L’année qui se termine aura vu des choses terribles, sans comparaison possible entre elles, des massacres de Gaza à l’ouverture des geôles d’Assad, en passant par l’invasion (d’une petite partie) de la Russie par les troupes ukrainiennes, la mort de Nasrallah, la dissolution d’Emmanuel Macron, la résurrection de Trump, la fin de C8, la chute de l’abbé Pierre et le procès de M. Pelicot et ses cinquante violeurs. Tout ça nous a épuisés, démoralisés, on a besoin de vitamine, de réconfort, de douceur, d’une certaine forme de tolérance envers nous-mêmes… Ça tombe bien, il y a des maisons pour ça, elles ont pignon sur rue, on y entre un peu honteux, en cachette, mais très vite, l’entêtement des parfums, la variété des formes, l’éblouissement des couleurs, on se sent comme un enfant dans la caverne avec tous ces bonbons qui chuchotent, bruissent de cette même supplique : Suce moi.
C’est le titre du beau livre de Frédérick e. Grasser Hermé, publié chez JBE Books. Une fabuleuse histoire des bonbons de France. Plus de 300 pages de bonbecs qui me rappellent avoir sucé dans sa vraie coquille de bucarde tuberculée, des roudoudous à la sortie de l’école. La coquille en plastoc, plus économique, sonnera bientôt le glas de ce best sucked. Bien fait pour eux, et pour les dents des écoliers suivants. Le roudoudou, c’est le contraire, presque l’ennemi de la guimauve : le dur contre le mou, l’interminable contre l’éphémère, le marquis de Sade contre Alain Souchon. L’inatteignable coït contre l’éjaculat précoce. A chaque bonbon son territoire, son jour et ses horaires, son identité sociale, culturelle, bonbon de gauche bonbon de droite, et jamais loin des extrêmes pas reçus à l’Elysée.
Les photographies sont signées Vincent Lappartient, avec des mises en scènes d’Anastasia Finders et Marion Sonier Lastre qui réussissent à eux trois une performance appétissante et ironique, je pense à la meilleure dragée du monde, celle de Léon Braquier (1854-1936), auquel les auteurs rendent un hommage savoureux : la grosse larme d’ivoire est reconnue au milieu d’une joaillerie de trois mille carats, comme échappée d’un sac de cambrioleur qui aurait balancé son butin sur deux portions de pizza Margarita livrée à domicile. Qu’est-ce que je raconte ? Allez-y voir, c’est la double page 120-121. Ils ont aussi fixé des bergamotes de Nancy sur des boutons de manchette en or. Les jaunes rivalisant d’éclat, et dans la tête, l’eau à la bouche.
L’anis et la bataille d’Alésia
Les textes de Frédérick e. Grasser Hermé, ce nom dont le prononcé n’est pas simplifié par son résumé : FeGH, nous apprennent plein de choses si ce n’est pas à peu près tout ce qu’il est intéressant de savoir sur le Carambar, son père, M. Fauchille, avait au cours de sa confection pris le sel à la place du sucre, il s’en serait rendu compte à temps, goûta quand même, et c’était juste la pointe d’acidité qui allait faire sa gloire.
Il faut toujours goûter ses erreurs. Le jus des trois hectares de Piedra Sagrada 2016 était voué, pareil, au caniveau (vendangé trop tôt, ou trop tard, ne me souviens plus), les cuves furent oubliées. Goûté par acquis de conscience trois ans plus tard, le jus avait surmonté ses tares, et retrouva sa place parmi ses grands frères couronnés. Sans parler des bêtises de Cambrai et des sottises de Valenciennes.
Pour l’anis de l’Abbaye de Flavigny, l’auteur remonte 52 ans avant J.-C., quand, à la bataille d’Alésia, Jules César offre à Flavinius une des trois collines stratégiques de la fameuse bataille. Douze siècles plus tard, Charlemagne ordonne qu’on y cultive l’anis. Les moines fondent alors l’abbaye de Flavigny et le sucre pour la confection d’un bonbon avec surprise à l’intérieur : le grain d’anis. Tout ce bel édifice industriel s’effondre à la révolution. Et c’est la famille Troubat qui, un siècle plus tard, relance le commerce qui rend existentielle la question de savoir si on le croque ou si on le suce jusqu’à l’anis. Et c’est ainsi que la civilisation résiste à la barbarie.
Christophe Donner, écrivain
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