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Jimmy Carter, une journée à la Maison-Blanche racontée dans L’Express : “A 6 heures, le réveil sonne…”

A la fin de la première année du mandat de Jimmy Carter, président des Etats-Unis de 1977 à 1981, Pierre Salinger qui fut porte-parole de la Maison-Blanche et collaborateur de L’Express de 1973 à 1978, livre le récit détaillé d’une journée ordinaire du 39ème président américain. Depuis le Bureau ovale jusqu’à la “Situation Room”, aux côtés des hommes du Président, se déroule un agenda millimétré planifié 15 jours à l’avance. Derrière la mécanique bien huilée de l’Administration américaine, Pierre Salinger dépeint Jimmy Carter comme l””un des hommes les plus acharnés au travail que la Maison-Blanche ait connus”.

L’Express du 5 décembre 1977

L’Amérique de Carter

C’est maintenant officiel : le président Carter sera en France du 4 au 6 janvier. Qu’est devenu, en une année de présidence, le planteur géorgien élu contre les machines ? Comment travaille-t-il ? Comment les Français le jugent-ils ? Comment l’Amérique se remet-elle du Vietnam et de Watergate ? Comment réagit-elle au problème clef de cette fin de siècle : la crise de l’énergie ? Et comment le roi dollar résiste-t-il au yen ? Voici l’enquête de L’Express.

On va lire ici le récit d’une vraie journée à la Maison-Blanche — celle du 17 novembre 1977. Bien qu’on y parle du voyage de Sadate et de la crise de l’énergie, elle n’a pas été choisie en fonction de son importance politique particulière. Pour un profane, et même pour celui qui, comme moi, a travaillé trois ans à la Maison-Blanche, tout jugement sur l’expérience et la compétence de la nouvelle Administration est délicat. Les adversaires du président Carter prétendent que la plupart des hommes qui l’entourent sont dépourvus d’expérience — et certains disent qu’ils sont incompétents. Les hommes du Président répliquent que toute Administration, dans le passé, a eu sa période d’apprentissage, et qu’aucune école ne peut préparer quelqu’un à gouverner les Etats-Unis. Chaque nouveau président découvre, en arrivant dans son bureau, que la Maison-Blanche n’a ni mémoire ni références. Son prédécesseur, en partant, a emporté tous les dossiers officiels. Il laisse au nouvel élu le soin de remplir, de nouveau, tiroirs et casiers.

Depuis la prise de jonctions de l’Administration Carter, le 20 janvier 1977, la courbe générale est en dents de scie. La politique étrangère est jugée plutôt positive, la politique intérieure plutôt négative, avec la persistance d’un chômage accru, les affrontements difficiles avec le Congrès, l’absence d’un plan urbain cohérent. Les prochains mois diront si les espoirs soulevés par l’arrivée de Jimmy Carter passeront du rêve à la réalité. Aujourd’hui, c’est la réalité de vingt-quatre heures à la Maison-Blanche que nous présentons aux lecteurs de L’Express. Pierre Salinger

Le président américain Jimmy Carter à la une de L’Express du 5 décembre 1977

00h05. Une nouvelle journée commence à Washington, capitale des Etats-Unis. Prévisions météo : journée froide et ensoleillée. Hal Ashby (nous ne donnerons pas son vrai nom, pour des raisons de sécurité) arrive à son travail à la Maison-Blanche. Hal Ashby appartient à la Central Intelligence Agency (C.i.a.). C’est un des quatre hommes qui se relaient, dans l’équipe de nuit, pour préparer les résumés de rapports et les renseignements destinés au président des Etats-Unis. Toute la nuit, dans son bureau, à quelques mètres des dizaines de téléscripteurs crachant des informations et des messages venus des ambassades et des antennes C.i.a. du monde entier, Ashby a trié les renseignements les plus importants à remettre à Zbigniew Brzezinski, conseiller du Président pour la sécurité nationale, dès qu’il arrivera à son bureau, un peu avant 7 heures du matin.

