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“La France veut un islam très LGBT” : près de Lyon, le lycée musulman Al-Kindi dans le viseur de l’Etat


Sur sa chaîne YouTube suivie par 24 000 personnes, Shakeel Siddiq est habile. Titres de vidéos accrocheurs – “L’abbé Pierre ira-t-il au paradis ?” –, thématiques calquées sur les goûts des plus jeunes – “Quoi penser du message d’Inoxtag ?”, “Maeva Ghennam [NDLR : candidate de téléréalité très populaire] à La Mecque. C’est quoi ce repentir ?”… Le vice-président de l’institut Sira, dédié à l’étude approfondie de la biographie de Mahomet, maîtrise avec brio les codes d’Internet. Pourtant, sur le fond, le discours de Shakeel Siddiq se veut bien moins “moderne”. Dans une vidéo du 28 juillet 2022, le youtubeur déplore ainsi l’expulsion du territoire national de Hassan Iquioussen, un imam fiché S, épinglé pour des propos homophobes, sexistes et antisémites. Ce dernier avait notamment accusé les juifs d’être un “peuple ingrat” ayant “besoin d’être rappelé à l’ordre vingt-quatre heures sur vingt-quatre”.

“La France a un problème avec cet islam traditionnel [qu’incarnerait Iquioussen], qui se réfère au Coran, aux hadiths, où les référents religieux sont en Egypte ou en Arabie saoudite. Elle veut éradiquer cette pensée-là”, développe dans sa vidéo Shakeel Siddiq, pour qui le pays cherche au contraire à imposer un “islam progressiste, très LGBT, où les homosexuels seraient bienvenus et où on dirait que c’est quelque chose de normal, d’humain”. “Si on ne s’inscrit pas dans cette vision-là, on est bannis”, poursuit-il. Un mois plus tard, une autre vidéo, intitulée “L’expulsion de Hassan Iquioussen validée”, est l’occasion pour Siddiq d’apporter plus explicitement son soutien à l’imam : “La France l’accuse d’antisémitisme car il a condamné la politique d’Israël quand il y a eu des bombardements”, commente-t-il. Plus loin, le youtubeur exhorte alors les musulmans “à lutter verbalement et efficacement contre l’injustice”, car “si on se fait écraser et humilier, c’est parce qu’on est “écrasable” (sic) tel un cafard”.

Ce que la plupart des abonnés de sa chaîne ignorent, c’est que Shakeel Siddiq a une autre casquette. Depuis près de dix ans, celui-ci est l’un des deux professeurs de culture de l’islam au sein de l’établissement privé Al-Kindi, situé à Décines-Charpieu (Rhône), dernier groupe scolaire musulman sous contrat avec l’Etat, après la rupture de celui d’Averroès à Lille, en septembre dernier. Et ses propos, jugés “incompatibles avec les valeurs de la République” par la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Fabienne Buccio, pourraient aujourd’hui coûter cher à Al-Kindi : le 12 décembre, les responsables de l’école sont convoqués à une commission académique de concertation, dont l’issue pourrait être la suppression des subventions octroyées par l’Etat.

Contre-attaque

Alors, ce 6 décembre, Al-Kindi a préparé sa contre-attaque. Dans une conférence de presse organisée au sein de l’établissement, Hakim Chergui, l’un des cofondateurs de l’école et également son avocat, dénonce une décision motivée par “un agenda politique”, qui pourrait signer “la fin de l’école”, pourtant classée meilleur établissement du Rhône en 2022 par L’Etudiant. “Les accusations qui servent de corps à cette procédure relèvent pour la plupart de la peccadille, voire du mensonge”, défend-il. Selon lui, le professeur Shakeel Siddiq, actuellement mis à pied de manière conservatoire par l’établissement “le temps d’une enquête interne”, n’a pas été critiqué pour “le contenu de ses cours, ce qui est enseigné dans les classes”. “On nous reproche ses agissements en dehors, mais nous ne sommes pas censés savoir exactement ce que les gens font dans leur vie privée”, assure Hakim Chergui.

