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Livres, musique, art… L’IA peut-elle vraiment vous rendre riche et célèbre ?


Peut-on devenir riche en faisant travailler des intelligences artificielles à notre place ? C’est la question qui taraude les internautes depuis la sortie de ChatGPT il y a deux ans. Jackson Fall a tenté d’y répondre. En mars 2023, ce designer américain s’est lancé dans un projet original : allouer 100 dollars à l’interface et lui demander de générer le plus d’argent possible avec cette enveloppe.

Le plan échafaudé par l’IA est relativement simple : créer Green Gadget Guru, un site marchand reposant sur du marketing d’affiliation et proposant des produits respectueux de l’environnement. ChatGPT écrit même pour l’occasion un article détaillant les “10 gadgets de cuisine écologiques indispensables pour une cuisine durable “, et débourse quelques dizaines de dollars pour lancer des campagnes publicitaires sur les réseaux sociaux.

Le site gastro-écolo ne rencontre pas un franc succès, mais les publications de Jackson sur les réseaux sociaux, si. Son tweet racontant l’histoire cumule plus de 23 millions de vues. Des curieux lui versent leur obole. Au bout de quelques jours, il récupère 1 300 dollars de mise supplémentaire. Le début de la fortune ?

Cette expérience a inspiré d’autres internautes. Google Trends montre que la requête how to make money with AI (comment gagner de l’argent avec l’intelligence artificielle) est en constante augmentation depuis 2022. Une simple recherche sur YouTube ou TikTok permet de trouver des vidéos d’influenceurs prodiguant moult conseils pour réaliser des images avec Midjourney ou utiliser ChatGPT à des fins mercantiles.

Faire travailler les IA à sa place

Les miniatures de ces vidéos donnent le ton : un robot penché sur un ordinateur, des liasses de billets tombant du ciel ou des humains bronzant au soleil, trop heureux de se faire remplacer par des intelligences artificielles… Les titres se ressemblent : ici, il serait possible de gagner 7 000 dollars par semaine. Là, 950 par jour. D’autres créateurs assurent, la main sur le cœur, en empocher des dizaines de milliers chaque mois grâce à l’IA. Leurs recommandations sont souvent les mêmes : automatiser de nombreux processus, afin de devenir plus productif, et démarrer sa propre entreprise ; ou créer de manière automatisée des contenus tels que de la musique, des livres ou des illustrations. Tous assurent à leurs abonnés qu’ils peuvent faire sauter la banque avec peu d’efforts. Des promesses sans lendemain.

Certains petits malins ont tenté leur chance dans l’édition, en faisant appel aux talents littéraires de ChatGPT. Quelques mois à peine après le lancement du chatbot, une étude révélait que 200 ouvrages le listaient comme “auteur” sur Amazon. Un chiffre bien en deçà de la réalité, car beaucoup de ceux qui l’utilisent n’ont pas l’honnêteté de le préciser. Une simple visite sur Amazon montre l’ampleur du phénomène. De très nombreuses requêtes font apparaître en bonne place des livres visiblement écrits par des intelligences artificielles. Ils ne sont pas difficiles à repérer. Les images de couverture ont les couleurs brillantes et les contours évanescents des illustrations générées par Midjourney. Les textes, une structure bêtement scolaire. Et les phrases, ce style fourre-tout dont raffole ChatGPT.

Ce déluge d’ouvrages sans intérêt est rendu possible par Kindle Direct Publishing. L’outil permet à n’importe qui d’éditer ses écrits et de les publier directement sur Amazon, en version digitale ou papier, l’impression étant gérée par la plateforme elle-même. Il a donné naissance à un véritable marché, où cohabitent les authentiques écrivains en herbe et les margoulins. Face aux plaintes d’auteurs plagiés et de lecteurs désabusés par la multiplication de ces pseudo-livres, Amazon a décidé de limiter à trois le nombre de publications qu’un auteur a le droit de mettre en vente… chaque jour. Ou comment vider l’océan à la petite cuillère. De nombreux sites continuent pourtant de proposer aux internautes cette combine. Comble de l’ironie, le guide Making Money Selling AI Created Books (Gagner de l’argent en vendant des livres créés par l’IA), accessible sur Amazon, semble lui-même avoir été écrit par une intelligence artificielle. Clarkesworld, l’un des magazines de science-fiction anglophones les plus réputés, a été confronté au même problème. La revue a dû fermer les soumissions de nouvelles pendant plusieurs mois face à l’avalanche de manuscrits générés par IA – jusqu’à 55 % des propositions.

