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La peur, l’ego ou le calendrier judiciaire ? Marine Le Pen, les raisons de la censure


C’est l’histoire d’un château de cartes. Il aura fallu des mois pour le construire. Méticuleusement, étage après étage. L’édifice était quasiment terminé, il ne manquait plus que le toit. C’est alors que son architecte, prise d’un accès de colère, décida de l’envoyer valser d’un grand coup de pied. Ce château de cartes portait un nom : l’institutionnalisation. Et l’architecte, un patronyme bien connu : il s’agit de Marine Le Pen. En décidant, lundi 2 décembre, de joindre les voix du RN à celles de la gauche pour censurer le gouvernement Barnier, cette dernière a stoppé net la stratégie du pas-de-vaguisme entamée depuis les élections législatives de juin 2022. La cheffe de file de l’extrême droite aurait-elle eu peur, tout d’un coup, de cette notabilisation tant désirée ?

Elle qui, en quelques semaines, a obtenu du gouvernement plus de gages et de considération que son parti en cinquante ans d’existence. Michel Barnier, dans l’espoir d’arriver à faire voter son budget, a cédé à la frontiste, de façon perlée, sur plusieurs mesures réclamées : l’annulation de la taxe sur l’électricité et le déremboursement des médicaments notamment. Le retrait de cette mesure a même été annoncé, lundi, par un communiqué de presse citant nommément Marine Le Pen. “De nombreuses demandes ont été exprimées sur ce sujet. Mme Marine Le Pen, au nom du Rassemblement national, l’a rappelé au Premier ministre ce matin encore lors d’un échange téléphonique”, écrit Matignon. La citation vaut adoubement. Voici donc le RN, extrait de sa quarantaine, devenu un “parti comme les autres” et Marine Le Pen la principale interlocutrice du gouvernement à la veille d’un vote décisif.

Marine Le Pen ne se complairait-elle pas dans son rôle de paria ?

Des mesures, un statut, de la considération. Que demander de plus ? Ces marques de déférence, pourtant, n’ont pas satisfait les attentes de la frontiste. Le couperet est tombé : Marine Le Pen renverse la table des négociations et censurera le gouvernement. Que s’est-il passé, au fond ? Pas à son aise dans le costume de l’opposante constructive, la revoici devenue ingénieure du chaos. Marine Le Pen ne se complairait-elle pas dans son rôle de paria ? Elle aime à répéter cette complainte : pour le RN “tout est toujours plus difficile”. Cette fois-ci, pourtant, tout semblait différent. Encore insuffisant ?

Deuxième hypothèse. Marine Le Pen, suite aux multiples concessions du gouvernement, serait-elle devenue trop gourmande ? Moi que je fasse une si pauvre chère, et pour qui me prend on ? L’effondrement du château de cartes est peut-être causé par un coup de pied, mais c’est par orgueil que ce dernier a été lancé. Car l’histoire de cette censure est aussi celle d’une vexation. On avait juré à la députée et ses ouailles qu’ils seraient traités avec respect par Michel Barnier. Ce dernier ne l’avait-il pas lui-même appelée pour s’excuser des propos infamants de l’un de ses ministres ? Mais en politique, comme en amour, il n’y a que les actes qui comptent. D’abord, la cheffe frontiste n’a pas apprécié que le Premier ministre ne la consulte pas plus tôt pour recueillir ses demandes. Ensuite, et surtout, elle a très peu goûté les propos des proches de Michel Barnier, éparpillés dans la presse, à l’issue de leur rencontre, la semaine dernière. “Ils ont pris un malin plaisir à raconter dans tout Paris qu’elle était plus ou moins une demeurée, détaille un stratège. Donc quand on est reçus au dernier moment, à l’heure où il est quasiment impossible de modifier le texte, et que les mecs te déversent par derrière un torrent de saloperies sur la gueule, tu n’as pas très envie de les sauver.”

Troisième hypothèse : le calendrier judiciaire

“Barnier, finalement, c’est pire qu’Attal ou Borne, déplore quant à lui Thomas Ménagé, député RN du Loiret. C’est du “regardez, je les traite”, il envoie quelques miettes, mais le mépris reste le même.” C’est ce mépris dont s’est lassée Marine Le Pen et qui aurait, dit-on, coûté sa tête à Michel Barnier. “Ils veulent nos voix mais pas nos visages, ça fait quarante ans qu’on vit ça” assurait-elle vendredi dans les colonnes du Monde, excédée que le Premier ministre n’ait pas concédé qu’il avait renoncé à la hausse des taxes de l’électricité pour ses beaux yeux.

