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Entre dîners clandestins et deals politiques, le RN tisse sa toile pour intégrer les cercles de pouvoir


Sébastien Chenu est à son aise. Le très sélect Cercle de l’Union interalliée, rue du Faubourg Saint-Honoré, reçoit du beau monde, ce soir de novembre. Coupe de champagne à la main, il badine avec l’ancien président du Medef Pierre Gattaz, salue l’ex-ministre macroniste Muriel Pénicaud, alpague le patron de Thalès. On remet, ce jour, les insignes de commandeur de la Légion d’honneur à Ross McInnes, le président du conseil d’administration de Safran, et “vieil ami” de Sébastien Chenu, qui l’a naturellement convié. L’élu est le seul représentant du Rassemblement national, mais sa présence ne défrise pas l’assemblée, qui réunit ce que Paris produit de mieux dans le monde politique et entrepreneurial. C’est peut-être un détail pour vous. Mais le lieutenant de Marine Le Pen à l’Assemblée nationale le note : c’est la première fois qu’il est invité à un tel événement.

Ce n’est pourtant pas la première fois que le Cercle, temple de l’élite parisienne, accueille des élus du parti d’extrême droite. Janvier 2022, Marine Le Pen est reçue dans les salons dorés pour y présenter son programme économique. L’expérience sera répétée. Il est même arrivé au président de l’Union Interalliée, Denis de Kergorlay, de passer une tête à l’une de ces agapes. Pour voir. C’est Sophie de Menthon, membre du Cercle et présidente de l’organisation patronale Ethic, qui lance les invitations. Elle aime bien Marine Le Pen, la trouve “intelligente” et répète à son réseau que le RN fait “des efforts, beaucoup d’efforts sur les sujets économiques”. Elle fait partie de ces membres du “milieu” qui servent d’entremetteurs aux lepénistes. Leur ouvrent des accès, leur facilitent des rencontres.

Des entremetteurs

Un jeudi matin à deux pas des Invalides. Sophie de Menthon a ses habitudes au Café de l’Esplanade. Soudain, une mouche la pique. Elle décroche son téléphone pour appeler Benoît Santoire, président de la Chambre nationale des commissaires de justice.

“Cher Benoît, bonjour, je pensais à quelque chose… Avez-vous fait parvenir votre proposition aux groupes de l’Assemblée nationale, au RN en particulier ?

[Silence surpris, réponse urbaine]

– Ah, non je n’y avais pas pensé, mais je prends note qu’il faut que je les contacte, je vous remercie.

– Absolument, et contactez-les donc de ma part !”

Quand on peut rendre service…

Les députés frontistes s’y sont habitués. Voilà que, depuis quelque temps, les mondanités leur ouvrent les bras. Et plus encore depuis la dissolution et les élections législatives de l’été 2024. Thomas Ménagé, député RN du Loiret, a été invité plusieurs fois à ces dîners, rue du Faubourg Saint-Honoré. Une fois avec le patron de Total, une autre avec celui d’EDF. Un jour, au détour d’une conversation, on lui propose de le coopter pour adhérer au “Cercle”. “Tu comprends, il nous faut des députés RN, mais pas n’importe qui…”, commente son interlocuteur. Va pour des frontistes dans nos rangs, pourvu qu’ils soient triés sur le volet. Entrouvrir une fenêtre sans se compromettre. C’est le nouveau dilemme des cercles de pouvoir de la capitale depuis que plus d’une centaine de députés RN ont investi l’Assemblée nationale.

Cercles parisiens et bourgeoisie locale

Le 15 février dernier, c’est Jordan Bardella qui fait son entrée dans les salons de l’Union Interalliée, sur l’invitation, cette fois, des francs-maçons. La Grande Loge nationale française (GLNF) le reçoit à déjeuner. Prix à payer : 85 euros, tout compris, pour échanger avec le président du RN. Les sujets d’actualité seront balayés dans une ambiance de camaraderie, faisant presque oublier qu’il y a quelques dizaines d’années, le même parti réclamait la disparition de l’institution.

Car le RN revient de loin. Comme ses représentants, longtemps considérés comme des parias et exclus, de fait, de tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin aux rassemblements des élites parisiennes. Mais il semblerait que ce temps soit révolu.

