Huit ans ont passé… Le 20 janvier 2017, Sebastian Gorka figure parmi les invités à l’investiture de Donald Trump, dans le froid hivernal de Washington. On le remarque facilement : enfant d’immigrés hongrois élevé à Londres, ce pilier du mouvement MAGA arrivé aux États-Unis en 2008 porte un gilet traditionnel magyar agrémenté d’une médaille. Pas n’importe laquelle ! Il s’agit de l’ordre de Vitéz, fondé par Miklos Horthy, le dirigeant nationaliste et antisémite hongrois de l’Entre-deux-guerres, qui collabora avec le IIIe Reich.
Quelques jours plus tard, Sebastian Gorka, protégé de Steve Bannon, devient l’un des conseillers adjoints du président Donald Trump, sous la houlette de Bannon et de Jared Kushner, le gendre du président. Mais au bout de sept mois, John Kelly, le chef de cabinet de Donald Trump, congédie le personnage, connu pour ses diatribes anti-islam et ses erreurs de jugements. Peu avant l’attaque à la voiture-bélier de Charlottesville (Virginie), perpétrée par un suprémaciste blanc, Gorka estime par exemple que l’extrême droite “ne représente pas une sérieuse menace” aux États-Unis.
Sept ans après son éviction, revoici donc Sebastian Gorka ! Sorti par la porte, il revient par la fenêtre. Nommé conseiller adjoint à la Sécurité nationale et directeur senior de la lutte antiterroriste à la Maison-Blanche, il occupera un poste élevé dans la nouvelle administration Trump. Ce qui n’est pas du goût de tout le monde. Son retour à Washington ulcère l’ancien conseiller sécurité nationale de Trump John Bolton, pour qui Sebastian Gorka est un “escroc”. Ce dernier a vraiment bâti sa réputation à partir de 2019, à coups d’éditos pour le média de l’alt-right Breitbart News (créé par Steve Bannon) et d’interventions sur Fox News. Auteur d’un best-seller sur le djihad, il a aussi créé son propre podcast, “America First With Sebastian Gorka”. Son fonds de commerce ? L’exaltation de Donald Trump, des valeurs traditionnelles, de la “guerre culturelle contre la gauche” et du politiquement incorrect.
“Vladimir Poutine ? Un officier sanguinaire !”
Mais avant Sebastian l’Américain, il y a eu “Sebestyén” le Hongrois. En 1992, ce jeune diplômé de philosophie et de théologie né au Royaume-Uni arrive à Budapest d’où son père, un ex-prisonnier politique, a fui pendant la révolte antisoviétique de 1956. Sebastian Gorka travaille au ministère de la Défense en étudiant les relations internationales et la diplomatie. Plus tard, il contribue à la création d’un think tank et aux préparatifs de l’adhésion hongroise à l’Otan. Après le 11 Septembre, Gorka s’impose comme expert en politique de sécurité dans la presse magyare.
Mais à l’inverse de Donald Trump, de Rod Dreher, essayiste républicain établi en Hongrie, ou de l’ancienne star de Fox News Tucker Carlson, Sebastian Gorka n’est pas un grand fan de Viktor Orban. Au milieu des années 2000, il multiplie au contraire les critiques vis-à-vis du Premier ministre. Après la défaite d’Orban aux législatives de 2006, il dénonce l’anti-américanisme et le manque de démocratie dans le camp du Premier ministre puis se présente aux municipales dans une ville proche de Budapest. Avant son départ aux États-Unis, il lance même un petit parti anti-Orban vite tombé dans l’oubli.
Il critique aussi la Chine
Viktor Orban, qui se flatte d’être le dirigeant européen le plus proche de Donald Trump, doit donc composer avec un détracteur installé au cœur de la future administration américaine. En août 2023, Sebastian Gorka a même réitéré son discours anti-Orban auprès du site hongrois Válasz Online. Il juge son parti, le Fidesz, “aussi corrompu” que le parti unique à l’époque du communisme magyar et espère que les conservateurs américains “prendront conscience de la vraie nature du Fidesz”. Dans la même interview, il compare Vladimir Poutine à “un officier sanguinaire du KGB” et prône le soutien armé à l’Ukraine. Pas vraiment raccord avec les positions d’Orban, qui courtise le Kremlin et s’efforce de bloquer l’aide militaire européenne à destination de Kiev.
“Sebastian Gorka étant un vrai conservateur anticommuniste, pas un fake comme Viktor Orban, il s’opposera probablement à une politique prorusse et surtout trop prochinoise de Viktor Orban”, analyse le politologue Péter Techet. Quand il vivait en Hongrie, il était plus proche de la droite anti-orbanienne que du Fidesz. Par ailleurs, Gorka n’a jamais participé aux divers forums de coopération orbáno-trumpienne, comme la version européenne du CPAC [NDLR : le grand forum des conservateurs américains] organisé à Budapest.”
Le franc-tireur Gorka n’a sans doute pas apprécié la “mission de paix” d’Orban à Moscou et Pékin, en juillet, qui a entaché le début de l’actuelle présidence hongroise du Conseil européen. Pas sûr non plus qu’il applaudisse à la confiscation de l’économie par les proches du Premier ministre, parmi lesquels l’oligarque Lorinc Meszaros, l’ami d’enfance d’Orban. L’implantation en Hongrie d’usines chinoises comme BYD, le Tesla de l’Empire du Milieu, ou CATL, le n° 1 mondial des batteries électriques, qui démarreront leurs activités en 2025, n’est pas davantage sa tasse de thé.
Sebastian Gorka peut-il perturber la “bromance” entre Viktor Orban et Donald Trump ? Ou, au contraire, ravalera-t-il ses critiques au nom de l’alliance anti-woke du Danube au Potomac ? Autre question : snobera-t-il ou non “Viktor” lorsque le modèle européen de Trump reviendra à la Maison-Blanche, où il a déjà été reçu en 2019 ? “Le plus important, c’est que Gorka ait des racines hongroises. Les divergences ayant pu exister entre le gouvernement et lui sont secondaires”, minimise l’exécutif magyar, interrogé par la presse hongroise sur la nomination de Sebastian Gorka.
“Sebastian Gorka aura des alliés au Congrès et parmi les républicains qui critiquent le régime Orban en raison de sa forte dépendance à la Chine, affirme Daniel Hegedus, politologue au German Marshall Fund. Mais en tant que conseiller politique de sécurité et antiterrorisme de la Maison-Blanche, a Hongrie a peu de chances de se retrouver au cœur de son travail, sauf si la politique de Budapest vis-à-vis de la Russie ou de la Chine heurte frontalement les intérêts de Washington.” Seule certitude : d’une manière ou d’une autre, la Hongrie aura ses entrées à la Maison-Blanche.
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