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A Nanterre, une exposition décrypte la place des enfants face à la guerre

“Dans la tourmente, il n’y avait pas d’enfants modèles.” Pour l’historienne Manon Pignot, les mots de Maurice Rajsfus qui, en 1995, racontait dans un livre ses années d’adolescent juif sous l’Occupation, constituent une porte d’entrée percutante à la problématique des plus jeunes face aux conflits. Cette thématique est aujourd’hui au cœur de l’ouvrage Enfants en guerre, guerre à l’enfance (éd. Anamosa) et de l’exposition du même nom présentée à La Contemporaine, le musée-bibliothèque de Nanterre, qui conserve la plus grande collection dédiée aux conflits des XXe et XXIe siècles. Au côté d’Anne Tournieroux, Manon Pignot y interroge les modes de participation et de perception de la guerre par les enfants, de 1914 à nos jours, en juxtaposant deux points de vue, “par le haut” et “à hauteur d’enfant”. Photographies, documents d’archives et productions enfantines (lettres, dessins, journaux intimes, travaux scolaires…) viennent éclairer un propos qui n’est pas dépourvu de paradoxes.

De la propagande à l’instrumentalisation

De tout temps, les enfants ont été confrontés à la guerre. Mais, à partir de la Première Guerre mondiale, la configuration des combats change : des villes peuvent être bombardées sans but militaire précis, les civils, enfants inclus, devenant des cibles à part entière. Autre spécificité du XXe siècle : loin d’être tenues à l’écart, les jeunes générations sont incitées à participer à l’effort de guerre, idéologiquement lorsqu’elles reçoivent et relaient la propagande qui leur est destinée, mais aussi matériellement quand on leur demande, par exemple, de consacrer leur temps libre à des quêtes au profit des soldats.

Il est entouré de pionniers dans le camp d’Artek, Crimée, 1979, photographie diffusée par l’agence de presse Novosti.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les enfants, selon leur pays d’appartenance, sont les enjeux d’un combat pour la liberté ou les destinataires de projets totalitaires, endoctrinement à outrance, culte de la personnalité et militarisation à l’appui. L’école, les jouets, la presse et la littérature jeunesse font alors office de relais. “Jusqu’aux conflits récents, cette mobilisation patriotique intègre systématiquement les enfants comme cibles de ses discours”, souligne Manon Pignot. Les organisations de jeunesse restent également un puissant vecteur d’instrumentalisation que favorise l’extraction de l’adolescent du cadre familial : Balilla italiens, Hitlerjugend germaniques, Komsomol soviétiques et, plus près de nous, Bassidji iraniens ou Lionceaux du Califat, de l’Etat islamique.

Entre souffrance et émancipation

Autre question, cruciale : comment appréhender la souffrance des enfants face à la violence de la guerre ? Au début du XXe siècle, elle n’est considérée que sous l’angle matériel. Les plus jeunes souffrent de la faim, du froid, de douleurs physiques, voire de blessures. Ce n’est que dans les années 1940, tandis que la pédopsychiatrie prend son essor, que l’aspect psychique est pris en compte. Dès la décennie 1950, la figure de l’enfant victime est notamment mise en avant par les organisations humanitaires, jusqu’à uniformiser le statut. Or, pointent les commissaires, “il y a une grande diversité d’expériences enfantines des conflits, selon les classes sociales, la géographie ou le genre”. De fait, les vécus seront très différents si, dans la France de 1942, on vit à la campagne sans les privations alimentaires massives des villes, qu’on est juif et qu’on expérimente la persécution, qu’on subit ou non la perte d’un père ou d’un frère.

Ici, il s’agit autant de montrer les enfants comme des victimes que comme des acteurs à part entière de l’Histoire, car les sources nous le montrent, la guerre peut aussi être pensée en termes d’émancipation, d’opportunités et de capacité d’action. La guerre, un jeu d’enfants ? “Contrairement à une idée reçue encore tenace, la guerre à hauteur d’enfant n’est jamais un jeu, avance Anne Tournieroux. Pour autant, il est possible de jouer, de s’amuser même, dans des conditions parfois extrêmement difficiles.” C’est une particularité propre à l’enfance, cette capacité de pouvoir associer une vulnérabilité accrue du fait du conflit et une autonomisation ludique impensable pour les adultes.

Deux enfants passent devant un char renversé dans un village en ruines, Ammerschwihr (France), 1944-1945, photographie de Thérèse Bonney.
Deux enfants passent devant un char renversé dans un village en ruines, Ammerschwihr (France), 1944-1945, photographie de Thérèse Bonney.

Traumatismes en tous genres

Guerres mondiales, guerres civiles, guerres de décolonisation, génocides… Quels que soient les conflits, nombre de productions enfantines reflètent la violence d’un quotidien fait de bombardements, de flammes, de gravats. D’autres illustrent des formes encore plus terribles de souffrance, comme la perte d’un membre touché par un obus, le viol d’une mère ou d’une sœur.

Les déplacements forcés, consubstantiels aux guerres contemporaines, constituent également un traumatisme important : les marches de la mort de dizaines milliers d’enfants arméniens au mitan des années 1910, ou, plus récemment, les enlèvements par les Russes de petits Ukrainiens, orphelins ou confiés à l’aide sociale à l’enfance, dans le cadre d’une entreprise de russification radicale. Ukraine, Gaza… La question des enfants dans la tourmente des conflits est constamment rattrapée par l’actualité.

Infos pratiques :

Enfants en guerre, guerre à l’enfance ? De 1914 à nos jours, une exposition du 20 novembre 2024 au 15 mars 2025, La Contemporaine, 184 cours Nicole Dreyfus à Nanterre.




Source

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