A 5h50, le réveil sonne au chevet de Stuart Eizenstat qui dort paisiblement dans sa maison de Chevy Chase, Maryland. Eizenstat, avocat de 34 ans, d’Atlanta, la figure grave, portant lunettes, est un proche conseiller de Jimmy Carter depuis le temps déjà ancien (1970) où celui-ci était gouverneur de Georgie. Il est aujourd’hui le principal conseiller du Président pour les affaires nationales. C’est l’un des hommes clefs de la Maison-Blanche. Dix minutes plus tard, à 6 heures précises, un téléphone coupe le sommeil de Jimmy Carter. C’est le standard de la White House Signal Agency qui appelle pour réveiller le Président.

Ainsi commence la journée de travail présidentiel, une journée qui va durer dix-sept heures et trente-sept minutes, une journée moyenne pour Jimmy Carter, un des hommes les plus acharnés au travail que la Maison-Blanche ait connus. Au même instant, à 6 heures, le réveil sonne dans la maison de brique à un étage, dans la banlieue de Virginie, où habite Zbigniew Brzezinski. Fils d’un diplomate polonais passé à l’Ouest après la prise de pouvoir des communistes, Zbig, comme l’appellent ses amis, est, après Kissinger, le second Américain d’origine étrangère chargé de conseiller le Président pour les questions intéressant la sécurité nationale.

4 kilos de journaux…

Tim Kraft et Frank Moore se réveillent à 6 h 15, Kraft, 36 ans, est chargé de l’emploi du temps du Président ; son bureau est juste à côté du bureau ovale, centre de pouvoir présidentiel. Moore, 42 ans, est l’assistant de Carter pour les relations avec le Congrès, chargé de faire passer, en douceur s’il se peut, les divers projets législatifs du Président.

6h32 : le 39e président des Etats-Unis d’Amérique, James Earl Carter junior, en costume gris à fines rayures blanches, arrive dans le petit bureau contigu au bureau ovale, où il travaille le plus souvent. Visage frais, reposé — bien que, depuis le début de son mandat, tout le monde s’accorde à dire qu’il a un peu vieilli. Les journaux du matin l’attendent : 4 kilos. Au même moment, Brzezinski quitte sa maison de Virginie dans une voiture officielle. Frank Moore vient d’allumer sa radio pour écouter le journal de 7 heures sur C.b.s., quand la voiture de Brzezinski franchit le portail sud-ouest et le dépose devant l’entrée du sous-sol ouest. Zbig se dirige rapidement vers la “Situation Room” — centre nerveux de la Maison-Blanche et Q.G. en temps de crise. Hal Ashby y a réuni tous les documents qu’il doit lire : il reste à Zbig une heure et quinze minutes avant de voir le Président.

A 7h30, les trois derniers hommes clefs du gouvernement Carter se lèvent : Jody Powell, Hamilton Jordan et le vice-président Walter Mondale. Jody Powell, 34 ans, les cheveux cendrés, la voix douce, doué d’un sens de l’humour aigu, est le secrétaire de presse du Président. Il est son lien avec la presse et, plus encore, un homme de confiance. Hamilton Jordan, 35 ans, est celui qui a conçu l’étonnante campagne présidentielle de Carter. Il est généralement considéré comme le personnage le plus puissant de la Maison-Blanche ; c’est un Géorgien qui déteste le protocole et la vie mondaine de Washington. Quant à Mondale, cheveux noirs, visage plutôt beau aux traits rustiques, il est le second vice-président (le premier était Nelson Rockefeller) à vivre dans une demeure de fonction aménagée en 1974 par le gouvernement des Etats-Unis et située sur une colline, près de l’Observatoire de Washington, à dix minutes de la Maison-Blanche. Mondale peut être considéré, jusqu’ici, comme le vice-président le plus influent de l’Histoire des Etats-Unis. Tous les hommes du Président — y compris Moore, Kraft et Eizenstat —sont à la Maison-Blanche à 8 heures précises. La journée de travail commence.