Pourtant, d’après les informations de L’Express, Al-Kindi est loin d’ignorer les activités de son professeur. Le fils du gestionnaire de l’établissement intervient en effet au sein de l’institut… Sira, dont Shakeel Siddiq est le vice-président. En 2017, ce même institut a élaboré un livre dont le contenu a été enseigné aux élèves en classe de 6e d’Al-Kindi, comme en témoigne un post Facebook de Siddiq. “Des parents s’étaient aussi plaints parce qu’il renvoyait ses élèves vers ses vidéos YouTube, qui sont publiques et non privées”, confie une ancienne enseignante de l’établissement. Un témoignage contesté par Hakim Chergui : “A ce jour, on n’a jamais eu de remontées négatives vis-à-vis de ce cours. Nous accueillons des familles de toute obédience, chiites, sunnites, et si un propos était prosélyte, clivant ou radical, elles auraient été les premières à nous remonter l’information.”

Car depuis 2020, Shakeel Siddiq a publié plus de 1 000 vidéos, alternant questionnements religieux des plus classiques – “Une musulmane peut-elle épouser un non-musulman ?” ; non, répondra-t-il – et sujets d’actualité, comme cette séquence consacrée à la représentation de La Cène lors de la cérémonie d’ouverture des JO, où le youtubeur s’emporte : “Comment [les organisateurs] ont insulté Jésus avec toutes ces drag-queens ! Voilà, c’est ça le grand remplacement, ce monde de demain, de transgenres et de drag-queens, qui remplace le christianisme en France. Mais non, on va faire croire que le problème, c’est nous les musulmans, nous qui aimons et respectons Jésus !” Une autre vidéo, concernant le vaccin contre le Covid, donne l’occasion à Siddiq d’opposer “l’idolâtrie moderne”, que sont “les sciences dites profanes”, à Allah, détenteur unique des “clés de toutes choses”.

Pour le chercheur en sciences de l’éducation Sébastien Vida, qui a mené un travail d’enquête dans 12 écoles musulmanes sous et hors contrat entre 2019 et 2022, ce type de discours de la part d’intervenants est révélateur d’un “retour du religieux”. “Il y a une volonté, chez certains de ces acteurs, de déployer dans l’école une ‘éducation intégrale’, visant l’acquisition de dispositions morales par les enfants, éclaire-t-il. Cela rejoint les aspirations des familles piétistes, en quête d’une atmosphère islamique, où on rappelle aux enfants ce que serait le “bon comportement” “en tant que musulman, et où on tente de les préserver des influences perçues comme délétères du monde contemporain.”

Ouvrages pro-djihad

A Al-Kindi, quatre ouvrages présents dans le fonds documentaire du CDI ont également été jugés “contraires aux valeurs de la République” par la préfecture, comme l’indique le rapport de saisine. Parmi eux, La Voie du musulman d’Abou Bakr al-Jazairi, un théologien conservateur algérien promoteur du djihad. L’un de ses chapitres expose : “L’objectif principal du djihad est d’affronter les mécréants et les belligérants. Il est un devoir collectif, mais lorsqu’il est accompli par une partie de la population, le reste en est dispensé.” Pour l’auteur, hadiths à l’appui, “le mérite du djihad et de la mort en martyr pour la Cause de Dieu [sont] l’œuvre la plus méritoire et l’acte de dévotion le plus distingué”, et celui-ci nécessite d’acquérir en amont “toutes sortes d’armes”, dont “du matériel de guerre”. Un autre ouvrage, intitulé Droits et devoirs de la femme en Islam de Fatima Naseef, évoque un tout autre sujet : l’obligation pour les femmes d’obéir à leur mari, y compris dans la satisfaction de leurs désirs sexuels. “L’imam Abu Huraira a rapporté que le Prophète a dit : ‘Si un matin l’homme invite sa femme à coucher avec lui et qu’elle refuse de venir à lui, alors les anges lui envoient leurs malédictions jusqu’au matin'”, peut-on notamment y lire.

En conférence de presse, Al-Kindi élude le problème, bien que les ouvrages aient depuis été retirés “à titre conservatoire”. “Le groupe scolaire possède plus de 6 000 publications, et ces quatre livres étaient déjà présents lors d’un contrôle au CDI réalisé en 2023 par les mêmes inspecteurs, qui n’avaient pourtant rien relevé”, soutient Sefen Guez Guez, l’un des avocats. “Les livres en question sont tous légaux et en libre accès. Si ces propos étaient des délits, il appartenait à l’Etat de les interdire, et on ne les aurait pas gardés”, abonde Hakim Chergui, déniant le fait d’avoir commis “une faute” qui justifierait la résiliation du contrat. Charge à la préfète, désormais, de trancher.




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