Cette histoire qui mêle la Chine et la famille royale britannique pourrait être le scénario d’une série d’espionnage rocambolesque. Elle est pourtant bien réelle, et met en jeu d’importants intérêts économiques et de sécurité nationale. Depuis quelques jours se déploie publiquement au sein du Parlement britannique une affaire jusqu’ici restée partiellement secrète, qui envenime depuis 2023 les relations diplomatiques chaotiques entre le Royaume-Uni et la Chine : l’affaire de l’espion “H6”.
En février 2023, un homme d’affaires chinois est interdit d’entrée puis banni du territoire britannique pour des raisons de sécurité nationale. Nommé “H6” dans les documents judiciaires consultables (son identité est protégée par la loi britannique), l’homme de 50 ans est soupçonné d’être un espion chinois. H6 a pourtant entretenu durant plusieurs années des liens étroits avec le prince Andrew d’Angleterre, deuxième fils de feu la reine Elisabeth. Il aurait été l’un des “confidents” du duc de York jusqu’à être banni.
L’homme avait depuis fait appel de l’interdiction d’entrée sur le territoire devant la Commission spéciale d’appel de l’immigration (SIAC). Mais la cour a validé sa décision ce jeudi, révélant dans sa décision de justice la relation de l’homme avec le prince Andrew. Selon l’institution, des documents ont été découverts sur ses appareils personnels durant l’enquête, et notamment des correspondances avec l’un des conseillers du prince Andrew ainsi que de la correspondance avec le département du travail du Front Uni de Pékin, une branche de l’Etat chinois.
Agir au nom du prince en Chine
“Vous ne devriez jamais sous-estimer la force de cette relation. En dehors de ses confidents internes les plus proches, vous êtes assis au sommet d’un arbre sur lequel beaucoup, beaucoup de gens aimeraient être”, assure ainsi le conseiller d’Andrew dans une lettre de 2020, publiée dans le cadre de la décision du SIAC et consultée par Euronews. “Sous vos conseils, nous avons trouvé un moyen de faire entrer et sortir inaperçues les personnes concernées de la maison à Windsor”, affirme le conseiller dans la lettre à H6, qui venait d’être invité à la fête d’anniversaire du prince. Une autre lettre l’autorise à agir en au nom du prince dans le cadre d’une initiative financière internationale avec des partenaires et des investisseurs potentiels en Chine. Un autre document daté du 24 août 2021 affirme que la famille royale était dans une “situation désespérée et s’accrochera à n’importe quoi”.
Dans leur décision finale, les juges du SIAC ont conclu que H6 aurait pu utiliser son influence sur le duc d’York pour une ingérence politique. Dans le jugement rendu ce mois-ci, le juge conclut ainsi que H6 avait “gagné un degré important, on pourrait dire un degré inhabituel, de confiance d’un membre de haut rang de la famille royale qui était prêt à se lancer dans des activités commerciales avec lui”, détaille le quotidien britannique The Guardian. Buckingham Palace a refusé de commenter l’affaire, notant que le prince n’était plus un membre de la famille royale en activité, ses patronages et liens militaires ayant été coupés en 2022. En retrait de la famille royale pour sa proximité avec le défunt criminel sexuel Jeffrey Epstein, le duc d’York fait une nouvelle fois la une des tabloïds à scandale depuis quelques jours.
“Ce n’est que la pointe de l’iceberg” de l’espionnage chinois
Interrogé sur la radio BBC 4, le député conservateur Iain Duncan Smith a estimé vendredi 13 décembre que cette affaire n’était que “la partie émergée de l’iceberg”. Selon cette personnalité critique vis-à-vis de la Chine, le département du travail du Front Uni de Pékin, chargé d’établir des liens avec des personnalités influentes aux quatre coins du monde, a à sa solde plus de 40 000 agents dans le monde. “Le fait est qu’il y a beaucoup d’autres personnes comme lui au Royaume-Uni et le fait qu’il ait quitté le Royaume-Uni montre qu’il s’est rendu compte qu’à un moment ou à un autre, il allait se faire prendre”, a-t-il encore jugé. Pour M. Duncan Smith, “la réalité est très simple : la Chine représente une menace très claire”. Il a également indiqué son souhait de poser une question “urgente” au Parlement sur le sujet.
Interrogé sur l’Affaire lundi dernier, le Premier ministre travailliste Keir Starmer a dit le gouvernement “inquiet” des “défis posés par la Chine”. Il a pourtant récemment appelé à une coopération commerciale plus forte entre le Royaume-Uni et la Chine. Il s’est entretenu avec le président Xi Jinping lors du sommet du G20 le mois dernier, ce qui fait de lui le premier Premier ministre britannique depuis 2018 à rencontrer Xi en personne. Depuis son arrivée au pouvoir en juillet, le gouvernement de Keir Starmer a accéléré un dégel diplomatique avec la Chine, après des années de tensions liées à la situation à Hong Kong notamment. Le dirigeant travailliste a toutefois refusé de commenter l’affaire des soupçons d’espionnage visant un proche du prince Andrew.
Les ministres du Parti travailliste subissent actuellement des pressions pour fixer un calendrier pour relancer le “système d’enregistrement de l’influence étrangère”, le FIRS (un système de sécurité nationale qui exige l’enregistrement de toute personne ou organisation venue au Royaume Uni pour le compte d’un gouvernement étranger), qui avait été retardé jusqu’à l’année prochaine, et pour mettre la Chine dans la catégorie “renforcée” des menaces, ce qui déclencherait une surveillance accrue de ses représentants sur le territoire.
Le malaise continue de grandir au sein du Parlement concernant l’approche du gouvernement à l’égard de la Chine. “Cinq nouveaux députés travaillistes ont rejoint le groupe sceptique vis-à-vis de la Chine – l’Alliance interparlementaire sur la Chine”, affirme le Guardian. Face à ce qui est considéré comme l’opposition comme une mollesse face à la Chine, et par une absence de mesures qui pourrait mettre en danger la sécurité nationale du Royaume-Uni, le chef du parti d’extrême droite Nigel Farage a récemment menacé de révéler l’identité de H6 en vertu d’un privilège accordé aux députés.
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