Troisième hypothèse : le calendrier judiciaire. C’est la préférée de la majorité, qui se plaît à répéter que la décision de Marine Le Pen est avant tout liée au risque d’inéligibilité qui pèse au-dessus d’elle depuis les réquisitions de son procès. Et l’argument a le don de l’irriter. “Il n’y a zéro enjeu, zéro conséquence de cette décision de justice sur les décisions que je vais être amenée à prendre comme présidente de groupe, et j’y mets un point d’honneur”, jurait-elle, le 27 novembre, depuis le Tribunal correctionnel de Paris. “C’est tout de même assez insultant, et ça a énervé tout le monde, assure un bras droit. C’est comme si on disait que sans ses examens médicaux, Michel Barnier aurait été plus doux et plus enclin à la discussion.”

Marine Le Pen et la droite

N’empêche, on se plaît tout de même, au RN, à imaginer l’hypothèse d’une démission qui provoquerait une présidentielle anticipée et aurait le mérite de préserver leur championne. Si tant est qu’elle eut lieu avant le 31 mars, date du verdict pour Marine Le Pen. “Si on fait tomber trois Premier ministres de suite, quel autre choix aura Emmanuel Macron que celui de la démission ?”, questionne un député. Le nouvel élément de langage est donné par Marine Le Pen elle-même, lundi, salle des quatre colonnes à l’Assemblée : “Le président de la République a trois possibilités : le remaniement, la dissolution et sa démission.” Voici donc ce qu’elle attend désormais de la censure.

Dans son camp, certains, bien sûr, ont tenté de la dissuader de ce chemin. En particulier son conseiller économique, François Durvye, également bras droit du milliardaire réactionnaire Pierre-Edouard Stérin. Jusqu’au dernier moment, il a plaidé en faveur d’un assouplissement, compte tenu des garanties déjà obtenues, et surtout désireux de ne pas rebuter l’électorat de droite, plus attaché à la stabilité institutionnelle et craintif d’assister à un effondrement des marchés. Réponse de l’entourage lepéniste, qui a fini par l’emporter : “A quoi bon négocier des bouts de chandelles et passer pour les supplétifs d’un gouvernement qui reste, pour nous, un opposant ?”

Le risque et le plaisir

Surtout : Marine Le Pen n’est pas particulièrement fan des électeurs comme des représentants de la droite, qu’elle a toujours méprisés et qui, souvent, le lui rendaient bien. Elle a d’ailleurs été excédée par les “donneurs de leçons” politiques et médiatiques, des bancs de l’Assemblée jusqu’aux colonnes du Figaro, qui lui reprochaient d’être sur le point de provoquer une crise financière. Son électorat originel, lui, était favorable à la censure. Et puis elle en est certaine : au moment venu, entre un candidat de gauche ou elle-même, la droite votera pour elle, contrainte et forcée. Entre tenter de plaire à un camp qu’elle honnit ou contenter son socle historique, Marine Le Pen a donc tranché. Agacée, aussi, d’avoir été trop longtemps sous-estimée ou soupçonnée de bluff par le gouvernement comme par la majorité. Ego, quand tu nous tiens.

Une fois n’est pas coutume, Marine Le Pen s’est fait plaisir. Elle prend son risque, aussi. Bien sûr, le service après-vente minimum a été assuré. On a envoyé les députés RN éteindre le feu auprès des journalistes, salle des quatre colonnes, pour expliquer que tout ça était la faute de Gabriel Attal qui, en refusant que la majorité concède quoi que ce soit au RN, avait poussé Marine Le Pen dans les bras de la censure. Oui, Marine Le Pen et ses troupes voteront la motion de censure de LFI (dans laquelle leurs intentions sont qualifiées de “viles obsessions”). Et la question plane, tout de même : que se passera-t-il si les marchés s’affolent ? L’heure n’est pas à la panique. On surjoue d’ailleurs le calme. “Il faut relativiser, il ne se passera rien”, assurent tous les frontistes, partageant massivement des analyses assurant que le déficit budgétaire annoncé n’aura pas lieu. Quoique… L’interrogation continue de se propager. Et si Marine Le Pen avait loupé la dernière marche de sa notabilisation ? La cheffe frontiste a-t-elle relu La Fontaine depuis ? A-t-elle hasardé de perdre en voulant trop gagner ?




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