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Le Japon, allié numéro un des Etats-Unis de Donald Trump


Comme une impression de déjà-vu. Ce 16 décembre, dans la somptueuse résidence de Donald Trump à Mar-a-Lago, en Floride, le patron du conglomérat japonais SoftBank, Masayoshi Son, se tient aux côtés du président élu. Cravate rouge, tout sourire, gestes complices avec son hôte, il annonce un investissement de quelque 100 milliards d’euros aux Etats-Unis, pour les quatre prochaines années. A la clé : au moins 100 000 emplois, et de quoi largement soutenir le secteur de l’intelligence artificielle.

Huit ans plus tôt, la scène est d’une ressemblance frappante. Cravate rouge, déjà, pour Masayoshi Son, et même proximité avec Donald Trump. Cette fois dans le décor doré du hall de la Trump Tower. Le milliardaire nippon dévoile son projet d’allouer 50 milliards de dollars à des activités aux Etats-Unis. Dans les années qui suivent, son fonds de placement Vision Fund soutiendra plusieurs géants américains, avec plus ou moins de réussite, de Uber à WeWork. “Son est un preneur de risque ; il parle un langage que Trump comprend”, remarque Shihoko Goto, directrice du programme d’Indo-Pacifique au Wilson Center.

Premier investisseur

SoftBank n’est pas seul à croire en l’Oncle Sam. Depuis 2009, les investissements du Japon aux Etats-Unis ont triplé, propulsant le pays au rang de premier investisseur étranger. En 2022, les entreprises nippones employaient près d’un million d’Américains. Parmi elles, une filiale du groupe Hitachi a récemment annoncé investir 155 millions de dollars pour augmenter sa capacité de production aux Etats-Unis. Rakuten, l’équivalent japonais d’Amazon, s’est associé à l’américain Ebay en mai dernier. Les entreprises du secteur automobile se bousculent aussi au portillon : déjà présente aux Etats-Unis, Toyota a dévoilé début décembre un projet d’usine en Caroline du Nord, tandis que Honda travaille sur un projet de “hub” de véhicules électriques dans l’Ohio.

Les liens entre les deux pays n’ont pas toujours été aussi apaisés. Dans les années 1980, les voitures, magnétophones et semi-conducteurs japonais submergent l’Amérique. A tel point que l’Archipel devient la bête noire de Washington qui, en 1987, impose des droits de douane de 100% sur certains produits. “En réponse à ces frictions commerciales, le Japon a voulu se placer à l’intérieur du mur du protectionnisme. La relation s’est transformée, passant d’un modèle fondé sur les exportations à un investissement réel aux États-Unis, qui n’a cessé de croître depuis”, note Matthew Goodman, chercheur spécialisé sur le Japon au Council of Foreign Relations. La signature d’un accord commercial en 2019, suivie d’un partenariat sur les matériaux critiques et les semi-conducteurs en 2023, ont donné un nouvel élan à cette coopération.

Pour Kenneth Weinstein, directeur de la chaire japonaise au think tank conservateur Hudson Institute, le pays du Soleil-Levant est aujourd’hui “l’allié numéro 1 des Etats-Unis”. Ses atouts sur les technologies de pointe sont clé pour l’Amérique, lui permettant de contrer la Chine, explique cet expert, qui avait été nommé ambassadeur au Japon en mars 2020… sans toutefois pouvoir prendre son poste, à cause du Covid.

Anticiper le coup

L’excédent commercial du Japon vis-à-vis des Etats-Unis n’a pas disparu, Tokyo en a bien conscience. Surtout avec le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, qui ravive les craintes d’une augmentation des tarifs douaniers. “Trump affiche une volonté politique plus agressive que durant son premier mandat, avec l’idée de droits de douane universels, qui s’ajoutent à un risque de taxes ciblées contre le Japon en raison de sa balance commerciale excédentaire”, observe Marcos Carias, économiste Amérique du Nord chez Coface.

Cette fois, les acteurs économiques prennent les devants. “Les entreprises japonaises font la cour à Donald Trump en augmentant leurs investissements aux Etats-Unis. Cela leur permet de montrer leur confiance en l’économie américaine, mais aussi de se prémunir contre d’éventuels tarifs douaniers”, explique Kenneth Weinstein depuis Tokyo. D’une pierre deux coups. De son côté, le 47e président accueille à bras ouverts ces engagements. Il les encourage même, grâce à un savant mélange de promesses de baisses d’impôts et de déréglementation. Cerise sur le gâteau : son projet d’accélérer les procédures réglementaires pour les entreprises qui investissent plus d’un milliard de dollars dans l’économie.

Le Japon a d’autres moyens de rassurer son ami américain, par exemple augmenter ses achats de produits agricoles, de matériel de défense ou encore de gaz naturel liquéfié (GNL), indique Matthew Goodman. Le GNL constitue en effet un pilier de la coopération, puisque la situation insulaire du Japon l’oblige à importer la majorité de ses besoins énergétiques. “Avec l’arrêt de certains contrats avec le Qatar et l’incertitude profonde sur l’évolution de leur demande domestique, les Japonais seront contents d’acheter plus de GNL américain, qui est flexible. D’autant que Donald Trump prévoit d’autoriser de nouvelles unités de liquéfaction, ce que Joe Biden avait mis sur pause”, indique Anne-Sophie Corbeau, chercheuse au Center on Global Energy Policy.

La négociation sera donc essentielle pour maintenir à flot ce partenariat. Or le changement de l’interlocuteur américain à Tokyo risque de rendre la tâche plus complexe. En novembre 2016, suite à la victoire du candidat républicain, le premier ministre japonais Shinzo Abe s’était rendu aux États-Unis. Avec un cadeau bien choisi pour le nouveau président : un club de golf doré. “Shinzo Abe s’attendait à ce qu’il soit difficile de composer avec la vision de Trump sur le commerce, les questions de sécurité et les alliances”, explique Matthew Goodman. Dans les années qui ont suivi, les deux hommes ont multiplié selfies et parties de golf.

“Shinzo Abe était celui qui comprenait le mieux Donald Trump”

Cette fois, pourtant, les échanges ne sont pas aussi fluides. “Le gouvernement japonais s’est acharné pour obtenir une rencontre avec Donald Trump depuis sa réélection, sans succès. Il a préféré rencontrer la veuve de Shinzo Abe et Masayoshi Son”, remarque Shihoko Goto. Pour Kenneth Weinstein, “Shinzo Abe était celui qui comprenait le mieux Donald Trump. Ils ont rebâti l’alliance nippo-américaine ensemble. Avec le nouveau premier ministre Shigeru Ishiba, ce ne sera sûrement pas le grand amour mais les bases pour une relation cordiale sont là”.

Reste enfin l’épineux dossier du rachat du groupe sidérurgique US Steel par le japonais Nippon Steel. Une acquisition qui risque de tourner court, puisque Donald Trump s’y oppose, tout comme Joe Biden. “A Tokyo, on a du mal à comprendre pourquoi cette transaction va être bloquée, d’autant que Nippon Steel a déjà des activités aux États-Unis et ce rachat ne pose pas de problèmes crédibles de sécurité nationale, s’étonne Matthew Goodman. Cela pourrait décourager les investissements japonais à long terme”. En attendant de découvrir quel sort Donald Trump lui réserve, le Japon peaufine ses arguments. Car la négociation risque de conditionner l’amitié entre les deux pays.




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