Le dossier revient sur la table depuis des années. Le nouveau garde des Sceaux, Gérald Darmanin, veut à son tour s’attaquer à la lenteur de la justice en France. “Les magistrats sont les premiers à s’en plaindre”, a estimé le responsable, à l’occasion d’un déplacement au tribunal judiciaire d’Amiens le jour de Noël, mercredi 25 décembre. “Ce que nous voulons, c’est plus de rapidité, plus de fermeté. On ne peut pas le faire avec des moyens constants”, a précisé l’ex-ministre de l’Intérieur. “Cette rapidité, elle passe par plus d’effectifs, plus de greffiers bien évidemment, et plus de magistrats”.
Avant lui, les précédents locataires de la place Vendôme avaient déjà tenté d’agir pour prendre en main cet enjeu. “La justice peut être considérée comme trop lente”, avait ainsi pointé du doigt Didier Migaud, nommé au sein du gouvernement Barnier, en novembre sur Europe 1 et CNEWS. “Les Français nous disent que la justice est trop lente et trop complexe”, déclarait pour sa part l’an dernier Eric Dupond-Moretti, en place de 2020 à 2024 à ce poste, au journal 20 Minutes. Que disent réellement les chiffres sur les délais judiciaires en France ?
Des délais d’attente plus longs, tant au pénal qu’au civil
Plusieurs rapports permettent de comprendre l’évolution des délais de traitement des affaires dans le système judiciaire français. En 2022, la synthèse des Etats généraux de la justice, cette large consultation publique lancée un an plus tôt par Emmanuel Macron, a consigné plusieurs informations intéressantes à ce sujet.
D’abord, au niveau pénal, l’attente de jugement des délits s’est considérablement accrue au cours de la dernière décennie. “Les délais moyens de traitement des affaires jugées par les tribunaux correctionnels ont augmenté de manière très significative sur la période 2013-2020, quels que soient les modes de saisine des juridictions correctionnelles”, souligne le rapport. Concrètement, la durée moyenne du traitement d’une affaire jugée après instruction est donc passée de 40,8 mois en 2013 à 45 mois en 2020. Même pour les affaires les moins complexes jugées en comparution immédiate, le délai d’attente est d’après ces chiffres en hausse. Le traitement moyen de ce type de cas a grimpé à 1,2 mois en 2020 contre 0,7 mois en 2013.
En ce qui concerne les dossiers criminels, qui nécessitent par nature une instruction bien plus longue, le constat est le même, avec un temps de traitement moyen en augmentation sur la même période – 34,1 mois en 2005 contre 41,5 mois en 2019. Pourtant, ces dernières années, “les cours d’assises ont […] connu une diminution significative de leur activité, de l’ordre de -27,2 %”, explique la synthèse du rapport des Etats généraux de la justice.
La justice civile ne fait pas exception à cet allongement du traitement des dossiers. La même étude montre que les délais des procédures civiles “ont plus que doublé entre 2005 et 2019”. “La justice civile ne parvient plus à trancher les litiges dans des conditions décentes”, affirment donc les auteurs du rapport. Ces derniers rappellent cependant que cet échelon est celui auxquels les Français recourent “le plus fréquemment, qu’il s’agisse de trancher un conflit de voisinage, un différend familial ou un litige relatif à une prestation inexécutée”. La durée de traitement avant le rendu des décisions des tribunaux de commerce ou des conseils de prud’hommes s’est également dégradée.
Un nombre d’affaires à traiter stable ou en diminution
L’accroissement des délais d’attente en France interroge d’autant plus que le nombre d’affaires à traiter devant les tribunaux reste stable, voire, pour certaines juridictions, connait une diminution conséquente depuis une quinzaine d’années. Une situation “paradoxale”, d’après le même rapport, qui s’explique par plusieurs raisons. Dans le pénal, la complexification des dossiers et de la procédure judiciaire peuvent causer un certain ralentissement en la matière. Ainsi, malgré la baisse du nombre de cas à traiter depuis 2005, “le nombre de jours des sessions d’assises a augmenté”. Le nombre d’affaires à traiter en appel a par ailleurs été en hausse de 17,3 % entre 2007 et 2019.
La justice civile est quant à elle qualifiée de véritablement “débordée”. Le nombre de magistrats civilistes a drastiquement diminué à partir des années 2000. Comme au pénal, le nombre d’appels a aussi augmenté de manière très importante. “La déjudiciarisation de certains contentieux simples” a par ailleurs “mécaniquement” accentué “la durée moyenne des procédures”, démontre le rapport de 2022, tout comme l'”allongement des écritures” au moment de présenter une affaire au juge.
Pour réduire ces délais et améliorer la situation de la justice, Eric Dupond-Moretti avait annoncé en mars dernier la répartition de 5 900 nouveaux recrutements dans les différents tribunaux français. 1 500 nouveaux magistrats et 1 800 greffiers supplémentaires doivent notamment entrer en fonction d’ici à 2027. Au-delà du temps d’attente des décisions de justice, le délai d’exécution de celles-ci pose aussi souvent problème. Pour répondre à la demande, 15 000 nouvelles places de prison doivent être construites “avant 2029, dans le meilleur des cas”, avait rappelé Didier Migaud en novembre. Un véritable enjeu, d’autant que Gérald Darmanin a dit mercredi être “très sensible à l’idée que les petites peines, des peines courtes, doivent être exécutées”.
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