La crise du Covid-19 a beau être terminée, la menace d’une future pandémie n’est pas pourtant autant exclue. Les inquiétudes des épidémiologistes autour des cas de grippe aviaire H5N1 aux Etats-Unis ou des dizaines de morts provoqués par une “maladie inconnue” en République démocratique du Congo nous le rappellent. Et les conséquences peuvent être dramatiques, comme de nombreuses études l’ont démontré. Il a ainsi été estimé que la pandémie de Covid-19 a entraîné, entre 2019 et 2021, une surmortalité de 14,9 millions de décès dans le monde, dont 750 000 en Europe occidentale. La perte de production économique devrait atteindre 12 500 milliards de dollars (11 800 milliards d’euros) d’ici fin 2024. Comment faire face à une future pandémie, quels sont les moyens les plus efficaces pour sauver des vies et nos économies ? Une étude parue ce lundi 9 décembre dans la revue BMC Global and Public Health vise à répondre à ces questions.
Ces travaux, menés par l’Institut Pasteur en association avec une quarantaine de scientifiques européens – tous impliqués dans la gestion de la crise Covid-19 dans leurs pays – comparent l’efficacité des stratégies mises en œuvre dans 13 Etats d’Europe de l’Ouest. Les auteurs en tirent plusieurs leçons : d’abord que plus les gouvernements ont mis en place des mesures tôt – isolements, confinements, déploiement rapide des vaccins pour les plus vulnérables -, plus ils ont sauvé de personnes et mieux ils ont préservé leur économie. Ensuite, qu’il est nécessaire de disposer d’un système de surveillance capable d’identifier rapidement la circulation d’un virus et son impact hospitalier. Si ces conclusions apparaissent évidentes, ces travaux ont le mérite de confirmer ce que de précédentes études ont déjà démontré avec des preuves encore plus solides qu’auparavant. Ils permettent aussi de balayer certaines croyances, comme la prétendue efficacité de la politique suédoise lors de la première vague, ou l’idée selon laquelle on peut protéger l’économie en retardant des décisions contraignantes.
L’exemple danois, le contre-exemple Boris Johnson
Pour parvenir à ces conclusions, les auteurs ont étudié l’excès de mortalité pendant la pandémie dans 13 pays européens : Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Irlande, Italie, Pays-Bas, Norvège, Portugal, Royaume-Uni, Suède et Suisse. Pour cela, ils ont calculé la tendance moyenne de la mortalité dans chacun de ces pays entre 2010 et 2019. Ils ont ainsi obtenu la mortalité à laquelle on aurait pu s’attendre sans la pandémie de Covid-19 entre 2020 et 2022 et l’ont comparé à la mortalité effectivement observée. “L’avantage de se baser sur l’excès de mortalité – toutes causes confondues – est que nous avions des données disponibles pour tous les pays d’Europe de l’Ouest avec une grande précision, explique Arnaud Fontanet, directeur de l’unité épidémiologie des maladies émergentes à l’Institut Pasteur et coauteur de l’étude. Nous avons donc pu effectuer une analyse temporelle semaine par semaine, par groupe d’âge et de sexe”.
Les chercheurs ont ensuite standardisé l’âge et le sexe des populations d’Europe de l’Ouest afin de prendre en compte, par exemple, le fait que la proportion de personnes de plus de 80 ans – particulièrement fragiles face au Covid-19 – est deux fois plus importante en Italie qu’en Irlande. Ils ont ensuite mesuré cet excès de mortalité lors de trois périodes : de janvier à juin 2020 (la première vague) puis de juillet 2020 à juin 2021 (les vagues d’automne suivies de la propagation des variants Alpha) et de juillet 2021 à juin 2022 (les vagues Delta et Omicron).
Premier constat : sur les deux premières années de la pandémie, avec un excès de mortalité de 2,7 décès pour 1 000 habitants entre 2020 et juin 2022, l’Italie est, de loin, le pays avec le plus mauvais bilan, même en prenant en compte sa population particulièrement âgée. Viennent ensuite la Belgique, le Royaume-Uni les Pays-Bas, le Portugal et l’Espagne, qui se situent entre 1,7 et 2, puis la France, la Suisse et l’Allemagne, entre 1,3 et 1,5. L’Irlande, le Danemark et la Norvège obtiennent le meilleur bilan, avec un excès de surmortalité entre 0,5 et 1 décès pour 1 000 habitants, tout comme la Suède qui a fini par prendre des mesures adaptées après l’échec de la stratégie adoptée lors de la première vague.
Mais les auteurs de l’étude ont surtout voulu analyser l’impact des décisions prises au tout début de l’épidémie. “Tous les pays, hormis la Suède, ont pris des décisions fortes lors de la première vague [NDLR : confinements, fermetures des bars et restaurants, isolements, etc.], rappelle le Pr. Fontanet. Nous avons donc mesuré le taux d’admission hebdomadaire à l’hôpital au moment où ces mesures ont été appliquées : plus ces taux étaient bas, plus cela indiquait que le pays a réagi vite”. Ils ont ensuite comparé ces résultats avec l’excès de mortalité de la première vague.
