Qu’elles sont jolies, les femmes du “48”, avec leurs longs manteaux de fourrure, leurs bottines et leurs bijoux. Elles vont et viennent légères comme si rien, ni la grisaille de l’hiver ni la pollution de Paris, n’avait de prise sur elles. Impossible de leur donner un âge, encore moins de le leur demander. Il faut reconnaître que parler des effets du temps à une inconnue dans un café n’est pas la première des choses à faire, surtout lorsque le café en question est entièrement dédié à la beauté.
La boutique a pendant longtemps été unique en son genre. Tout dans ce salon faussement décrépi du IXe arrondissement de Paris tourne autour d’une substance : le collagène. La protéine, présente en grande quantité dans l’organisme, serait, selon la propriétaire Amandine Fournot, la clé de voûte de toute routine esthétique digne de ce nom. En boire permettrait, à l’entendre, d’améliorer l’apparence de la peau, des ongles ou des cheveux, jusqu’à aider à combattre les signes du vieillissement.
Depuis sa création l’an dernier, la boutique a fait des émules. Comme elle, de plus en plus de marques proposent du collagène dans leurs produits. Contrairement aux trouvailles de laboratoires et aux autres “technologies de pointe”, parfois mises en avant par l’industrie cosmétique, le collagène se veut un remède “naturel” aux effets du temps. Dans la peau où il est particulièrement concentré, il structure les tissus, agissant comme une sorte de mastic ou de glu, permettant leur bonne tenue.
A boire, et à manger
Avec l’âge, les cellules censées en produire, les fibroblastes, deviennent moins performantes. La peau devient moins ferme, moins élastique. D’où l’idée, très vite adoptée par les stars du cinéma ou des réseaux sociaux, d’en ajouter un peu partout, pour être sûr de ne pas en manquer. Ce serait le secret de la routine beauté de mannequins comme Kourtney Kardashian, Bella Hadid, des chanteuses comme Rita Ora ou Katy Perry, de l’actrice Jennifer Aniston ou de l’influenceuse française Léna Situations, à en croire les magazines people.
Boissons “augmentées” au collagène, crèmes hydratantes, compléments alimentaires… Portée par cette tendance, l’offre rencontre un succès toujours plus important : en pharmacie, principal lieu où sont distribués les concentrés avec les magasins de cosmétiques, les ventes ont augmenté de 80 % par rapport à 2023, selon des estimations exclusives réalisées par Iqvia Pharmastat, pour L’Express. Rien que dans les officines, le chiffre d’affaires annuel du collagène s’élevait, en octobre 2024 à plus de 43 millions d’euros. Trois fois plus qu’en 2022.
C’est simple : au 48 Collagen Café, tous les smoothies, lattes et autres chaïs vendus sur place en contiennent. Les visiteurs sont accueillis par des dizaines de boîtes de compléments alimentaires et des préparations de toutes sortes, empilées entre les colonnes en marbre de la devanture. Deux jeunes passantes se prennent en photo, juste devant. Elles rient en lisant les tee-shirts vendus à l’entrée. On peut y lire : “Si tu penses que tu manques de collagène, envoie-moi un e-mail.”
En poudre, ou dans la seringue
Dans les années 1990, le collagène s’injectait dans les rides. Désormais, on peut acheter des seaux entiers de poudre pour se “supplémenter”. “On redécouvre un truc de grand-mère”, souligne Catherine Gaucher, du Syndicat national des dermatologues et des vénérologues. Dans son cabinet, elle recommande depuis très longtemps de se faire des bouillons de viande ou de manger du poisson, des plats riches en collagène. “C’est utile pour accompagner la reconstruction de la peau des patientes”, dit-elle.