La lettre d’Amy Carter

A 8h15, Zbig entre dans le petit bureau du Président et commence son rapport du matin. En général, leurs relations sont pleines d’aisance. Ce matin, les principaux sujets de la conférence sont le Proche-Orient et les négociations Salt. Zbig informe le Président de la prochaine rencontre de Sadate (la nouvelle ne tombera sur les téléscripteurs que deux heures plus tard). Il lui parle des compromis que les Soviétiques semblent prêts à faire sur les essais nucléaires et le dernier-né de l’arsenal américain, l’indétectable “missile de croisière”. Carter rend à Brzezinski quelques mémorandums qu’il a lus dans la soirée. Beaucoup contiennent des annotations en marge, certains passages ont été soulignés par le Président. Par moments, Brzezinski glisse un mémorandum humoristique parmi les plus sérieux. L’un d’eux évoquait la “personne non autorisée, à la Maison-Blanche, ayant des communications avec des dissidents soviétiques”. C’était une allusion au bruit qui avait couru selon lequel Amy Carter, la fille de 10 ans du Président, avait écrit au fils du dissident soviétique Mikhaïl Stern. Le mémo revint à Brzezinski avec une note de Carter : “C’est une affaire très grave.”

8h30 : pendant que Brzezinski continue sa conférence, avec le Président, Powell, Jordan, Moore, Kraft et Eizenstat sont réunis dans le bureau de Mondale pour un conseil sur les buts du gouvernement en 1978. Ils seront rejoints par James McIntyre, le directeur du Budget en exercice, et par Charles Schultze, chef des conseillers économiques de Carter.

De l’huile dans les rouages

A 8h45, Jordan et Moore quittent discrètement le bureau du vice-président pour aller rejoindre le secrétaire à l’Energie, James Schlesinger dans le bureau de Carter. Objet : la motion controversée du Président sur l’énergie. La Chambre des représentants a voté la loi presque entièrement. Mais le Sénat en a proposé une version tout à fait différente, beaucoup plus favorable aux intérêts des grandes compagnies pétrolières. Aujourd’hui, Moore a de mauvaises nouvelles pour le groupe : la commission mixte Chambre-Sénat n’acceptera pas la recommandation de Carter autorisant le gouvernement à imposer des normes fédérales aux tarifs de l’électricité. Ces tarifs sont actuellement imposés par des commissions d’Etat, et varient énormément d’un Etat à l’autre. Cependant, le Président reste optimiste : à la fin, pense-t-il, il obtiendra une grande partie de ce qu’il demande sur l’énergie.

En 1977, Pierre Salinger décrivait une journée type à la Maison-Blanche sous la présidence de Jimmy Carter.
En 1977, Pierre Salinger décrivait une journée type à la Maison-Blanche sous la présidence de Jimmy Carter.

A 9h30, la réunion du vice-président sur les objectifs se termine, et les divers membres du groupe s’occupent de leurs autres activités. Frank Moore organise une réunion du personnel. Dix-huit personnes travaillent avec lui pour maintenir le contact avec le Congrès. Dans le bureau de Hamilton Jordan, le groupe de travail de la Maison-Blanche sur l’énergie s’est réuni. Kraft travaille avec une partie de ses assistants (vingt personnes) à la préparation de l’emploi du temps, à long et à court terme, du Président. Dans le gouvernement Carter, les horaires présidentiels sont personnellement approuvés par le chef de l’Etat tous les quinze jours et, une fois établis, sont quasiment impossibles à changer, sauf en cas de situations urgentes. Un des sujets discutés ce matin dans le bureau de Kraft est la reprogrammation du voyage à l’étranger et en France du président Carter, annulé au début de novembre à cause des problèmes posés par la loi sur l’énergie.

Eizenstat, qui est chargé de mettre de l’huile dans les rouages, quelquefois grippés, entre le Président et certains groupes importants comme les gouverneurs d’Etat, l’Association nationale des maires, l’A.f.1.-C.i.o., le plus puissant syndicat des Etats-Unis, et l’Association nationale des industriels, le C.n.p.f. américain, est en réunion dans le salon Roosevelt, à quelques mètres du bureau ovale, avec les officiels des “counties” (subdivisions des Etats).

Le boycott arabe

A 9h50, Brzezinski appelle le Président, de son bureau, pour lui annoncer que le ministre égyptien des Affaires étrangères Ismael Fahmi a démissionné pour protester contre le projet de voyage en Israël d’Anouar El Sadate. Il raccroche juste à temps pour accueillir les membres du personnel du Conseil national de sécurité spécialisés dans les problèmes du Proche-Orient.

