, et leur dire que toutes les importations sont autorisées, sans restriction de cette nature. Dans le long terme, ces efforts que nous réalisons nous ouvriront des opportunités. A ce stade, ils entraînent un désavantage de compétitivité, et ce pour une bonne décennie.
Par ailleurs, on présente souvent le Mercosur comme le Graal absolu en matière de développement commercial. Je suis allée au Brésil pour le G20 : la réalité est que les entreprises européennes, et en particulier françaises, sont déjà très présentes. Quasiment tous les groupes du CAC 40 opèrent dans le pays, certains depuis plusieurs dizaines d’années. Tout ne dépend pas du Mercosur, on ne va pas s’arrêter de commercer avec ces pays si ce traité n’est pas signé.
Notez aussi que ces accords commerciaux sont négociés un à un : Mercosur, Indonésie, Nouvelle-Zélande… Il n’y a pas d’analyse transversale de l’effet d’ensemble et de cumul de ces traités de libre-échange sur les filières. Quand on réalise ce travail, on se rend compte que ce sont les filières les plus fragiles, comme l’agriculture, qui en pâtissent. Ce sont toujours les mêmes qui figurent dans la colonne des perdants, à chaque accord de libre-échange. Il faut y prendre garde. Lorsque le Sénat avait voté contre le Ceta [NDLR : accord économique entre l’Europe et le Canada], c’était un signal. Ce qui n’empêche évidemment pas que ces filières fragiles doivent travailler sur leur propre compétitivité.
Avec l’élection de Donald Trump, observez-vous une prise de conscience de l’Europe quant à la nécessité de s’unir pour faire face à une guerre commerciale ?
C’était le second point à l’ordre du jour à Bruxelles, et j’ai été assez frappée de constater, dans les prises de parole, la volonté commune de redessiner la politique commerciale européenne en la rendant moins naïve, plus offensive, plus forte et plus unitaire. L’unité est une nécessité absolue et c’est pourquoi je pense qu’il faut que nous retravaillions de concert avec nos partenaires et bien sûr au premier chef avec l’Allemagne.
La grande majorité des pays reconnaissent que Donald Trump est dans une logique de rapport de force, pas si éloignée de celle de la Chine. En conséquence, il faut avoir une stratégie vis-à-vis de Pékin et de Washington s’appuyant sur un marché européen de 450 millions de consommateurs. Nous sommes une force politique et commerciale dans le monde dès lors que nous sommes unis.
Nous voulons aussi favoriser le dialogue pour éviter l’escalade commerciale. Cela suppose d’identifier les domaines dans lesquels les Etats-Unis ont besoin de nous, le bloc européen. Plaçons-nous dans ce rapport transactionnel avec Trump. En même temps, soyons déterminés à utiliser les armes de défense commerciale qui sont déjà à notre disposition. Et créons en d’autres si c’est utile. Cette prise de conscience en Europe, y compris de l’Allemagne, est nouvelle.
Le dernier baromètre EY a traduit une dégradation de la perception de la France par les investisseurs étrangers. Est-il possible d’y remédier ?
Ce baromètre mesure effectivement une perception, et non la réalité des installations. Evitons de crier avant d’avoir mal. Il en ressort qu’un dirigeant étranger interrogé sur deux questionne son implantation en France. Il est vrai que la dissolution, l’instabilité politique, le temps qui a été nécessaire pour trouver un Premier ministre et former un gouvernement, les incertitudes autour du projet de loi de Finances… Tout cela n’a pas été de nature à créer le climat le plus favorable pour les chefs d’entreprise et les investisseurs. Je ne suis donc pas très étonnée.
Je constate néanmoins qu’il n’y a pas de retraits de projets. Quelques entreprises temporisent, compte tenu de la situation économique et politique. D’autres envisagent toujours de s’installer mais attendent que le marché soit prêt, par exemple dans l’hydrogène vert. Je me bats matin, midi et soir pour que l’attractivité de notre pays perdure. Je n’ai pas toujours été tendre, quand j’étais au Sénat, avec la politique menée les années précédentes, mais sur ce point, il faut reconnaître la réussite du président de la République. La France, plus que jamais, est un pays attractif en Europe. Au-delà des progrès sur la fiscalité des entreprises et des réformes sur le marché du travail, les entreprises voient surtout qu’à leur arrivée sur notre sol, elles sont accompagnées par un écosystème territorial et national. Elles se sentent bienvenues, leurs démarches vont plus vite qu’ailleurs. Tout cela compte dans les décisions d’investissement.
Dans cette même étude, EY relève que la concurrence entre Paris et Londres est relancée. Partagez-vous cette impression ?
J’ai rencontré mes homologues anglais au G20 à Brasília : ils reconnaissent eux-mêmes que la France s’en sort mieux que la Grande-Bretagne ! La place financière européenne est vraiment à Paris maintenant, elle n’est pas près de retraverser la Manche.
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