A en croire les frontistes, la bascule toucherait même Le Siècle, éminent club parisien réunissant patrons, politiques, figures du monde de la culture, et où certains membres assumeraient désormais de voter Marine Le Pen. Pas de soutiens affichés, certes, mais des rencontres, sous le manteau. D’anciens ministres, de grands patrons membres de l’institution contactent Sébastien Chenu pour réclamer un déjeuner avec la fille de Jean-Marie Le Pen. Le député du Nord, connu pour occuper le rôle de relais mondain auprès de la patronne, multiplie depuis longtemps les dîners confidentiels, destinés à leur permettre de glisser le pied dans la porte. En septembre, il est reçu chez le banquier d’affaire Philippe Villin, aux côtés du président du Medef Patrick Martin. Un exemple parmi d’autres.

Ce décloisonnement s’observe aussi au niveau local. Depuis 2022, les députés RN sont nombreux à constater un changement de regard, d’attitude, des cercles de notables de leur circonscription à leur égard. Heureux hasard, c’est justement sur cette petite bourgeoisie que lorgne la formation d’extrême droite pour progresser dans les prochains scrutins.

Décloisonnement progressif et deals politiques

Arrêt dans le Loiret. L’habitude est née il y a plusieurs mois. Thomas Ménagé est souvent convié à des “dîners d’appartements”. Le premier a eu lieu en 2022, après sa première élection en tant que député. Un petit groupe de médecins, d’avocats, de commissaires-priseurs l’a d’abord convié à un apéritif dînatoire. Histoire de tâter le terrain. Quelques anciens LR, d’autres zemmouristes, désireux de flairer la bête et, surtout, demandeurs de gages. La greffe prend. Le bouche-à-oreille s’active, les dîners se multiplient et le décloisonnement fonctionne souvent par cercles professionnels.

Récemment, c’est tout un cabinet médical que Thomas Ménagé a rencontré en privé. Quand ils sont fructueux, les échanges débouchent même sur des accords. Plusieurs convives seront candidats sur des listes RN à l’occasion des élections municipales de 2026. Parfois, les répercussions dépassent sa seule circonscription. A force de rompre le pain avec la petite bourgeoisie locale, le député RN a attiré l’attention de Pierre Martinet, PDG de l’entreprise du même nom, qui a fait le déplacement depuis Lyon, le 19 octobre, pour faire visiter son usine au parlementaire lepéniste.

Une marche supplémentaire

Détour par le Sud, cette fois. Septembre 2023, le Cannes Yachting Festival bat son plein sur la Côte d’Azur. Et charrie avec lui un public aussi aisé qu’uniforme, loin de l’image de l’électorat frontiste. C’est pourtant là qu’on retrouve, en pleine discussion avec la Fédération des industries nautiques, Bryan Masson et Alexandra Masson, députés RN. Il faut dire que cette dernière est spécialiste des rassemblements huppés. Et de tous les combats. La voici, un soir, reçue en grande pompe au sein de l’AS Monaco. Le lendemain, prononçant le discours de passation du gouverneur du Lions Club à Menton. La veille, invitée d’honneur de la soirée caritative de l’hôpital de la Riviera française. Dans le Sud, les barrières ont sauté depuis bien longtemps, et le RN ne fait plus figure de persona non grata dans les cercles mondains. Alexandra Masson déjeune d’ailleurs régulièrement avec des représentants de la Grande Loge nationale française qui, selon ses dires, se sont toujours montrés très courtois&é à son égard. Avec le Grand Orient de France (GODF), elle reconnaît que ça reste “compliqué”. Mais ce n’est peut-être qu’une question de temps.

Pour l’heure, les députés RN s’habituent à ce nouvel état : celui d’être tolérés dans la bonne société. Quitte à faire l’objet d’une curiosité nouvelle, d’une approche intéressée. Cela vaut mieux que le statut de paria, qu’on leur réservait jusqu’alors. Et c’est toujours une marche supplémentaire franchie vers leur quête du pouvoir. En cinquante-deux ans d’existence, le parti d’extrême droite, s’il n’a pas relu La Fontaine, en a bien retenu une maxime : un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.




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