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Abandon du musée-mémorial du terrorisme : “Emmanuel Macron ne peut pas se réfugier dans le silence”


Incompréhension sur les raisons de cette décision, exaspération sur la forme choisie pour la rendre publique. Arthur Dénouveaux, rescapé du Bataclan et président de Life For Paris, reste stupéfait par l’annonce, le 10 décembre, de l’abandon, par le gouvernement, du projet du musée-mémorial du terrorisme dans sa forme initiale. Membre de l’Observatoire d’orientation au titre de son association réunissant des victimes et des familles de victimes des attentats du 13 novembre 2015, il demande des explications à Emmanuel Macron, à l’origine de ce projet de musée qui devait ouvrir en 2027 à Suresnes, dans les Hauts-de-Seine.

L’Express : Que vous inspire l’abandon du projet de musée-mémorial du terrorisme auquel votre association et vous étiez associés ?

Arthur Dénouveaux : Je différencie l’abandon lui-même de la manière dont le projet est abandonné. Commençons par l’abandon qui, pour moi, est relativement incompréhensible. C’est un projet qui est en discussion et travaillé depuis des années, qui a fait intervenir beaucoup de monde, des chercheurs, des gens au niveau de l’Etat mais aussi la société civile, au travers des associations de victimes, des philosophes, des penseurs. Et tout le monde s’accordait à dire qu’il avait un sens, qu’il y avait une place à la création d’un musée comme celui-là. Il y avait une ambition, certes, énorme, mais qui pouvait rejoindre ce qui se faisait ailleurs dans le monde, au mémorial du 11-Septembre, à Utoya en Norvège.

D’un point de vue intellectuel, ce projet semblait être une nécessité. Il semblait pouvoir irriguer une réflexion française sur le terrorisme, sur la manière dont une société réagit au terrorisme. Il n’y a aucun élément nouveau qui viendrait contredire cette vision-là. La première réaction, c’est la stupeur : pourquoi est-ce qu’on arrête quelque chose dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle est utile ? A cette question vient s’ajouter la méthode. Sous un prétexte budgétaire qui, honnêtement, semble être bien fallacieux, personne ne vient nous expliquer pourquoi le projet a perdu de son sens ou nous dire qu’on va faire quelque chose de différent. C’est, je pense, un des rares, si ce n’est le seul, projet présidentiel abandonné en rase campagne sans une explication.

C’est particulièrement indélicat à l’égard des victimes ?

Nous, à Life for Paris, notre intérêt dans le projet ne se concentrait pas sur la partie mémorial. Nous sommes une association de victimes du 13-Novembre et nous aurons déjà un jardin mémorial conçu avec la mairie de Paris. En revanche, l’aspect compréhension du phénomène terroriste – ce que le terrorisme fait à nos sociétés, à notre droit… – nous intéressait beaucoup. Nous sommes partenaires de programmes de recherche et nous voyions le musée comme une extension de cette activité. Nous avions aussi, en tant que victimes, à cœur que la mémoire soit portée par des institutions pérennes ayant des liens avec l’Education nationale. Et comme notre association a pour projet de se dissoudre et d’arrêter d’avoir une parole publique aussi forte, on était également contents qu’une institution publique puisse servir de porte-voix du 13-Novembre sur le temps long. La déception est à la hauteur de cela. Elle est aussi pratico-pratique : l’association ou un certain nombre de ses adhérents avaient déjà fait des dons au musée pour ses collections permanentes. C’était un projet concret que nous touchions du doigt, nous avons chez nous des attestations de dépôt et là, nous avons l’impression qu’on nous a enlevé le tapis de sous les pieds.

Avez-vous l’impression d’un mépris pour vous ?

Nous avons tellement peu d’éléments sur les raisons profondes de cet arrêt que parler de mépris, ça reviendrait à spéculer et je ne le souhaite pas. Mais il y a vraiment un mépris sur la forme. Ce musée était évidemment un projet porté par une équipe salariée, mais y étaient associés beaucoup d’acteurs de la société civile, notamment les associations, et il aurait été de bon aloi que nous soyons, nous aussi, informés de cette décision. Que les représentants des associations ne l’apprennent pas de manière officieuse ou dans la presse. Nous avons vraiment l’impression que, quand il s’agit de chercher une validation, de chercher la force de l’émotion, les responsables politiques sont très contents de trouver les associations. Mais quand il s’agit de parler et d’annoncer des décisions difficiles, là, effectivement, personne n’a le courage de venir nous voir.