A 10h30, le président Carter tient sa réunion quotidienne avec Jody Powell et le n° 2 du service de presse, Rex Grannum. Au début de l’après-midi, Powell doit donner son unique conférence de presse quotidienne. Chaque mot que Powell dit à la presse est officiel, c’est une déclaration de la Maison-Blanche. Il doit donc connaître à fond la pensée du Président. Pour ça, Powell est parfait. Il est avec Carter depuis dix ans, et très proche de lui. Pendant la réunion, consacrée aujourd’hui aux événements du Proche-Orient, Powell prend des notes.

Au fond du couloir, dans le bureau du vice-président Mondale, une réunion se déroule, à laquelle assiste Eizenstat, sur un autre élément du conflit du Proche-Orient : le boycott arabe. Le gouvernement rédige en ce moment les règlements suivant l’adoption d’une loi, passée par le Congrès, imposant des peines sévères aux grandes entreprises américaines participant au boycott arabe d’Israël. Certaines personnalités juives sont inquiètes à la pensée que les règlements rédigés par le Département du Commerce ne soient pas dans l’esprit de la loi, et ils sont venus voir Eizenstat et Jordan pour éclaircir ces points. Les relations entre le président Carter et la communauté juive sont très importantes en ce moment, surtout depuis la publication de l’accord américano-soviétique sur le Proche-Orient, qui apparaît à de nombreux Juifs des Etats-Unis comme un abandon de l’Etat d’Israël.

Dans le “corner office”, Jordan, en manches de chemise, cravate relâchée, col déboutonné, s’entretient avec Kenneth Curtis, président du Parti démocrate. Curtis doit voir le Président à 11 heures : il s’agit d’obtenir sa participation à un certain nombre de dîners collectes pour le parti. Les Démocrates sont endettés depuis plusieurs années, et veulent profiter de la présence d’un des leurs à la Maison-Blanche pour redresser leur situation financière. Jordan accompagne Curtis chez le Président. Il est maintenant 11 heures du matin.

Entre deux bouchées

Le vice-président Mondale, en compagnie de Brzezinski, vient de recevoir Felipe Gonzalez, chef du Parti socialiste ouvrier espagnol. La Maison-Blanche tient à exprimer sa sympathie à la gauche non communiste d’Espagne, d’autant plus que le leader communiste espagnol Santiago Carrillo est actuellement en visite aux Etats-Unis. Carillo ne sera pas reçu à la Maison-Blanche. La réunion ne durera que vingt minutes, parce que Mondale doit se rendre dans le bureau du Président pour la première des trois réunions cruciales sur la sécurité. A celle de 11h30, assistent l’amiral Stanfield Turner, directeur de la C.i.a., James B. Adams, directeur adjoint du Federal Bureau of Investigation (F.b.i.), et le directeur de son bureau du plan et des évaluations, ainsi que Brzeziniki. Cette réunion a lieu deux fois par mois. Ultra-secrète, elle traite de l’évaluation des renseignements fournis par les agents américains dans le monde entier.

Jimmy Carter en couverture de L'Express après son élection à la présidence des Etats-Unis.
Jimmy Carter en couverture de L’Express après son élection à la présidence des Etats-Unis.

12h30 : la réunion “renseignements” est terminée. A la Maison-Blanche, c’est l’heure du déjeuner. Contrairement aux déjà lointaines époques de Kennedy, Johnson, Nixon et Ford, il n’y a pas de ruée massive vers les meilleurs restaurants de Washington. Brzezinski, Powell, Moore et Jordan déjeunent à leur bureau, ce dernier tapant lui-même, entre deux bouchées, un mémorandum sur les négociations Salt et leurs implications politiques aux Etats-Unis. Ce n’est pas excellent pour la digestion. Kraft a fait un saut au coin de la rue, vers un “delikatessen” (charcuterie-sandwiches). Mondale déjeune, au mess de la Maison-Blanche, avec un groupe d’évêques catholiques venus assister à une conférence à Washington.

Evénement exceptionnel de la semaine : le Président prend son déjeuner avec sa femme Rosalynn, au mess de la Résidence. Cet épisode hebdomadaire est mentionné sur l’emploi du temps par une phrase : “12h30, the President met with the First Lady” (Le Président rencontre la Première Dame). Ce rendez-vous régulier permet à Mrs. Carter d’interroger le Président sur les discours qu’elle devra faire, de le consulter sur les invitations qu’elle doit accepter, les voyages qu’elle doit entreprendre. Le déjeuner du Président avec sa femme dure une demi-heure ; il passe ensuite à la table de Mondale, pour bavarder quelques minutes avec les évêques catholiques. Il s’éclipse ensuite avec Mrs Carter. Direction le jardin nord de la Maison-Blanche. Il va participer, comme la plupart de ses prédécesseurs, à une cérémonie classique, la plantation d’un arbre présidentiel. Carter a choisi un érable de Georgie. L’arbre est déjà placé dans un trou creusé à l’avance et, avant de le remplir de terre avec une pelle, le Président prononce un petit speech destiné à la presse.