Générer des chansons artificielles est devenu tout aussi enfantin. Copilot, intégré à la suite Microsoft, permet de réaliser des morceaux en un tour de main, tout comme Soundraw ou Beatoven. En clonant des voix de chanteurs et de célébrités, ou en fabriquant des pistes musicales complètes. Le rendu est si parfait qu’il est parfois impossible de distinguer un vrai titre d’un autre généré par intelligence artificielle. Des millions d’internautes ont ainsi cru que Heart on my sleeve, attribué à Drake et The Weeknd, était un single ayant fuité avant sa sortie officielle, alors qu’il était l’œuvre – réussie – d’un TikTokeur opportunément surnommé Ghostwriter977.

Créer des chansons avec l’IA

Si l’IA amuse les bidouilleurs de sons, elle inquiète les professionnels du milieu. “On a très peur que demain, les musiques de films soient créées entièrement par intelligence artificielle”, indique Philippe Gautier, de l’Union nationale des syndicats d’artistes musiciens. Dans un secteur durement touché par la fin des CD, un tel bouleversement est guetté avec crainte, mais aussi circonspection. “Je suis persuadé que ces IA feront de la musique qui plaira. Pour autant, je ne sais pas si les auditeurs arriveront à dire qu’ils aiment une IA, sans humain derrière”, poursuit-il.

Autre question épineuse : la rémunération. Lorsqu’une œuvre est diffusée, des droits sont reversés à son auteur. Quid des morceaux générés par l’IA ? Cloner la voix d’un artiste à son insu constitue-t-il une infraction ? Deux start-up, Udio et Suno, sont poursuivies aux Etats-Unis par des majors qui leur reprochent d’avoir entraîné leurs IA sur des millions de titres, sans l’accord des ayants droit, et de fabriquer ainsi une “musique imitative”. Interrogé par Bloomberg, le directeur général de Suno dit réfléchir à une manière d’indemniser les musiciens pour leur travail. Avant d’estimer que « pour l’heure, il n’y a simplement pas de bonne solution pour le faire »

Les escrocs ne sont jamais loin

En quête d’argent facile dans la musique, certains s’essayent à un autre tour de passe-passe : les faux streams. Les principales applications de streaming de musique, telles que Spotify, Deezer ou Apple Music, rémunèrent les artistes en leur versant des royalties proportionnelles au nombre d’écoutes comptabilisées. D’où l’idée de générer, avec l’IA, de faux titres, puis de programmer des bots, ces logiciels qui effectuent des tâches répétitives, pour qu’ils les “écoutent”, et fassent grimper la jauge.

Il y a quelques semaines, un Américain a été accusé d’avoir perçu par ce biais 10 millions de dollars. Son cas n’est pas unique. Une étude du Centre national de la musique estime qu’en 2021 “entre 1 et 3 milliards de streams, au moins, étaient faux, soit entre 1 et 3 % du total des écoutes” constatées en France. Cette arnaque pourrait toutefois faire long feu, les plateformes de streaming traquant de plus en plus énergiquement les fraudeurs.

Un succès mitigé

L’IA s’infiltre également dans le marché de l’art. Dernier exemple en date : la vente pour 1 million de dollars chez Sotheby’s d’un tableau peint par un robot ce 7 novembre. La toile, un portrait d’Alan Turing intitulé A.I. God, a été réalisée par Ai-Da, un automate humanoïde conçu par le spécialiste de l’art moderne Aidan Meller. Cette somme rondelette montre-t-elle un appétit pour l’art génératif ? Rien n’est moins sûr, selon Julie Hugues, responsable marché art et clientèle privée chez l’assureur Hiscox : “Les tendances que nous voyons émerger en lien avec l’intelligence artificielle sont très spécifiques aux jeunes collectionneurs. Ceux plus âgés se méfient et se demandent si ce n’est pas une bulle.” Leurs doutes ne sont pas dénués de fondement. Le collectif Obvious s’était rendu célèbre, en 2018, par la vente chez Christie’s d’Edmond De Belamy, un portrait réalisé grâce à une IA, au prix de 432 500 dollars. “Cette année, ils peinent à vendre leurs œuvres plus de 35 000 dollars, pointe Julie Hugues. L’effet nouveauté est retombé.”