“Le cas du Danemark est particulièrement intéressant, puisqu’ils ont pris des décisions fortes alors que leurs hôpitaux étaient encore vides – il n’y avait que 10 personnes hospitalisées, certaines sans forme sévère”, détaille le Pr. Fontanet. Résultat ? Ils ont obtenu un excès de mortalité négatif lors de cette période, ce qui s’explique par le fait que leurs mesures ont non seulement été efficaces face au Covid-19, mais aussi contre la grippe, qui tue des milliers de personnes chaque année.
Le Royaume-Uni, qui a été le pays qui a confiné le plus tard en Europe – le 23 mars seulement, sous prétexte de préserver son économie – se retrouve avec le plus fort excès de mortalité. “L’Angleterre a voulu décaler son confinement d’une semaine, ils l’ont payé cher, alors que les pays qui ont réagi très tôt ont été en sous-mortalité”, constate le Pr. Fontanet. La France, elle, se retrouve au milieu du tableau, avec un excès de mortalité de seulement 0,3 alors que notre pays n’a pas été le plus rapide à mettre en place un confinement, ce qui peut s’expliquer par le fait que seuls le Grand Est, les Hauts-de-France et l’Ile-de-France ont été sévèrement touchés lors de la première vague. Pareillement pour l’Italie, qui avait été frappée essentiellement en Lombardie.
Le cas de la Suède est également intéressant, puisque lors de la première vague, le pays scandinave a misé sur une politique visant à laisser le virus circuler. “On voit bien sur le graphique que leur excès de mortalité a grimpé progressivement, jusqu’à se situer environ 80 % plus haut que la France”, souligne le chercheur de l’Institut Pasteur. Fin 2020, le roi de Suède et le Premier ministre se sont officiellement excusés et les autorités ont complètement changé de politique, imitant la Norvège et le Danemark avec, cette fois-ci, un grand succès. “L’idée d’aplanir la courbe en laissant circuler le virus afin de ne pas avoir d’effet rebond tout en protégeant les personnes âgées pouvait s’entendre à l’époque, mais dans la pratique, cela n’a pas du tout fonctionné et ils ont été contraints de prendre des mesures plus fortes”, analyse le chercheur français.
Des mesures précoces ne tuent pas l’économie
Les auteurs de l’étude ont également analysé les conséquences économiques des mesures mises en place. Lors de la pandémie, de nombreux politiques, à l’image de Boris Johnson au Royaume-Uni ou de Donald Trump aux Etats-Unis, ont prétendu que la mise en place de mesures fortes allait tuer l’économie de leur pays. “Cette fois encore, nous avons comparé les admissions hospitalières au moment où les décisions ont été appliquées et la baisse du PIB en 2020″, détaille le Pr. Fontanet. La tendance observée est que les pays qui ont confiné le plus tard ont eu la plus forte baisse du PIB. L’Angleterre est, par exemple, à moins 10 %”. Les pays qui se sont retrouvés avec des hôpitaux saturés, comme l’Italie, l’Espagne – et l’Angleterre – sont ceux qui ont subi la plus forte dégradation de leur économie. Le deuxième message de cette étude est donc qu’en plus de sauver plus de personnes, la mise en place précoce de mesures permet de préserver l’économie”.
Les auteurs reconnaissent volontiers les limites de leur étude. Ainsi, des facteurs externes – comme le Brexit au Royaume-Uni – ne sont pas pris en compte. “En revanche, il est très peu probable que la mise en place de mesures tardives puisse aboutir à une préservation du PIB, pointe le Pr. Fontanet. Nous n’avons donc, a minima, aucun argument pour affirmer que prendre des décisions précoces tue l’économie, et nous avons plutôt envie de penser le contraire”. Les auteurs ont également mesuré l’impact de la confiance des populations dans leurs gouvernements. Sans surprise, ils constatent que plus les populations avaient confiance, plus elles ont suivi les mesures et plus ces dernières ont été efficaces.
“Ce que nous montrons dans notre étude n’a rien de révolutionnaire, c’est même évident, mais il était important de documenter avec des données solides ce caractère évident, souligne le Pr. Fontanet. Et si nous subissons une nouvelle pandémie – j’espère que ce ne sera pas H5N1 – il faut savoir quelles sont les stratégies les plus efficaces : anticiper une mise sous tension des hôpitaux et prendre des mesures avant que cela soit le cas”. L’autre avantage d’agir rapidement est d’adapter la réponse plus facilement, en les adoucissant si la situation s’améliore ou en les durcissant si elle se dégrade. Les auteurs rappellent donc l’importance des outils de surveillance, comme le suivi des hospitalisations et l’analyse des eaux usées. Reste à savoir si les populations seraient prêtes à se confronter nouveau à des sacrifices comme des confinements stricts. “Il s’agit d’un point d’inquiétude”, reconnaît le Pr. Fontanet. Mais les solutions, elles, sont désormais connues et documentées.
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