Stratégies ultra-secrètes

13h45 : Jordan vient de terminer son mémorandum Salt quand Harold Brown, le secrétaire à la Défense, arrive dans son bureau. Ils se rendent chez le Président pour lui remettre le document. A 14 heures précises, Carter se réunit avec Brown, Mondale, le général George S. Brown, président des chefs d’état-major interarmes, Charles W. Duncan, secrétaire adjoint de la Défense, et Brzezinski il s’agit de questions et d’options stratégiques ultra-secrètes. Dix minutes plus tard, dans la salle de presse, les lumières s’allument au-dessus du podium, Powell entre pour sa conférence quotidienne devant 150 journalistes, La salle de presse a été construite, par le gouvernement Nixon, à l’emplacement de la piscine de la Maison-Blanche.

Powell ouvre sa conférence : les questions ? Comme il le prévoyait, elles concernent presque toutes le Proche-Orient. Se référant à ses notes, pariant avec précision, Powell dit, en substance “La visite du président Sadate est un pas en avant sans précédent et positif. ” Il refuse de commenter la démission du ministre égyptien des Affaires étrangères Ismael Fahmi, élude par une boutade la question d’un journaliste lui demandant son opinion sur l’éditorial d’un journal du New Jersey suggérant que Walter Cronkite, le célèbre commentateur du journal de la C.b.s., devrait être envisagé pour le prix Nobel de la paix, puisqu’il a contribué à réunir Sadate et Begin,

La plus longue épreuve

La conférence de presse d’aujourd’hui est relativement calme. Depuis l’affaire de Watergate, un élément de doute s’est insinué dans les rapports entre la Maison-Blanche et la presse, que même l’affable et placide Powell n’a pu tout à fait supprimer.

14h30 : Stuart Eizenstat rencontre Schultze, chef des conseillers économiques du Président. Ils vont discuter d’un programme de stimulation de l’emploi dans le secteur privé. Carter a toujours estimé que les travaux publics n’étaient pas, à long terme, le moyen rêvé pour s’attaquer au pourcentage apparemment irréductible du chômage américain, environ 7 %. Il veut entraîner les entreprises dans cet effort.

14h40 : les participants à la discussion sur la stratégie militaire se lèvent. Ils traversent le bureau de Kraft pour se rendre, salle du Conseil des ministres, à une réunion élargie sur les négociations avec l’Union soviétique à propos de la limitation des armes stratégiques. C’est, pour le Président, la plus longue épreuve de la journée. Elle ne se terminera pas avant 17 heures.

Jimmy Carter avec Anouar al-Sadate (à gauche) et Menachem Begin (à droite) le 6 septembre 1978 à Camp David
Jimmy Carter avec Anouar al-Sadate (à gauche) et Menachem Begin (à droite) le 6 septembre 1978 à Camp David

15h53 : le téléphone sonne sur le bureau de Nell Yates. Secrétaire chevronnée, elle est là depuis le temps de John F. Kennedy. Elle est maintenant la secrétaire de Tint Kraft. La standardiste annonce : “Le Premier ministre israélien Menahem Begin demande à parler au Président”. Mrs. Yates porte aussitôt la nouvelle à Kraft, qui entre dans la salle du cabinet pour interrompre la réunion Salt, Le Président, suivi par Brzezinski, retourne au bureau ovale. Il prend la communication. Le conseiller pour la sécurité nationale écoute sur un poste annexe. Begin met le Président au courant des projets pour la réunion Sadate. Il dit à Carter qu’il lui envoie une lettre personnelle qui pourra être publiée conjointement, le lendemain, à Washington et à Tel-Aviv.