Veiller à une alimentation sans carences dans le cadre de pathologies de peau est une chose, mais consommer du collagène en grandes quantités pour prévenir les signes de l’âge, en est une autre. Les industriels promettent des effets spectaculaires, ils “comblent les rides, raffermissent la peau”, promettent “+ 25 % de fermeté” ou des effets “dès sept jours”, grâce à ces pilules. Mais leurs études ne sont jamais exploitables sur le plan scientifique, car menées sur trop peu de personnes ou présentant des méthodologies peu fiables.
La très maigre littérature scientifique publiée à ce sujet n’est pas plus éloquente : “Rien ne dit que ces éléments arrivent vraiment dans la peau, et qu’in fine celle-ci soit plus concentrée en collagène”, détaille Isabelle Rousseaux, vice-présidente du Syndicat national des dermatologues et des vénérologues. La question a été abordée à un congrès organisé par la dermatologue, en septembre. Une dizaine d’études ont été passées en revue. Aucune n’a apporté la preuve d’un effet significatif.
Peptides et lampes à Led
Le constat est le même pour le collagène en peptide, des petits morceaux censés passer la paroi de l’estomac. Ou pour les crèmes cosmétiques, très nombreuses à être “augmentées” elles aussi : “Il n’y a pas plus d’intérêt qu’un autre produit hydratant, car le collagène ne pénètre pas la peau, il reste en surface”, explique la Pr Laurence Coiffard, membre du conseil scientifique de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Mieux vaut donc selon elle s’en tenir aux formules de base et cultiver un mode de vie sain.
Sous les néons du “48”, des soins à base de lampe LED sont aussi proposés, pour stimuler la production naturelle de collagène. Les clientes ont un drôle d’air, sous leur masque blanc, deux trous pour les yeux, le visage éclairé en rouge. En fond, des disques électrowave de Sexy Sushi et de La Femme s’enchaînent. On se croirait dans The Substance, palme du meilleur scénario au Festival de Cannes. Le film, aussi esthétique que se veut la boutique, met en scène une Demi Moore survoltée accro à une cure de jouvence de contrebande, le tout sur une bande-son elle aussi électronique.
Au-delà de détendre grâce à un effet chauffant, la promesse est ici aussi d’améliorer l’aspect de la peau. “Il se trouve que les mitochondries, les centrales énergétiques des cellules, sont sensibles aux photons envoyés par la lumière. En ciblant certaines d’entre elles, avec les bons réglages, il est possible d’augmenter la production de collagène”, assure Michèle Pelletier, directrice scientifique de l’entreprise qui la commercialise, Lucibel.le et fondatrice de l’European LED Academy, association qui promeut les thérapies lumineuses.
Des effets prometteurs
Dans The Substance, la peau de Demi Moor nécrose, gonfle et finit par exploser en direct à la télévision. Ici aucun risque : sauf en cas de maladie de peau, l’exposition à cette lumière ne présente pour seul danger que l’ennui. “Ça s’éteint tout seul ?”, s’impatiente une cliente, assise sur une chaise métallique. Durant les douze minutes de la cure, impossible de faire autre chose. Il faut porter des lunettes opaques toute la séance pour protéger les yeux.
L’effet peau neuve n’est pas garanti. “D’autres études sont nécessaires”, prévenait la société américaine de dermatologie en septembre. Mais les éléments s’accumulent : la stimulation dont parlent les industriels a été démontrée en laboratoire. “L’exposition à certaines longueurs d’onde favorise l’activité des fibroblastes qui produisent le collagène. On l’utilise déjà pour accélérer la cicatrisation dans certaines pathologies”, explique Catherine Gaucher.
Des résultats sur une peau malade n’annoncent pas forcément un effet esthétique. Mais contrairement aux autres techniques, les dermatologues sont plutôt enthousiastes : “En soin régulier, cela pourrait ralentir le vieillissement. Mais il n’y a pas de miracle, des peaux qui rajeunissent de vingt ans, cela n’a jamais existé, peu importe la méthode employée”, prévient la dermatologue Catherine Gaucher. Coût de ces maigres espoirs ? 25 euros par séance. A renouveler très régulièrement si l’on veut un effet.
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