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Cannabis, cocaïne concentrée… Ces nouvelles tendances du marché de la drogue pointées dans un rapport

Explosion du taux de THC dans le cannabis, multiplication des drogues de synthèse et en particulier des opioïdes et cannabinoïdes, cocaïne de plus en plus concentrée… Une enquête de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), publiée ce mardi 17 décembre, révèle les nouvelles tendances – et dangers – du marché de la drogue en France. Ce rapport se base sur le Système d’identification national des toxiques et des substances (Sintes), un dispositif d’observation de la composition des produits psychoactifs illicites coordonné par l’OFDT, qui s’appuie sur la récolte de 731 échantillons de produits psychoactifs en 2023.

Ce rapport, riche en informations et données nouvelles, est destiné aux politiques et aux acteurs de la santé mais aussi aux consommateurs de drogues et au grand public. Il détaille notamment les teneurs moyennes et médianes en substance active des différents produits récoltés par le dispositif Sintes. Les échantillons sont cédés par des consommateurs – à la suite d’effets indésirables par exemple – à l’une des 16 coordinations locales en métropole et dans les territoires ultramarins, ainsi qu’à la coordination portée par le forum Psychoactif.org. Ils sont ensuite analysés dans des laboratoires, souvent grâce à des technologies de pointe : chromatographie sur couche mince, chromatographie gazeuse ou liquide à haute pression et spectrométrie de masse. Les analyses sont donc extrêmement fiables et précises.

Avec 731 échantillons seulement, l’OFDT prévient toutefois que ces chiffres sont indicatifs et non pas représentatifs des teneurs moyennes des produits circulant sur tout le territoire français. Néanmoins, ils permettent de détecter des signaux faibles et des tendances nouvelles. “L’ADN de Sintes est d’identifier les phénomènes émergents afin de participer à la veille sanitaire et lancer des alertes si besoin”, explique Sabrina Cherki, toxicologue à l’OFDT, coordinatrice nationale de Sintes et principal auteur de l’enquête.

La cocaïne de plus en plus concentrée

La cocaïne demeure le produit le plus fréquemment collecté par le dispositif Sintes, ce qui confirme de l’importance de l’offre – et de la consommation – de cette drogue. Les analyses des 131 échantillons confirment une évolution à la hausse des teneurs en substance active. Ainsi 44 % étaient purs, 15 % présentaient simplement quelques impuretés résiduelles de transformation et 26 % des échantillons contenant au moins un “agent adultérant”, le plus souvent du lévamisole, un antiparasitaire utilisé en médecine vétérinaire.

“Année après année, nous observons dans nos collectes une augmentation régulière des teneurs en cocaïne, donc à une diminution des coupes, précise Sabrina Cherki. C’est un phénomène qui se confirme, avec toujours le même risque de surdosage, quand les consommateurs continuent de prendre les mêmes doses alors que le produit est plus fort”. La cocaïne rose, qui avait fait l’objet d’alertes en 2022 et 2023 et qui, contrairement à ce que son nom suggère, contient un mélange de kétamine et de MDMA, a en revanche été très peu collectée en 2023. Un potentiel signe que le produit n’a finalement pas rencontré son public.

L’augmentation du taux de THC inquiète

Les nouveautés du rapport se situent plutôt du côté du cannabis, avec l’apparition de nouveaux produits aux teneurs en THC – ou en THC de synthèse – très élevées. “Une huile de cannabis a pu ainsi être collectée en 2023 et dosée à 78 % de delta-9-THC. Ces formes, résineuses et huileuses, pourraient également être incorporées à d’autres produits, tels que des herbes de CBD ou des produits alimentaires”, indique le rapport. “Nous nous inquiétons notamment des produits comestibles, souligne Sabrina Cherki. Il y a toujours les space cookies, mais aussi les bonbons ou gummies, une tendance importée des Etats-Unis, qui peuvent séduire un jeune public et sont plus difficiles à analyser en raison de leur forme et leur composition”.

L’OFDT indique que les consommateurs sont venus faire tester leur produit issu du cannabis le plus souvent après la survenue d’effets inattendus et d’évènements indésirables liés à cette très forte teneur en THC. “Des évènements indésirables graves ont conduit à 13 collectes relatives à des intoxications aiguës au cannabis – tachycardie, confusion, nausées, hyperémèse (vomissements), convulsions, hallucinations – à cause de produits très concentrés”, écrivent les auteurs.

Faux fentanyl, vrai opium de synthèse

Surtout, le rapport souligne l’apparition de très nombreux cannabinoïdes de synthèse, comme l’hexahydrocannabinol (HHC), apparu en France en 2022 et classé comme stupéfiant en juin 2023. Nombre d’entre eux sont impliqués dans des cas de tromperies, où ces cannabinoïdes de synthèse sont présentés par les trafiquants comme d’autres substances, comme l’héroïne. L’OFDT alerte aussi sur l’apparition de nouvelles drogues de synthèses imitant les opioïdes. Les nitazènes, classés comme stupéfiants en juillet 2024, ont ainsi été identifiés par Sintes dans neuf collectes en 2023, notamment dans le cadre de deux alertes sanitaires à Montpellier et à La Réunion.