D’après une étude commandée par Hiscox, seulement 16 % des collectionneurs estiment que l’art généré par l’IA a le même potentiel de valeur que des œuvres créées par l’homme. Même parmi les jeunes collectionneurs, 67 % d’entre eux considèrent qu’il est moins marquant que des créations humaines. Surtout, les amateurs prêts à investir dans de l’art génératif ne sont pas légion : 2 % d’entre eux en ont déjà acheté, et 29 % seulement pourraient envisager de le faire dans le futur. La voie semble bel et bien bouchée, et les espoirs de gains limités.

Les perspectives sont à l’avenant dans le domaine des sites Web générés par IA. En témoigne l’expérience menée par Ari Kouts précisément pour mettre en garde le public. Ce consultant informatique a confié à une intelligence artificielle le soin d’alimenter au quotidien un “faux” site d’actualités sur les nouvelles technologies. Le résultat obtenu, baptisé Tech Generation, ressemble trait pour trait à un site traditionnel. Il parle bitcoin, réseaux sociaux, télécoms, hardware… Les articles sont signés par trois journalistes différents, dont la photo de profil s’affiche dans l’en-tête. Trois personnes qui n’existent pas. Leurs visages ont été générés par IA, comme tout ce qu’on peut lire sur Tech Generation. Ari Kouts assure qu’un budget marketing modeste peut suffire à faire grossir l’audience d’un tel site, jusqu’à le rendre bien référencé. Mais les moteurs de recherche luttent, à juste titre, contre ces publications de mauvaise qualité qui dégradent l’expérience des internautes et risquent fort de se cannibaliser.

En novembre dernier, NewsGuard avait identifié 1 121 sites d’informations non fiables générés par IA, dans 16 langues. Sous des marques formatées (iBusiness Day, Ireland Top News, Daily Time Update…), ils produisent chaque jour, sans supervision humaine ou presque, des “dizaines, voire des centaines d’articles génériques” sur des thématiques aussi variées que la politique, la technologie, le divertissement et les voyages. On y retrouve, sans surprise, des histoires inventées de toutes pièces par l’IA, ou des événements anciens présentés comme de l’actualité fraîche. L’objectif de ces sites gratuits adossés à la réclame est de produire un maximum de trafic afin d’engranger des revenus publicitaires, au mépris de tout professionnalisme.

Faux site d’actu sur Gisèle Pélicot

Et parfois de toute décence. Les Vérificateurs de TF1 et le journaliste Victor Baissait ont révélé l’existence d’un site se faisant passer pour une source officielle sur le procès des viols de Mazan. Ce dernier utilise l’intelligence artificielle pour générer et traduire dans plusieurs langues des articles colportant de fausses informations, telles que l’adaptation de l’histoire de Gisèle Pelicot en une série Netflix. Le tout agrémenté de photos, elles aussi générées par IA. Basé en Inde, l’administrateur admet sans état d’âme le caractère opportuniste de sa démarche. Il dit avoir observé sur Google Trends l’intérêt suscité par le procès et décidé d’en faire un business, tout en reconnaissant “ne pas bien connaître” les tenants et aboutissants du procès Pelicot.

Dans un dernier registre, les graphistes autoproclamés constatent eux aussi les limites de l’IA, à mesure que les images artificielles inondent le Web. Les IA restent d’excellents outils, mais Midjourney et ChatGPT ne peuvent pas créer des œuvres seuls. Il faut un chef d’orchestre pour les agencer et obtenir un beau rendu. Sans talent, avec intelligence artificielle ou non, le résultat sera d’un goût douteux. Les illustrateurs du dimanche qui n’ont pas d’approches visuelles originales ni de compétences dans les logiciels de retouche n’ont aucune chance de sortir du lot et de convaincre des clients de débourser de l’argent pour leurs productions. La leçon, plus générale, tombe sous le sens : il est illusoire de vouloir gagner sa vie avec un projet que n’importe quel internaute peut reproduire avec la même IA. Et, faute de barrière technique à l’entrée, la prime au premier arrivé ne joue pas.

Green Gadget Guru, l’expérience menée par Jackson Fall avec ChatGPT, a d’ailleurs tourné court. Un an plus tard, l’adresse du site renvoie vers une page d’erreur. Quant au compte X de l’intéressé, il n’est plus actif. Contacté par L’Express, il confirme avoir abandonné l’idée : “J’ai travaillé dessus pendant presque un mois, et depuis j’ai entamé de nouveaux projets dans l’intelligence artificielle.” Interrogé pour savoir combien l’affaire lui a rapporté, il n’a pas donné suite.




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