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Gouvernement Trump : le plan caché du président élu pour contourner le Sénat


Iconoclaste, imprévisible… Donald Trump serait-il également lucide ? Dès la mi-novembre, le leader républicain admet en comité resserré que son choix pour le secrétaire d’Etat à la Justice risque de coincer au Sénat – aux Etats-Unis, les membres nommés au gouvernement doivent être validés par cette instance avant d’entrer en fonction. Malgré une série d’intenses tractations téléguidées par le vice-président élu, J.D Vance, ses troupes à la chambre haute refusent de s’aligner sur la nomination du sulfureux Matt Gaetz. L’ancien procureur de Floride de 42 ans est accusé – entre autres – de consommation illégale de stupéfiants et de relations sexuelles avec une prostituée mineure.

Donald Trump a préféré ne pas prendre le risque de devenir le premier locataire de la Maison-Blanche en un siècle à se voir retoquer une nomination. Dans l’histoire des Etats-Unis, seules 12 nominations ont été rejetées, la dernière remontant à 1925, avec la censure de Charles B. Warren, nommé au poste… d’Attorney General (ministre de la Justice). Ainsi, le 21 novembre à l’heure du breakfast – soit une semaine après sa nomination – Matt Gaetz reçoit un appel. À l’autre bout du fil, Donald Trump. Quelques heures plus tard, l’ancien avocat renonce au portefeuille de la Justice. Dans une publication sur ses réseaux sociaux, le magnat de l’immobilier élude sobrement. “Il se débrouillait très bien, mais il ne voulait pas perturber une administration pour laquelle il a beaucoup de respect”.

Les “tests de loyauté” sauce Donald Trump

Dare-dare, un remplaçant lui est trouvé. Celui-ci répond au nom de Pam Bondi, l’ancienne procureure générale de Floride. Une fidèle parmi les fidèles, connue pour sa loyauté sans faille au chantre du MAGA (“Make America Great Again”). Mais surtout, un profil plus “mainstream”, qui goûte peu aux scandales et à l’outrance. “Elle a beau être très conservatrice, elle est bien moins répulsive que Matt Gaetz qui est détesté par absolument tout le monde, y compris par les républicains du Congrès à tel point qu’il était impossible qu’il ne recueille ne serait-ce que les deux tiers des sénateurs conservateurs, et Donald Trump en était parfaitement conscient”, pointe Lauric Henneton, maître de conférences à l’université de Versailles Saint-Quentin.

Donald Trump aurait-il utilisé ce quadragénaire brun à la mâchoire carrée comme un thermomètre mesurant la loyauté de son camp ? “Il aime se conforter dans l’idée qu’il incarne pour l’ensemble de son camp le chef incontestable et qu’il aurait ainsi la liberté de nommer n’importe qui n’importe où”, poursuit l’auteur de l’ouvrage Le rêve américain à l’épreuve de Donald Trump (édition Vendémiaire, 2020). Force est toutefois de constater, que ni son large triomphe, ni les opérations de séduction menées par son camp dans les coulisses du Congrès, n’auront réussi à sauver la peau de son ministre de la Justice.

L’étiquette Matt Gaetz est trop sensible. D’autant que parmi les noms de la future administration Trump, d’autres sont susceptibles de ne pas passer le crash-test du Sénat. Autant ménager les leviers de négociations. Parmi ceux dont le sort interroge, les anciens démocrates Tulsi Gabbard (à la tête du renseignement) et Robert F. Kennedy (Santé), ainsi que leur collègue à la Défense, Pete Hegseth récemment épinglé pour des faits d’agression sexuelle, “ce qui peut constituer, comme avec Gaetz, une ligne rouge pour les sénateurs, même les plus conservateurs”, souligne Lauric Henneton.

Les “trois ou quatre” cailloux dans la chaussure

Au Sénat, les membres du Grand Old Party ne forment pas une entité homogène, mais plutôt un agrégat d’élus dont la loyauté au chef varie selon leur ancienneté, la géographie de l’Etat dans lequel ils sont élus, mais également la typologie de leur électorat. “Ceux qui ont un siège depuis longtemps et qui ne cherchent pas à être réélus – et n’ont donc pas besoin de bénéficier de la marque Trump – sont les plus susceptibles de ne pas adouber les candidats les plus controversés”, analyse Lauric Henneton qui souligne : “Avec une majorité de trois sénateurs, le camp Trump ne peut se permettre que trois défections”. Au-delà, ses secrétaires d’Etat seront censurés.

Problème, “trois voire quatre” sénateurs républicains sont tentés de jouer les trouble-fête. Un point d’interrogation flotte au-dessus du successeur de Mitt Romney, John Cutis : un mormon élu dans l’Utah qui pourrait être une “wildcard” (expression pour désigner une variable imprévisible, NDLR), sourit Lauric Henneton qui illustre : “Au-delà de cette figure, on voit mal Susan Collins (sénatrice républicaine du Maine, NDLR) ayant servi dans l’armée et étant très à cheval sur la défense des femmes dans l’armée valider Pete Hegseth qui a affirmé que les femmes n’avaient pas leur place sur une ligne de front”. John Curtis, Susie Collins, mais également Mitch McConnell dont l’aversion pour Donald Trump est un secret de polichinelle… Des électrons libres qui sont autant de cailloux dans la chaussure de Donald Trump.

Avoir le droit de son côté et la tentation d’en abuser

Coups de fil, visites à domicile, promesses de postes… Les opérations de séduction sont légion, mais ne suffisent pas toujours, rendant parfois nécessaire l’emploi de méthodes plus radicales. Dès le 10 novembre avec une publication sur X, Donald Trump prévient ses troupes. “Tout sénateur républicain qui brigue le poste convoité de leader au Sénat des Etats-Unis doit accepter les personnalités nommées (au Sénat !), sans lesquels nous ne pourrons pas obtenir la confirmation des candidats dans les délais impartis”. Et de renchérir : “Les postes doivent être pourvus IMMÉDIATEMENT !”. Malgré ce léger coup de pression, le 47e président des Etats-Unis sait qu’il a quelques cartes en main pour contourner le Congrès.

La première, celle de l’acting secretary. “Si un des ministères est vacant, le président peut nommer un secrétaire intérimaire”, explique Brian Kalt, constitutionnaliste et professeur à la faculté de droit de l’université de l’Etat du Michigan. Une possibilité assortie toutefois de quelques conditions. “Donald Trump sera contraint de se limiter aux personnes ayant déjà été confirmées par le Sénat dans le passé ou qui occupent déjà une position élevée au sein de l’agence”, précise le spécialiste de la Constitution américaine. En outre, le mandat d’un secrétaire d’Etat intérimaire est limité à 210 jours.

La seconde, celle d’une mise en veille temporaire du Congrès. Une procédure constitutionnelle qu’aucun président n’a jusqu’à présent osé déclencher mais qui offrirait à l’occupant du Bureau ovale la latitude de rendre effectives ses nominations sans l’aval du Sénat. On parle alors de recess appointements. “Il s’agit d’une option extrêmement controversée, qui, utilisée dans ce contexte et pour cette finalité-là, contreviendrait au respect des principes démocratiques”, note Brian Kalt, qui précise que le pouvoir législatif ne pourrait être congédié plus de dix jours. En décembre 2023, Donald Trump a voulu tordre le cou à ses détracteurs en assurant qu’il ne serait pas un dictateur. “À part au jour 1” de son mandat. Tiendra-t-il cette promesse de campagne ?




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