Jamais il ne s’est couché de bonne heure. Ce n’est pas parce qu’à Riyad les pendules indiquent 2 heures du matin que le temps est venu pour Emmanuel Macron de fermer l’œil. Allô ? Au téléphone, il est minuit, Paris sommeille, et l’interlocuteur du président prié de ne pas en faire autant. Tourmenté même en Arabie saoudite par le tumulte parlementaire, le chef de l’Etat a besoin de se dégourdir les idées, à quoi ressemblera demain, après-demain et ce mandat tout entier percuté par une dissolution dont les rebonds prennent jour après jour des airs d’apocalypse ? Panique, combien de temps lui restera-t-il pour redresser son quinquennat s’il faut encore changer de Premier ministre ? “Donald Trump est élu pour 48 mois, entonne le stratège somnolent à l’autre bout du fil. Il aura à mi-mandat les midterms qui, vu la réalité électorale, ne pourront être qu’une perte de pouvoir pour lui, il a donc 24 mois devant lui ; vous en avez 30, c’est très long.” Qu’il est réconfortant de se noyer dans son reflet.
La nuit s’étire, la conversation aussi ; Emmanuel Macron paraît pressé de ne pas temporiser. Bouillonnant : “J’irai très très vite, c’est impensable de faire autrement.” Péremptoire : “Cette fois, je ne concerterai pas.” Nommer à la hussarde, histoire de leur montrer, à tous ces chefs de partis, qui c’est Raoul. Une censure et dès le lendemain le choix présidentiel souverain d’un nouveau Premier ministre. Lequel sera prié de recevoir, écouter, tendre la main… “L’anti-Barnier, quoi”, raille celui qui attend toujours la permission d’aller se coucher. “Marine Le Pen, il faut la mettre dans la situation où censurer de nouveau aurait un coût transactionnel trop fort”, poursuit le président. Est-ce un bâillement étouffé ce drôle de bruit qu’il entend ? “Il faut que vous restiez à l’écart”, lui répond hâtivement le presque assoupi. Sans doute le locataire de l’Elysée a-t-il acquiescé… Et deux jours plus tard, vingt minutes à peine après le vote de la motion de censure, a annoncé s’inviter sur toutes les chaînes à l’heure du journal télévisé. “L’essentiel pour lui est d’être au centre, il y est encore… l’escamote un de ses amis. Au-delà des apparences, je suppose qu’il est satisfait.”
Ce que le chef de l’Etat n’a pas aimé
Et sans doute une partie du président n’est-elle pas mécontente de voir Michel Barnier s’éloigner. Certes, Emmanuel Macron peut lui savoir gré d’avoir publiquement affiché son respect envers la personne et la fonction du président de la République. Mais le jeune chef de l’Etat, c’est un ministre lui étant resté fidèle qui le dit, n’a pas aimé le vent de fraîcheur qu’a réussi à faire souffler le Savoyard dans les premières semaines suivant sa nomination – il suffisait pourtant d’attendre, et vraiment pas longtemps, pour que cela passe. Le président n’a pas forcément apprécié de voir l’ancien commissaire européen prendre ses aises, et la parole, sur le terrain international : les interventions de Michel Barnier, quasiment à chaque fois, après le traditionnel point consacré aux affaires étrangères par le chef de l’Etat en conseil des ministres, ont fait sourire les présents.
La forme surtout ne peut cacher le fond. Là, le bât a rapidement blessé, sans qu’Emmanuel Macron ne puisse piper mot. La manière dont la question de l’impôt a surgi cet automne a vite inquiété l’Elysée. Attention, “sujet cognitif plus que matériel” : les Français vont avoir l’impression que si les grandes entreprises ont été les premières rattrapées par la patrouille fiscale, on s’approcherait ensuite dangereusement d’eux, à partir des frais de notaire ou des taxes sur les sodas. “Je ne crois pas à la consolidation par l’impôt, car le signal est mauvais, du coup les rentrées ne correspondront pas aux attentes, vous courez derrière l’horizon”, prévient un fidèle du chef de l’Etat. En voyant que c’est un Premier ministre membre de LR qui remettait ainsi le couvert, Emmanuel Macron s’est dit que la droite décidément avait autant que la gauche un problème de boussole. Cette réflexion faite, il n’était guère plus avancé. Ce qui ne l’a pas empêché de confier à un ami fidèle : “Je suis prêt à tous les scénarios.” La fidélité n’interdisant pas la taquinerie, le confident a répliqué : “J’espère que tu es aussi prêt que Séjourné qui t’avait dit que le parti était prêt au moment de ta dissolution.” Même le président a ri.
“Amitiés” et fin de non-recevoir
L’Elysée serait-il l’hôpital qui se moque de la charité ? Quand le président regarde les désordres gouvernemental et parlementaire, les autres regardent la dissolution. Surtout, ne pas croire que le temps a effacé les plaies, réconcilié les hommes. Pendant l’été, Emmanuel Macron envoie une lettre type pour remercier les députés de son camp qui ont accepté de se retirer entre les deux tours, “Amitiés” la conclut. De l’un de ces élus battus, il recevra une copie de son propre courrier en guise de fin de non-recevoir, assorti de quelques formules bien senties mais mal ressenties pour expliquer que l’amitié n’avait pas, n’avait plus lieu d’être.