A 15h59, le Président raccroche. Il dit à Zbig qu’il veut parler à Sadate le lendemain matin et retourne dans le “Cabinet Room” pour remettre sur rails la réunion Salt. La réunion dure encore à 16h30, quand Stuart Eizenstat arrive au Département du Trésor pour une réunion du groupe de politique économique consacrée à la réforme fiscale projetée par le Président. Elle dure une heure et demie et contraint Eizenstat à manquer une réunion qu’il a organisée dans son bureau, à 17h45, sur les problèmes du bruit des avions. Il ne doit pas y être question de Concorde, mais d’encouragements fédéraux aux compagnies aériennes nationales américaines pour leur permettre de réaménager leurs appareils en les dotant de moteurs moins bruyants. La réunion sur le bruit des avions se déroulera sans Eizenstat.

Les plus grands noms de Hollywood

Deux minutes avant 17 heures, la discussion Salt prend fin. Le Président a travaillé presque sans arrêt pendant onze heures. Dix minutes plus tard, accompagné par Frank Moore, il traverse les appartements privés de la Maison-Blanche pour aller dans l’aile est, où se trouvent les bureaux du personnel des relations avec le Congrès. Chaque semaine, le Président s’efforce de rencontrer une section du personnel de la Maison-Blanche pour discuter personnellement de ses problèmes. En chemin. Moore lui dit que la Commission Chambre-Sénat, conférant sur sa loi sur l’énergie, a décidé de prendre dix jours de vacances, du 18 au 28 novembre. Nous ignorons la réponse du Président à cette nouvelle, mais elle a dû être plutôt amère : il avait annulé son voyage à l’étranger pour rester à Washington pendant que les membres de la commission travailleraient à cette législation…

A 18h23, Carter enfile son smoking et, accompagné de la First Lady, se rend dans la salle est de la Maison-Blanche pour accueillir cinq cents invités venus fêter le dixième anniversaire de l’Institut américain du film. Réception éblouissante, rencontre de Hollywood et de Washington. Hollywood est représenté par ses plus grands noms, depuis la star du muet Litham Gish, âgée de 81 ans, jusqu’à Lauren Bacall, en passant par Henry Fonda, Olvia De Havilland, James Stewart, Omar Sharif, Sidney Poitier et Charlton Heston. Plus de deux cents membres du Congrès, Chambre et Sénat, ont été invités à se mêler aux vedettes et à boire ce que les invités ont considéré comme un assez mauvais vin de Californie. Depuis l’accession de Carter à la Présidence, aucune boisson alcoolisée n’est plus tolérée à la Maison-Blanche – excepté le vin et la bière. La petite Amy Carter se faufile dans la foule pour rencontrer les stars.

L’allocution de Carter est à la fois émouvante et humoristique. Les films, dit-il, “réunissent une société américaine extrêmement diverse ceux qui sont riches peuvent apprendre ce qu’est la pauvreté ; ceux qui sont heureux peuvent savoir ce qu’est le malheur, et ceux qui souffrent de la faim et du chagrin peuvent voir ce qu’est le bonheur.” Pendant que le Président parle, Brzezinski et Jordan reçoivent l’ambassadeur d’Israël aux Etats-Unis, Simcha Dinitz. ll apporte la lettre personnelle du Premier ministre Begin au président Carter.

19h26 : le Président quitte la réception pour dîner en famille dans les appartements privés, au premier. Kraft. Eizenstat, le vice-président Mondale et Brzezinski rentrent tous chez eux s’habiller pour le gala de l’Institut américain du film, au Kennedy Center. Juste avant de se mettre à table, le Président reçoit un coup de téléphone de Jordan lui donnant le contenu de la lettre de Begin.

Une heure de lecture

Quand le Président arrive dans sa loge, au Kennedy Center, il est accueilli par l’ovation de deux mille personnes. Pendant deux heures, il va regarder des scènes tirées des cinquante meilleurs films américains de l’Histoire. Ensuite, on proclame les gagnants du sondage effectué auprès des 35 000 membres de l’Institut pour déterminer les dix meilleurs films américains de tous les temps.

22h30 : le Président quitte le Kennedy Center. Il aura encore une heure de lecture, à son retour à la Maison-Blanche, avant de se coucher à 23 h 37. En une journée, il s’est colleté avec beaucoup de grands problèmes internationaux et nationaux. Ce n’était pas une journée exceptionnelle.




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