La filière de la bijouterie française doit sa notoriété aussi bien à l’excellence de sa haute joaillerie qu’à l’inventivité du segment fantaisie. Entre les deux, des maisons traditionnelles et une myriade de petits créateurs parviennent à tirer leur épingle du jeu. Le champ des possibles s’élargit ainsi à tous les styles de consommateurs. Les uns accumulent des parures iconiques de grandes marques, comme pour s’identifier à une appartenance sociale qui les rassure. Les autres préfèrent se distinguer en arborant une pièce au design singulier, généralement portée en dissymétrie, voire en solo. D’aucuns encore imaginent de nouvelles manières d’associer matières et formes. S’ils transgressent quelque peu les codes, leur posture conserve néanmoins un certain sens de la dérision. De fait, chacun contribue à redéfinir les standards de l’intemporel.
L’héritage artistique ne se résume pas à une simple transmission de biens familiaux. Dès lors que les enfants du fondateur d’une marque baignent dans la joaillerie depuis leur enfance, l’un d’entre eux – souvent la fille – se sent naturellement investi de la mission de pérenniser le nom. Il en résulte une nouvelle forme de beauté créative, synthèse de deux talents aux personnalités proches ou radicalement différentes. Loin de s’entrechoquer, les réalisations du père et de la fille se répondent, se complètent pour finalement se fondre et ainsi perpétuer l’esprit maison.
Depuis la naissance de Buccellati à Milan en 1919, aucun designer étranger à la famille n’a jamais été sollicité. Sur quatre générations, la créativité s’est naturellement transmise de père en fils, puis de père en fille : de Mario Buccellati à son héritier Gianmaria, puis à Andrea qui collabore aujourd’hui avec sa propre fille Lucrezia. Tandis que Maria Cristina, la sœur d’Andrea, dirige le département de la communication monde.
En juin dernier s’est tenue à Venise l’exposition rétrospective de Buccellati Le prince des orfèvres, redécouvrir les classiques. Parmi les trésors présentés, une série de broches sur le thème du papillon illustre cette transmission artistique : des œuvres réalisées par Mario en 1950, Gianmaria en 1993, Andrea en 1995, jusqu’à la création contemporaine de Lucrezia, en hommage aux principales techniques maison d’ajourage de l’or à la manière d’un tulle.
Compatriote des Buccellati, Pasquale Bruni est originaire de Valenza, l’un des berceaux de la bijouterie italienne, où il a fondé en 1967, à 20 ans, la marque à son nom. Au cours des deux dernières décennies, depuis l’arrivée à la direction artistique de sa fille Eugenia, le style des collections a évolué. Formée au dessin, cette dernière a principalement appris l’art joaillier en observant chaque étape d’élaboration des bijoux dans les ateliers familiaux. Jusqu’à insuffler une nouvelle direction aux créations signées Pasquale Bruni, désormais plus colorées et féminines, davantage en lien avec la nature, empreintes de sensualité et d’une forme de spiritualité.
Pièces exceptionnelles
Dans la famille Messika, la transmission filiale est aussi exemplaire. Jusqu’en 2005, ce nom représentait avant tout une entreprise de négoce en diamants, réputée auprès des professionnels depuis les années 1970, ayant à sa tête André. A cette époque, nul n’imaginait que sa fille fonderait à 22 ans une marque qui, aujourd’hui, figure parmi les maisons classiques de la place Vendôme. Puis que Valérie ouvrirait trois boutiques parisiennes rue Saint-Honoré, rue de la Paix et avenue des Champs-Elysées, où elle vient aussi d’installer ses nouveaux bureaux.
Lorsque Messika Paris inaugure son premier défilé de haute joaillerie en 2021 dans les jardins du Ritz, de part et d’autre du tapis, la fille et le père André se font face : un sentiment de fierté mutuelle se lit dans leurs regards. A l’occasion de la Fashion Week parisienne en septembre 2024, Messika dévoile à nouveau des pièces exceptionnelles lors d’un véritable show, qui se clôt par la présentation d’un collier cravate orné de 232 diamants, dont un jaune de 36 carats et un blanc de 33 carats.
Cette gemme est aussi la pierre de prédilection de la maison Repossi, fondée à Turin en 1952 par Costantino Repossi. Son fils Alberto s’installe ensuite à Monaco en 1979, où il est nommé joaillier officiel de la couronne monégasque, avant d’arriver place Vendôme en 1986. C’est précisément l’année où est née sa fille, Gaia. A 21 ans, elle s’impose comme la directrice artistique de Repossi. Elle choisit de délaisser les créations opulentes et colorées pour un design minimaliste et architecturé, principalement en or et diamants. En septembre dernier, tandis que son père utilisait volontiers des perles de culture, elle s’essaie à son tour à l’exercice et imagine sa première bague où deux perles font face à une boule sertie de diamants.
Gigi Clozeau s’est en revanche totalement affranchi du style de son père Alain, dont les pièces emblématiques affichaient une géométrie épurée, en résine nacrée et colorée, qu’il mariait avec l’or et les diamants. Installé dans le sud de la France, Alain créait avec sa femme Marie. Si c’est lui qui a imaginé le premier collier Gigi, lorsque leur fille avait 3 ans, c’est sur Marie que Gigi Clozeau s’est ensuite appuyée pour donner naissance à sa marque. A l’opposé des bagues sculpturales d’Alain, Gigi lance des collections de fines chaînes, alternance de maillons d’or et de minuscules perles en résine de couleur. Et le succès est immédiatement au rendez-vous.
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