Il faut dire qu’ils sont quelques-uns à avoir perdu, à cause de lui, ministères, sièges ou postes en cabinet, sans gagner la moindre valeur sur le marché du travail. Estomaquant d’entendre lors d’un entretien d’embauche un recruteur s’impatienter : “Mais qu’est-ce que vous foutez sur le budget ? !” C’est pourtant la nouvelle réalité de ces macronistes si longtemps convaincus que le côté “pro business” du chef leur assurerait un avenir radieux dans un grand groupe ou auprès d’un patron. Mais la dissolution a distendu les relations entre l’Elysée et le monde économique et cette censure ne risque pas de les resserrer.
“Elle n’a fait que matérialiser quelque chose qui existait déjà” : il reste un endroit en France où la décision reste défendue mordicus, et c’est évidemment la présidence de la République. L’édifice se fragilise pourtant à vue d’œil, et c’était prévu. Déjà, entre les deux tours des élections législatives, Bruno Le Maire échange avec Emmanuel Macron : “Comment fait-on pour que tu tiennes ? C’est la seule question.” Nous y sommes. Jean-Luc Mélenchon le répète chaque jour, et, en ce qui le concerne, depuis le premier jour de l’après-législatives.
De la démission à Saint Louis
Démissionner ? Et avant le 31 mars si possible, date du jugement de Marine Le Pen ? “Hasardeux”, “lunaire” même, avancent les amis d’Emmanuel Macron. Qui jugent la présidente du groupe RN à l’Assemblée “peu compatible” de jouer à la fois, pour ne pas dire en même temps, la carte de “l’institutionnalisation” et celle de la destitution. Evidemment, le chef de l’Etat n’a pas l’intention de mettre la clé sous la porte. Mais pour le moment ce ne sont pas les paroles de chanson qui comptent, c’est la musique de fond qui monte en volume. La semaine dernière, un sondage Elabe indiquait que 63 % des Français étaient favorables à la démission d’Emmanuel Macron en cas de censure du gouvernement.
De quoi ébranler l’intéressé, une fois la censure votée ? Gloussements francs d’un intime : “Vous voulez rire, même après que son successeur aura été élu il prendra prétexte d’une crise au Pérou pour mettre en œuvre l’article 16 et rester un mois de plus au centre du monde…” Démission inenvisageable : avis rendu à l’unanimité par ceux qui fréquentent de près le chef de l’Etat. Pour des raisons qui tiendraient selon eux autant à la psychologie du personnage qu’à son attachement à la Ve République. “S’il démissionnait parce qu’il y a une crise parlementaire, ce serait la fin de la Ve République, cela signifierait que l’on considère que le président de la République est aussi responsable devant le Parlement.” La démission impossible, en somme.
Donald Trump réélu : “une bonne nouvelle pour le président, voilà qui lui redonne de l’air”, se réjouissait mi-novembre un ancien conseiller resté loyal. Donald Trump à Paris pour constater l’instabilité politique dans laquelle ce président modéré et son pays sont englués : voilà qui est embarrassant. Mais ce ne sont pas 331 députés grognons qui gâcheront la fête et le succès présidentiels. “C’est à nous les Françaises et les Français d’aujourd’hui qu’il revient d’assurer cette grande continuité qui fait la nation française”, prévenait-il, ému, dans son allocution suivant l’incendie de la cathédrale de Paris en avril 2019. Reconstruire Notre-Dame : “On l’a dit, je l’ai fait !” est tenté de s’exclamer le chef de l’Etat désormais. De Saint Louis à Macron…
Un président aphone ?
Emmanuel Macron voudrait bien reprendre son bâton de pèlerin, et pas seulement pour inaugurer Notre-Dame samedi et dimanche. Depuis la dissolution, il reçoit à tour de bras les dirigeants étrangers en visite d’Etat – “Il n’y en a jamais eu autant en si peu de temps”, note un diplomate. Ce fut le président de la République du Kazakhstan, le roi des Belges, le président du Nigeria – avec, s’il vous plaît, la grande escorte mixte composée de 140 chevaux et de 28 motards de l’escadron motocycliste de la Garde républicaine… En Europe, “le risque d’être balayé par l’histoire” est là, le chef de l’Etat le dit depuis un certain temps.
Mardi, en conférence des présidents à l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet a indiqué qu’Emmanuel Macron souhaitait que le débat sur la censure n’ait lieu qu’après son retour en France, au terme de son voyage en Arabie saoudite. C’est bien la question. Quelle portée a la voix d’un président dont le pays est au bord du gouffre ?
Michel Sardou l’avait pourtant prévenu. 15 octobre à l’Elysée, un armagnac, deux armagnacs, le chanteur tout juste épinglé apostrophe son hôte : “Tu as la voix qui tombe président.” Regard catastrophé, incompréhension, autodéfense : “J’ai pourtant travaillé… Je n’ai pas la voix qui tombe”. Et l’artiste qui refuse de capituler : “Si, chez toi ça part du haut, alors que ça doit partir du ventre. Il faut que tu parles pour que les gens derrière toi t’entendent.” Quelle portée a la voix de ce président ?
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