Le bilan est aussi incertain que cauchemardesque. “Certainement plusieurs centaines de morts”, voire peut-être “quelques milliers” selon les déclarations du préfet François-Xavier Bieuville à la chaîne Mayotte la 1re ce dimanche 15 décembre. La veille, le passage du cyclone Chido a ravagé Mayotte, laissant des paysages de désolation sur son passage : hôpital inondé, toits arrachés, bidonvilles rayés de la carte… La situation est si grave que le bilan serait “impossible à dresser”, a indiqué au Monde le ministre démissionnaire des Outre-mer, François-Noël Buffet : “Les dégâts matériels extrêmement importants se chiffreront probablement en milliards d’euros.”
Environ 100 000 personnes, au bas mot, n’auraient aujourd’hui ni toit ni eau. Le 101e département, le plus pauvre de France, déjà fragilisé par des crises sanitaires, sociales et sécuritaires sans fin, est plus fragilisé que jamais. La priorité est désormais donnée à l’arrivée, difficile, des secours. Mobilisés depuis La Réunion, les premiers renforts sont en train d’arriver sur le territoire. François-Noël Buffet et son homologue démissionnaire de l’Intérieur, Bruno Retailleau, ont atterri à bord d’un A400M ce lundi matin à Mayotte. “La réaction de l’Etat a été anticipée, avec une première réunion de la cellule interministérielle de crise la semaine dernière qui a permis de prépositionner des moyens de secours, a assuré François-Noël Buffet au quotidien du soir. Mais honnêtement, personne ne pouvait prévoir la force et la trajectoire exceptionnelle du cyclone, qui est redescendu du Nord pour passer en plein milieu de l’île.” Il a appelé de ses vœux une “réponse interministérielle, du même type que celle apportée après le cyclone Irma”, qui avait lourdement pesé sur Saint-Martin, dans les Caraïbes. Le général (2S) Jean-Marc Descoux, responsable de la manœuvre opérationnelle de la gendarmerie en réponse à l’ouragan Irma en 2017, chargé de mettre en application les mesures prévues dans le “plan cyclone”, nous explique si ces dernières peuvent être applicables à Mayotte.
L’Express : L’ampleur des destructions à Mayotte est colossale. Une catastrophe naturelle de cette ampleur était-elle prévisible ?
Jean-Marc Descoux : Ce type de catastrophe l’est malheureusement dans les territoires d’Outre-mer. Ceux de la zone tropicale, notamment, sont confrontés à un risque parfaitement identifié. Il l’est tellement qu’il fait l’objet de plans et de préparation. L’Etat ne découvre évidemment pas que la Réunion, Mayotte, les Antilles, la Nouvelle-Calédonie peuvent subir des cyclones. Déjà prises en compte par le passé, ces hypothèses le sont davantage avec le dérèglement climatique, qui les rend encore plus susceptibles de se reproduire. Les services de l’Etat s’y préparent, notamment au travers de plans et d’exercices, qui sont réalisés localement pour éprouver les dispositifs.
Mais le problème est qu’un cyclone se prévoit difficilement à long terme : quatre jours environ s’écoulent entre le moment où il est détecté et celui où il frappe, avec une véritable incertitude sur sa trajectoire, jusqu’à quarante-huit heures avant les événements. Il est très difficile de le prévoir. Plus vous êtes éloigné, isolé, plus il est difficile de s’y préparer. La puissance publique a deux choix. Premier cas : elle peut choisir de prépositionner des moyens sur place pour être capable de réagir juste après l’événement. Il y a un inconvénient : que les moyens présents soit directement éprouvés par les intempéries, en ayant à la fois des pertes de matériels et de personnes. La deuxième possibilité, et la plus raisonnable à mon sens, est celle qui avait été prescrite en 2017 : des personnels et du matériel avaient été placés à proximité – mais pas sur le passage du cyclone –, que l’on projette ensuite sur le lieu de la catastrophe. C’est ce qui, dans le cas de Mayotte, a été fait depuis La Réunion.
La situation en cours à Mayotte est-elle similaire à celle qu’ont connue les Caraïbes après le passage d’Irma en 2017 ?