“A Montpellier, il s’agissait de deux produits présentés et vendus comme du fentanyl [NDLR : une drogue particulièrement dangereuse et mortelle très présente aux Etats-Unis], mais qui contenait du métonitazène, un agoniste synthétique opioïde”, explique Sabrina Cherki. Sur l’île de la Réunion, il s’agissait de produits présentés et vendus comme des cannabinoïdes. Fait rassurant, aucune trace de fentanyl n’a pour l’instant été identifiée sur le territoire.

La 3MMC, une drogue de synthèse mise en lumière après l’arrestation de l’acteur et humoriste Pierre Palmade, a été très identifiée en 2023 et principalement remplacée par la 3-CMC, même si de nombreux trafiquants continuent de la vendre sous l’appellation 3MMC. Ces deux molécules font partie des cathinones, des drogues de synthèse stimulantes et entactogènes (qui favorisent le désir de socialisation, l’empathie, l’ouverture émotionnelle et la libido).

Le marché de l’héroïne en mutation

“Il y a également des inquiétudes concernant le marché de l’héroïne, puisque les champs de pavot en Afghanistan, qui produisait 80 % de l’opium mondial [NDLR : la matière première de l’héroïne brune] ont été détruits par les Talibans. Nous n’avons pas observé de différences de concentration en 2023, mais nous estimons que cela aura forcément un impact majeur à un moment”, alerte Sabrina Cherki. Ainsi, sur 101 échantillons d’héroïne supposés collectés en 2023, 87 – soit 86 % – s’avéraient bien contenir de l’héroïne (86 %). L’héroïne brune reste la forme prédominante, avec 80 échantillons, et l’héroïne dite blanche – fabriquée Asie du sud-est à partir de la morphine et dont la teneur en substance active est bien plus élevée – a été collectée sept fois en 2023.

“A ce stade, nous ne pouvons que formuler des hypothèses sur la transformation future du marché, mais on peut redouter le remplacement de l’héroïne par d’autres produits de synthèse que nous ne connaissons pas encore ou assister à l’essor de l’héroïne blanche”. Ce qui risquerait d’accroître encore les problèmes sanitaires. Aujourd’hui, l’héroïne brune est déjà très adultérée en France. Parmi les 87 échantillons analysés comme de l’héroïne par l’OFDT, seuls 3 ne contenaient aucun agent adultérant. La plupart étaient coupés au paracétamol et à la caféine (54 %). En revanche, aucune adultération à la xylazine, un sédatif à usage vétérinaire, au fentanyl ou aux benzodiazépines n’a été mise en évidence par le dispositif Sintes.

De la kétamine à l’hydroxychloroquine

Du côté de la MDAM, les analyses de 2023 confirment des teneurs élevées pour la forme en cristal et une importante variabilité pour la forme comprimée, plus souvent appelée ecstasy. Sur les 26 échantillons de MDMA cristalline, 19 dosages ont pu être effectués. Leur teneur médiane était de 91,5 %, ce qui est similaire aux tendances européennes. Pour les échantillons collectés sous forme de comprimés, il est observé comme les années précédentes une importante variabilité des concentrations, de 9,5 à 52,4 %.

Enfin, la hausse de la consommation de kétamine, mise en lumière dans la dernière enquête Oppidum, un dispositif de surveillance de l’usage de substances psychoactives du Réseau français d’addictovigilance, est confirmée par l’enquête de l’OFDT. Le rapport pointe également “la survenue d’évènements indésirables bénins dans près de la moitié des collectes de kétamine” ainsi que des effets indésirables graves qui ont motivé la collecte de cinq échantillons.

“Parmi ces cinq collectes, deux étaient associés à la toxicité lésionnelle de la kétamine sur le système urinaire. Deux autres collectes étaient associées à la survenue de k-hole, c’est-à-dire l’atteinte d’un état dissociatif, avec une perte de conscience avec amnésie après la prise de doses élevées de kétamine”, écrivent les auteurs, qui relèvent des concentrations très variables. Parmi les 14 échantillons de kétamine dosés en 2023, les teneurs allaient de 2 % à 100 %. La teneur médiane se situe à 51 %. Fait étonnant, certains échantillons étaient coupés avec… de l’hydroxychloroquine. “Ce médicament n’a pas de propriétés psychoactives, ce n’est donc pas une recherche de synergie des effets. Il s’agit d’un signal à très bas bruit, peut-être est-ce la marque d’un autre trafic ? Impossible d’affirmer quoi que ce soit”, avance prudemment Sabrina Cherki.




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