C’est une pathologie que l’on pensait éradiquée dans les pays les plus développés. Cette fameuse “maladie des marins”, qui avait ravagé tant d’équipages lors des expéditions maritimes de la Renaissance, dont les cas avaient presque disparu en France et en Europe. Mais le scorbut semble bel et bien connaître une certaine résurgence dans l’Hexagone, en particulier chez les enfants, comme le montre une étude menée par les pédiatres de l’hôpital Robert-Debré, à Paris, publiée début décembre dans la prestigieuse revue britannique The Lancet.
Ces derniers, en collaboration avec l’Inserm et les universités de Paris Cité et de Guyane, ont ainsi étudié l’augmentation des cas de scorbut chez les enfants en France entre janvier 2015 et novembre 2023. Pour cela, ils se sont basés sur le “Programme de médicalisation des systèmes d’information” (PMSI), qui recense toutes les hospitalisations en France chaque année. Et les résultats, bien que loin d’atteindre des chiffres très élevés, restent inquiétants : 888 patients atteints de scorbut ont été détectés sur cette période, avec une moyenne d’âge de 11 ans.
Les causes du scorbut sont connues : une carence extrême et prolongée en vitamine C. Cette substance, que le corps ne produit pas naturellement et qui est indispensable pour le bon fonctionnement de notre corps et de notre système immunitaire, doit donc être trouvée par l’être humain dans son alimentation. On en trouve en grande quantité notamment dans les agrumes, d’autres fruits comme la fraise ou le kiwi, ou encore dans le brocoli, le chou ou encore les pommes de terre. Pour être en risque de contracter le scorbut, les chercheurs rappellent que la quantité de vitamine C consommée doit être particulièrement faible, de l’ordre de moins de 10 mg par jour durant un à trois mois – une orange en contient à elle seule près de 50 mg -. Les conséquences de cette maladie peuvent être des douleurs osseuses intenses, des hémorragies, ou encore une incapacité du corps à cicatriser les plaies. Jusqu’à, dans les cas les plus graves, la chute des dents et l’incapacité de marcher.
Une hausse drastique depuis le Covid
Entre 2015 et 2020, le scorbut a connu une lente mais régulière progression, autour de 0,05 % par mois sur cette période. Mais c’est la pandémie de Covid-19 qui a causé une nette hausse, avec une augmentation estimée à 34,5 % sur la période allant de 2020 et 2023, grimpant même jusqu’à 200 % chez les enfants de 5 à 10 ans. Concrètement, 536 cas de scorbut ont été recensés sur cette période, des données “sans doute sous-évaluées puisque nous ne comptons que les hospitalisations”, explique Ulrich Meinzer, chef de service à l’hôpital Robert-Debré, auprès du quotidien Libération.
Les causes, bien que plurielles et dépendant souvent de cas extrêmes de malnutrition, semblent tout de même associées à un facteur : l’explosion de la précarité alimentaire de nombreux foyers en France depuis la pandémie. L’inflation, notamment, a poussé de nombreuses familles à couper leur budget en alimentation, réduisant notamment l’achat de fruits et légumes pourtant indispensables pour être en bonne santé. “On craint de plus en plus que les défis socio-économiques posés par la pandémie aient augmenté le coût de l’alimentation, limitant l’accès à des aliments frais et variés et pouvant conduire à une augmentation des taux de scorbut et de malnutrition”, expliquent les chercheurs dans The Lancet.
“La hausse des cas de malnutrition sévère, estimée à 20,3 %, conforte le lien du scorbut avec une dégradation de l’état nutritionnel des enfants”, abonde l’Inserm, également partie prenante de cette étude. “L’augmentation des cas de scorbut et de malnutrition sévère était associée à une aggravation de la précarité socio-économique et de l’inflation. Cette association ne constitue pas nécessairement une relation causale, bien que plausible”, poursuit l’organisme de recherche de santé publique.
La nécessité d’une meilleure prévention
Au-delà des difficultés économiques de nombreux foyers, l’étude souligne la nécessaire éducation alimentaire des familles et des enfants, afin de prévenir ces cas extrêmes. Mais elle insiste aussi sur le “besoin critique d’intensifier les programmes d’aide alimentaire et sociale, car les mesures actuelles ne sont pas suffisantes pour freiner l’augmentation des taux de malnutrition et d’insécurité alimentaire”, expliquent les chercheurs dans leur étude.
Autre élément pouvant freiner cette progression : une meilleure prévention des carences alimentaires au sein du système médical. Car alors que le scorbut est jusqu’ici peu envisagé par les soignants et les pédiatres dans leurs consultations, la réalité statistique prouve que cette maladie existe bel et bien en France. Pourtant, un traitement intensif en vitamine C suffit généralement à largement atténuer les symptômes en quelques jours seulement. Une détection plus systématique de ces cas qui pourrait donc empêcher le scorbut de redevenir un véritable problème de santé publique.
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