Les facteurs d’adversité sont beaucoup plus importants à Mayotte qu’à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin. D’abord parce que le volume de population à soutenir est énorme. Il est beaucoup plus important que celui auquel nous avions été confrontés pour Irma. Ensuite, Mayotte est confrontée à un problème d’éloignement plus conséquent. Elle est beaucoup plus éloignée de la plateforme de rotation, La Réunion – le hub qui va permettre de fournir le nécessaire au territoire touché –, que Saint-Martin et Saint-Barthélemy ne l’étaient de la Guadeloupe : 1 400 kilomètres de distance pour l’un, 250 kilomètres pour les deux autres.
A Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, la population a respecté les consignes de confinement. On a eu des pillages au moment du passage de l’œil du cyclone, l’accalmie – il y avait déjà eu des dégradations sur les commerces – et après le passage du cyclone. Mais ces événements étaient limités. A Mayotte, à l’heure actuelle, la population erre, car ses habitations ont pour beaucoup été détruites. On pourrait parler de risques de pillages – il serait sans doute plus à-propos de souligner qu’il s’agit en général de personnes qui tentent de récupérer de quoi vivre après une catastrophe.
Quel est le rôle de la gendarmerie dans cette crise ?
La gendarmerie a sa mission propre : assurer l’ordre public, dissuader, interpeller les criminels et les traduire devant la justice. Mais dans ce type de crise, son premier but est de faire du renseignement. Ses agents vont évaluer l’ampleur des dégâts, identifier les besoins de la population, l’état des services publics. Quels sont ceux qui continuent de fonctionner, même en mode dégradé ? Les gendarmes doivent remonter ces éléments afin que l’autorité administrative puisse coordonner l’ensemble des moyens de l’Etat et des collectivités territoriales. Sa mission : soutenir les ponts aériens mis en place en évitant le chaos.
Le retour d’expérience d’Irma, posté sur le site de la gendarmerie, relève le danger que les rumeurs et la désinformation posent dans ce type de situation. Quels ont été les problèmes que vous avez rencontrés en la matière ?
Après l’ouragan Irma, un important volume de fausses informations a circulé, d’abord sur le nombre de victimes. La partie hollandaise de l’île, qui accueille une maison d’arrêt, a aussi été l’objet de rumeurs, selon lesquelles plusieurs centaines de prisonniers s’étaient évadées. La santé était victime de toutes les spéculations : on prétendait qu’une rupture de médicaments vitaux était en cours, ce qui pouvait entraîner une affluence, voire des pillages de pharmacie. La désinformation se concentre autour d’éléments particulièrement anxiogènes car ils sont liés à la survie : l’accès à l’eau potable, aux médicaments, à l’alimentation. Il faut organiser des points de distribution, les garder pour éviter qu’il y ait des troubles de l’ordre public, et communiquer sur la réalité pour évacuer les rumeurs.
Ensuite, il faut centraliser l’information, localement, par un service dédié à la préfecture qui va collecter toutes les données de tous les services. Ce service doit être capable de donner à la fois vers la population, mais aussi vers les médias, tous les éléments sur les évolutions de la situation. Ensuite, il faut rétablir assez vite des moyens de communication. Un manque d’information laisse libre cours à toutes les interprétations. Il y aura probablement à Mayotte des rumeurs sur les stocks de produits alimentaires, sur ceux des médicaments… Sans communication, ces rumeurs vont prospérer. Le meilleur moyen d’éviter une telle panique est donc d’organiser une cellule dédiée, qui fait des points de situation réguliers à la fois vers la population, et vers les médias.
Mais ces deux conditions vont très vite se heurter à des difficultés à Mayotte. Plus on est éloigné, plus il est difficile d’assurer la permanence d’une logistique opérationnelle. Il va falloir très vite créer un pont aérien afin de soutenir la population dans tous les domaines, puis permettre la reconstruction. La question des différents réseaux et infrastructures va là encore poser des difficultés : sans rétablissement rapide, impossible de communiquer avec la population. Les gens ont besoin d’électricité pour recharger leurs appareils, mais aussi de la radio, des réseaux pour que fonctionne la téléphonie… Il s’agit là d’une mission prioritaire. Elle implique de coordonner l’ensemble des opérateurs car malheureusement, quand une population est traumatisée, tous les chantiers deviennent des objectifs de pillages – pensez aux groupes électrogènes pour subvenir aux besoins en électricité, par exemple. Il faut donc regrouper ces besoins et revenir à la normale, quartier par quartier, en traitant en priorité les zones les plus peuplées.
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