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Cimetière du Père-Lachaise : une déclaration d’amour éternelle à la France, par Abnousse Shalmani


A l’occasion d’un colloque des référents laïcité organisé par la Région Ile-de-France et Pierre-Henri Tavoillot à laquelle j’avais l’honneur d’être conviée en compagnie de Raphaël Enthoven et Omar Youssef Souleimane, aux questions de savoir ce qu’est la laïcité et comment convaincre, comment opposer un narratif plus sexy à celui des islamistes, et ce alors que se poursuit le procès de l’assassinat islamiste de Samuel Paty, j’ai soudain pensé au Père-Lachaise. Allez savoir par quel chemin tortueux de l’esprit, me demandant comment était-il possible de préférer les idées conservatrices et lugubres des islamistes, qui charrient antisémitisme, homophobie, antilibéralisme, et présentent la fin des libertés et l’étroitesse des choix de vie comme un idéal, comment pouvait-on préférer l’enfermement spirituel, la courte vue, l’absence de curiosité par terreur d’une ouverture qui pourrait bouleverser les dogmes au libéralisme hérité des Lumières qui crée la possibilité de l’émancipation intellectuelle, de la liberté de l’esprit et du corps, en suis-je venue au Père-Lachaise ?

Si je devais choisir un lieu qui résume la France, son esprit, son histoire, son passé et son avenir, ce serait le cimetière du Père-Lachaise. C’est sur cette colline parisienne qu’un riche commerçant fit construite une folie au XVe siècle – qui donne son nom à la rue de la Folie-Regnault – qui fut rachetée par les jésuites au XVIIe siècle pour en faire un lieu de repos, et où s’installa le père François d’Aix de La Chaise, confesseur de Louis XIV – qui encore adolescent assista à la Fronde du haut de ce qui garde encore le nom de mont Louis, ce qui le choqua assez pour qu’il décide de mettre la noblesse au pas et l’éloigner de Paris, et fit germer en lui ce qui allait devenir la cour de Versailles et la monarchie absolue. Les jésuites, ruinés par un évêque fêtard, quittèrent les lieux, qui furent laissés à l’abandon jusqu’à Napoléon Bonaparte.

Le Père-Lachaise devient à la mode

Par un décret impérial du 12 juin 1804, il fut décidé que “chaque citoyen a le droit d’être enterré quelles que soient sa race ou sa religion”. Ainsi, les mécréants, les excommuniés, les suicidés, les juifs, les protestants, les comédiens, les prostituées et les pauvres purent être enterrés côte à côte, sans distinction dans la mort. Le Père-Lachaise fut un bide. Trop loin, pas assez prestigieux. Il fallait une bonne réclame, qu’à cela ne tienne, on y transporta en grande pompe, en 1817, les dépouilles d’Héloïse et d’Abélard, de Molière et de La Fontaine. Le succès fut total, le Père-Lachaise devient à la mode et le resta.

Le mur des Fédérés qui y furent fusillés après les combats sanglants de la Commune, les obus de la Première Guerre mondiale qui y tombèrent, les carrés juifs, musulmans et protestants, interdits à la suite de la loi de 1905 mais qui survivent dans leur forme historique, les nouveaux venus merveilleusement éparpillés dans le cimetière, les tombes chinoises côtoyant les kurdes, les argentines aux dalles noires et blanches, la tombe d’Alan Kardec, fondateur du spiritisme, toujours fleurie et attirant des adeptes brésiliens, Colette à l’entrée principale du cimetière, Sarah Bernhardt à quelques tombes d’un homme vietnamien, Marcel Proust ouvrant ce qui reste du carré musulman, faisant face à l’athée persan Sadegh Hedayat, écrivain et opiomane, grand ami de Cocteau, qui se suicida à Paris en 1951, toutes les couches successives de la société française, les nouveaux venus, les installés de longue date, les héros des guerres napoléoniennes sur le chemin escarpés des chèvres, les chanteurs célèbres, les inconnus glorieux, les tombes abandonnées, les toujours visités, les joints sur la tombe de Jim Morrison, tout raconte la France dans ce qu’elle a de plus beau, de plus divers, de plus fou, de plus prestigieux, de plus sordide, de plus touchant, de plus sanglant, de plus désirable.

Alors, tandis que les politiciens retombés en enfance font un concours du pire, allez-vous balader dans les travées baroques du Père-Lachaise, et vous entendrez le murmure d’une déclaration d’amour éternelle à la France. Et vous aurez soudain chaud au cœur.




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