Que pensez-vous des pistes de repli envisagées, comme l’usage du jardin de mémoire à Paris pour la partie mémorial ?

Cette solution-là est inacceptable. Avec une autre association, qui s’appelle 13Onze15 fraternité et vérité, nous travaillons depuis des années à la création de ce jardin avec la mairie de Paris. On a réussi à aboutir à un projet magnifique qui a été le fruit d’un travail et d’un consensus pas du tout évident entre toutes les typologies de victimes, entre tous les lieux… Dans le jardin, il y a les noms de toutes les victimes du 13-Novembre. Il y a des lumières qui reprennent la voûte céleste du soir du 13 novembre. On en a fait un projet qui a du sens pour célébrer la mémoire du 13-Novembre. Rien d’autre. Ça n’aurait aucun sens de le dénaturer en y rajoutant quelque chose. Et ce serait insultant pour les victimes de tous les autres attentats, à qui on dirait finalement, rangez-vous derrière la bannière d’un lieu qui a été pensé spécifiquement pour le 13-Novembre. Et comme on comprend que c’est plutôt le ministère de la Culture qui a proposé cette solution, on ne peut pas s’empêcher de penser que, peut-être, il y a derrière un agenda parisiano-parisien de la part de la ministre démissionnaire. Cette solution-là est à écarter et nous la refuserons catégoriquement.

Pour le musée, on évoque des expositions temporaires…

Là, on nous dit que l’Etat continuerait à financer une sorte de mission de préfiguration permanente, sans lieu fixe, comme s’il y avait une collection de la mémoire du terrorisme qui puisse être utilisée ou exposée de temps à autre. Ca ne répond pas aux objectifs qui étaient fixés initialement, il y a besoin d’un lieu. La vraie question est : est-ce qu’il y a une autre instance qui pourrait proposer quelque chose ? Est-ce qu’il y a des collectivités locales qui pourraient offrir un lieu capable d’héberger le site ? Il y a malheureusement dans l’histoire récente du terrorisme plusieurs grandes villes françaises qui ont été frappés très durement et qui avaient, à une époque, exprimé un intérêt pour recevoir ce musée. Et toutes les associations de victimes vous le diront : les meilleurs partenaires qu’on a, ce sont les villes et les institutions locales. Beaucoup plus que l’Etat, qui a souvent eu du mal à tenir ses promesses. Donc, on va voir s’il y a une municipalité qui essaie de reprendre le flambeau. Je pense à Paris, Nice ou Strasbourg, mais ce peut être Carcassonne ou Trèbes. Tout est ouvert. Il faut que ça fasse sens : l’idée, c’est d’avoir un musée qui soit visitable par le plus grand nombre de gens et donc qui soit dans un endroit très accessible.

L’abandon a été annoncé par Matignon. Espérez-vous un signe de l’Elysée ?

C’est un projet porté, endossé et rappelé par Emmanuel Macron constamment au cours des cinq dernières années. Il n’est pas possible qu’un projet présidentiel de cette envergure et avec ce retentissement médiatique soit biffé d’un trait de plume derrière une contrainte budgétaire d’un gouvernement démissionnaire. Surtout que c’est en plein choc avec l’actualité. Vous avez le procès Paty qui est en cours. Vous avez les commémorations de Strasbourg qui arrivent cette semaine. Vous avez le début des commémorations des dix ans de la vague d’attentats de 2015 et 2016. Vous avez des questions autour des djihadistes qui prennent le contrôle en Syrie. Le terrorisme est au cœur de l’actualité. Que ce soit sous le prisme de l’éducation, sous le prisme de la géopolitique, sous le prisme de la mémoire. Et on abandonnerait le projet phare des deux mandatures d’Emmanuel Macron sur le sujet ? Ça ne peut pas se faire sans une séance d’explication, sans que le président lui-même réponde aux questions que cet abandon soulève. L’Elysée ne peut pas se réfugier dans le silence.




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